Interview/Lucie Tetegan, médiateure: « que les juges n’hésitent point à faire recours aux médiateurs »

    Lucie Tetegan , médiateure est la  présidente de la commission communication Medip-ci. Le Medip-ci signifie Association des Médiateurs Diplômés Professionnels de Cote d’Ivoire. Dans cette interview elle explique comment cette pratique peut aider à résoudre les conflits familiaux et les conflits fonciers,entre autres.

 

    Qu’est-ce qu’un médiateur professionnel ?

      Un médiateur est un Tiers, choisi volontairement et librement par les parties en litige ou par le juge avec leur accord, pour les accompagner à renouer le dialogue, à rétablir la communication interrompue entre elles, en vue d’un règlement amiable du différend qui les oppose. Selon l’Acte uniforme de l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation des Droits des Affaires en Afrique), tout le monde peut être médiateur.

      Cependant nous disons que le médiateur professionnel est celui qui a reçu la formation requise, qui maîtrise les principes et les règles de la médiation et qui en fait une profession. Il n’est ni juge, ni arbitre ; en plus il doit manifester une neutralité totale, car la solution doit venir des parties elles-mêmes.

     Pourquoi avoir mis sur pied  l’Association des Médiateurs Diplômés Professionnels de Cote d’Ivoire?

     Le Medip-ci, créé en 2016, est l’Association des médiateurs diplômés professionnels, de métiers d’origine divers : Avocats, magistrats, notaires, commissaires de justice, autres juristes, fiscalistes, journalistes, responsables de ressources humaines, hommes d’affaires, , religieux, etc. Tout le monde peut être médiateur diplômé professionnel à condition de suivre la formation pour en connaitre les techniques. Techniques d’écoute active et de  communication non violente, de reformulation et de questionnements pour permettre aux parties de se comprendre.

      Le médiateur doit tenir compte dans tout cela des principes qui régissent le processus à savoir la confidentialité, essentielle pour redonner confiance aux parties, l’impartialité, la neutralité et l’indépendance. Car la décision doit venir des parties elles-mêmes et non pas du médiateur qui est juste là pour les conduire dans les échanges. Les parties de leur coté doivent respecter les règles qui consistent au respect mutuel, respect de la parole et de la règle des apartés. 

     Le Medip-ci se veut une faîtière qui regroupe d’autres associations telles que le Conseil des Avocats Médiateurs de Cote d’Ivoire (CAMCI), le Groupement ivoirien des Magistrats pour la Médiation (GIMME), le Groupement des Responsables des Ressources Humaines Médiateurs (GRH-Médiation) etc.  Sa mission est entre autres de veiller sur l’évolution des pratiques et des textes de la médiation.

      Quels sont les conflits qui intéressent les médiateurs professionnels ?

        Tous les conflits sauf ceux relatifs au pénal, c’est-à-dire aux crimes. Par exemple si vous tuez quelqu’un la médiation ne pourra rien faire pour vous.

      Le couvre-feu dû au coronavirus a remis au goût du jour les violences conjugales. Vous comptez apporter votre touche dans la gestion de ces conflits familiaux. Comment ?

      Les litiges familiaux sont en général des sujets tabous tout simplement parce que les familles ne veulent pas que leurs affaires sales soient exposées en public. Par exemple un conjoint qui n’est pas satisfait sexuellement ne viendra jamais l’exposer devant d’autres personnes. C’est là l’avantage de la médiation dont un des principes majeurs est la confidentialité.

       Contrairement au tribunal ou les séances sont publiques, la médiation se déroule dans un espace ou ne sont admises que les personnes vraiment concernées. Qui plus est, le juge recherche les faits et les preuves alors que le médiateur par ses techniques va faire émerger des cœurs les émotions, les non-dits et grâce au contexte de confiance créé par la confidentialité à laquelle toutes les parties s’engagent, elles pourront mieux sortir tout ce qu’elles ont au fond de leur cœur. Si tout ne sort pas, le médiateur a la possibilité d’organiser des apartés et là chacun pourra se vider, accoucher de ce qui lui fait mal.

      Une fois que les parties arrivent à se comprendre, ce que nous appelons dans le jargon du métier, le point de bascule, elles pourront exprimer leurs besoins pour le rétablissement de la relation. La médiation et en particulier la médiation familiale détient donc les techniques pour ne pas dire les secrets pour aider à renouer les liens familiaux. Elle constitue une réelle piste de solution, une vraie voie de pacification aux conflits conjugaux voire familiaux. Nul ne choisit de naître dans telle ou telle famille. Il est donc important que cette relation soit sauvegardée. Il est à noter néanmoins que le médiateur ne va aller aux parties, il attend d’être sollicité.

      Vous privilégiez la médiation. Est-ce le cas lorsque des crimes sont commis au cours des conflits familiaux ? Si oui, n’est-ce pas encourager l’impunité ?

      Comme je l’ai dit , il y a des situations dans lesquelles la médiation ne peut intervenir tels que les crimes. Le viol est un crime. S’il y a mort d’homme, la loi doit s’appliquer ; mais au cours du procès s’il y a un blocage et que le juge estime que la médiation peut aider et que les parties sont d’accord, il peut faire appel à un médiateur.  

         En Côte d’Ivoire les conflits liés au foncier sont légion. Que proposez-vous ?

       La question foncière est une des premières thématiques auxquelles le Medip-ci s’est attelée des ses premiers pas. Comme actions, nous avons organisé début 2019, des conférences d’information dans la région de la Mé,  notamment à Adzopé et Alépé, grâce à l’appui du Conseil régional que nous remercions encore au passage. Nous saisissons cette occasion pour lancer un appel aux autres régions qui souhaiteraient nous inviter car les conflits fonciers se rencontrent partout en Cote d’Ivoire et constituent une véritable bombe sociale. La médiation, à travers le Medip-ci peut aider à désamorcer cette bombe.

     

 

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Nous sommes à la veille de la période électorale, une période généralement qui enregistre des conflits par endroit. Comment la Médiation peut-elle anticiper les conflits électoraux ?

     Nous cherchons à nouer des partenariats justement avec les différentes entités concernées par les élections, mais nous sommes aussi disponibles pour toute partie ou citoyens qui voudraient bien nous solliciter. Car notre rôle est de donner l’information et de dire ce que nous pouvons faire, il revient à ceux qui sont dans le besoin de nous solliciter. La médiation est un processus libre et volontaire.

      Dans le cas ivoirien, est-ce tard pour anticiper ?

     Pas du tout. Il y a la médiation préventive que nous encourageons d’ailleurs non seulement en politique mais aussi dans tous les autres conflits.

     Etes-vous en contact avec la Médiature de Côte d’Ivoire ?

     Elle est sur notre liste de partenariat.

       Avez-vous des attentes particulières des gouvernants sur le sujet de la médiation ?

      Le gouvernement a fait un grand pas en mettant à disposition la loi sur la médiation depuis 2014. Le recours à la médiation en matière commerciale est déjà une réalité. Nous souhaitons qu’il en soit de même dans les autres tribunaux ; que les juges n’hésitent point à faire recours aux médiateurs pour débloquer les nombreux dossiers des palais. Cela soulagera autant les tribunaux que les populations.

      Quel message particulier adressez-vous aux populations en général ?

     Je voudrais dire à la population de ne pas hésiter à nous contacter ne serait ce que pour avoir des informations. En dehors des cas que j’ai cités plus haut, la médiation peut aider à renouer toute relation, en entreprise, en copropriété,  en affaires, en famille, voire en politique, etc. C’est un processus ou tout le monde gagne et personne ne perd. Il est rapide et moins coûteux. Aussi vous pouvez ne pas attendre que le conflit s’installe avant de nous faire appel. Des que vous voyez des nuages assombrir le ciel de vos relations, la médiation préventive ou pré-conflit peut intervenir.  

Interview réalisée par Nesmon De Laure

Lemediacitoyen.com

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