L’art, un levier puissant pour le féminisme : entretien avec Noelly-d’Espérance Aka activiste féministe initiatrice de pièces de théâtre de rue 

Noelly Aka initiatrice du théâtre de rue

 

    Dans un monde où l’art devient de plus en plus un outil de plaidoyer, certaines figures émergent par leur dévouement et leur créativité. Noelly est l’une d’elle. Activiste féministe engagée, auteur, passionnée par la poésie et le théâtre, elle utilise ces moyens d’expression pour défendre les droits des femmes et sensibiliser à l’égalité des genres. Titulaire d’un Master en Droit Privé, l’ivoirienne a récemment exploré le théâtre de rue pour sensibiliser l’opinion sur la diversité des familles dans le cadre de la campagne « Portraits de Familles ».

Dans cet entretien qu’elle a accordé à Lemediacitoyen.com dans le cadre de la campagne « Médiatisons les voix féministes », elle nous partage son parcours, ses défis, ses ambitions et ses réflexions sur l’impact du militantisme artistique dans la lutte pour les droits des femmes en Côte d’Ivoire.

    Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant qu’activiste féministe ?

Mon engagement est dû au constat selon lequel, les filles en général et les filles au style « garçon manqué » en particulier sont stéréotypées. J’ai été choquée par les stéréotypes sexistes véhiculés par les médias et par certaines personnes de mon entourage. Il faut noter que j’ai moi-même fait l’objet de discrimination volontaire ou involontaire dans cette vie. C’était aberrant pour moi de savoir que, dans un monde où l’on prône l’amour, une catégorie de personnes soit mise à l’écart. J’étais intérieurement en colère et je n’arrivais pas à comprendre un tel acharnement envers des humains tout simplement parce qu’ils ne sont pas dans « la norme ».

    En sus, mon engagement féministe a véritablement débuté en 2021 avec l’ONG INITIATIVE TILÉ dont je suis présentement la secrétaire générale.
Nous nous attelons à atteindre nos objectifs, entre autre sensibiliser avec l’art et à former les jeunes filles de la communauté LBTQIA+ aux métiers du numérique.
Je crois fermement que chaque individu devrait avoir les mêmes opportunités, indépendamment de son genre.
Il reste encore beaucoup à faire comprendre aux humains que nous sommes toustes égaux, mais je suis convaincue que nous pouvons y parvenir en travaillant ensemble.
 

    Qu’est-ce qui vous a poussé à utiliser le théâtre de rue comme moyen d’expression pour votre militantisme ?

    Le moyen d’expression pour mon militantisme est plutôt la Poésie.
J’ai eu l’honneur d’utiliser le théâtre de rue dans le cadre du projet « portraits de familles  » .
C’était l’occasion pour moi d’attraper une autre branche dans la famille artistique car ,comme on le dit  » qui peut le plus, peut le moins ».
C’était l’occasion pour moi de sortir de ma zone de confort et un moyen de me surpasser. J’ai appris beaucoup de choses sur le terrain.
De plus, utiliser le théâtre de rue pour sensibiliser la cause féministe est un moyen d’être plus proche et en contact avec la population. En somme, le théâtre de rue donne l’opportunité de discuter avec nos spectateurs, de prendre leurs avis et de leur donner l’occasion de donner leur opinion sur la pièce jouée.

    Pourquoi le théâtre de rue est-il, selon vous, un outil puissant pour sensibiliser le public aux causes féministes ?

    Selon moi, le théâtre de rue est un outil particulièrement efficace pour sensibiliser à la cause féministe pour plusieurs raisons.
D’abord, il y a une accessibilité et une proximité avec la population. C’est dire que, le théâtre de rue vient à la rencontre du public dans son environnement quotidien. Il est ainsi accessible à tous, sans débourser de moyen pour avoir un ticket ou payer les frais déplacement. Cette proximité favorise un contact direct avec le public, permettant de créer un lien plus fort et de susciter des émotions plus intenses.

    Ensuite, il y a la possibilité de voir en live l’impact émotionnel sur les spectateurs. En effet, les représentations de rue sont souvent plus vivantes, plus dynamiques et plus inattendues, ce qui permet de marquer les esprits et de susciter des réactions plus vivantes et actives.
Enfin, le théâtre de rue est un moyen efficace pour la diffusion des messages forts et clairs. Les représentations peuvent être utilisées pour dénoncer les inégalités, briser les mythes, les stéréotypes et les violences sexistes, mais aussi pour célébrer les réussites des femmes et promouvoir l’égalité des genres.

    Quels types de thématiques abordez-vous généralement dans vos performances ?

    J’aborde des thématiques variées comme l’égalité des genres, l’amour et les droits des femmes. Dans le projet « Portraits de familles », le thème principal était la famille.

    Avez-vous un exemple d’une performance qui a particulièrement marqué le public ou suscité des réactions fortes ?

    Oui, la pièce « Le portefeuille familial », jouée à la gare d’Anyama, a particulièrement marqué. Le public se reconnaissait dans les personnages, et les acclamations ont souvent interrompu la prestation.

    Quel impact avez-vous observé auprès des spectateurs après vos représentations ? Avez-vous des retours spécifiques ?

    Les spectateurs se voyaient vraiment à travers les acteurs. La prestation avait été interrompu à plusieurs reprises à cause des acclamations du publiques. C’était vraiment leur quotidien qui se jouait devant eux.
Des retours, j’en ai eu plusieurs. Certains se sont proposés pour être des acteurs dans les prochaines prestations.
D’autres ont suggérer de faire plusieurs autres prestations car, les thèmes étaient vraiment importants pour le changement de mentalité.
Les spectateurs étaient très réceptifs. Certains se sont proposés comme acteurs pour les prochaines représentations, tandis que d’autres ont insisté pour multiplier ce type de prestations.

     Pensez-vous que le théâtre de rue peut être un levier de changement social concret, notamment pour améliorer les droits des femmes dans le contexte ivoirien ?

    Je crois fermement que le théâtre peut être un levier de changement social concret pour l’amélioration des droits des femmes dans le contexte ivoirien car, le théâtre est le miroir de la société.
Au delà de son rôle de divertissement, le théâtre est un puissant canal pour provoquer l’empathie, le changement de mentalité, la réflexion, susciter des interrogations, stimuler les débats, prendre position.

    Quels défis rencontrez-vous en tant qu’activiste féministe, notamment en termes d’acceptation ou de répression de vos performances ?  

    Les défis rencontrés en tant qu’activiste féministe relativement à mon talent d’artiste sont nombreux. D’abord, il y a l’invisibilisation des œuvres produites, le travail n’est partagé et apprécié que par le même cercle restreint malgré les nombreux partages. Le mépris du travail et le dénigrement en effet, même dans le cercle féministe, le travail n’est pas partagé. Aussi, les médias s’attardent sur les détails ou sur la sexualité de l’artiste au lieu de mettre le travail que nous faisons en avant. Enfin, le harcèlement en ligne reste l’un des défis majeurs auxquels nous sommes confrontés.

 Travaillez-vous avec d’autres activistes ou associations dans le cadre de vos spectacles ?

    Dans le cadre du projet portrait de famille, j’ai eu à collaborer avec plusieurs activistes et associations.
Ce n’était pas facile et c’était stressant pour moi au point où je me suis sentie à un moment inutile. Lorsque j’envoyais les pièces pour lecture et appréciation, il n’y avait pas de retour.
Et même à la fin, lorsque certaines parlent du projet, elles citent toutes les activités qui ont minés le projet sauf mon activité théâtrale. C’est dire que, mon art a été remis en question. Ce qui me conforte, c’est que sur le terrain, les spectateurs étaient heureux et les retours positifs.
Si entre féministe on ne se soutient pas, qui le fera?

    Pour une meilleure avancée, il est essentiel de reconnaître le travail des autres sans distinction de quoique ce soit. Ensuite, il faut collaborer avec d’autres mouvements féministes. Et enfin, il faut avoir un langage commun en évitant les termes excluant et les stéréotypes.

Comment intégrez-vous la communauté locale dans vos représentations pour les rendre plus inclusives et accessibles ? 

    Pour que tout le monde se sente inclus, j’utilise un langage différent selon le milieu où je me trouve. J’utilise la langue vernaculaire quand il le faut, et le langage soutenu dans le milieu qui lui est destiné.

Quels sont vos objectifs futurs en tant qu’activiste féministe à travers le théâtre de rue ?
Mes objectifs futurs en tant qu’activiste féministe à travers le théâtre sont de produire un spectacle dans une salle avec tous types d’associations. Aussi, je voudrais continuer à dénoncer les injustices à travers les spectacles et mettre en lumière les histoires des femmes, les abus subis qui sont très souvent invisibilisés.
En dehors de la scène théâtrale, je compte créer une page professionnelle pour sensibiliser à travers le poème, dénoncer les injustices sociales, transformer les perceptions.
Aussi, j’envisage d’écrire un recueil de poème et le faire publier, parler à cœur ouvert de mon ressenti pour un monde plus juste et équitable.

Comment voyez-vous l’évolution du militantisme artistique, notamment pour les causes féministes, dans les prochaines années ?

    Je suis optimiste. De plus en plus d’artistes utilisent leur art pour dénoncer les inégalités et promouvoir le changement social positif.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes générations de femmes activistes qui souhaitent utiliser l’art comme moyen d’expression pour lutter pour leurs droits ?
     Tout ce que vous ne voulez pas dire, il faut l’écrire, le dessiner, le chanter… bref il faut l’exprimer à travers son talent.
Ne vous laissez pas gagner par le découragement et les haters. Préparez votre mental.
Brillez et faites briller vos talents. C’est ainsi que vous parviendrez à sensibiliser et faire entendre vos voix pour ajouter une couleur au changement social. Tel est mon message pour celles qui n’osent pas franchir le pas.

 

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Interview réalisée par Delores Pie

*Article réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes dite campagne #Médiatisonslesvoixféministes initiée par l’ONG opinion éclairée avec l’appui de la Foundation for a Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire. 

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