Le riz noir, nouvel or de la Côte d’Ivoire (reportage)

Le riz noir, nouvel or de la Côte d’Ivoire
Le riz noir, nouvel or de la Côte d’Ivoire

   Dans les bas-fonds marécageux de la ville d’Abengourou, Lucienne Pokou cultive cette variété de riz aux nombreuses vertus nutritionnelles.

        « Le riz noir est un riz complet qui a beaucoup de vertus nutritives. Je ne connaissais pas du tout cette variété de riz jusqu’à ce que mon mari ait le diabète. Lorsqu’il s’est mit à le consommer, il a constaté de nombreux bienfaits sur son organisme, et s’est donc lancé dans la culture de ce riz », confie Lucienne Pokou. Elle reprend les rênes du business rizicole – à son corps défendant -, suite au décès de son époux. Un choix qui s’est révélé payant in fine.

  « Je suis quelqu’un qui n’aime pas les travaux champêtres. Mais j’ai été obligé en quelque sorte de m’y consacrer. Car lorsque mon mari est décédé, j’avais les semences sous la main, et il fallait continuer le travail qu’il avait commencé. Aujourd’hui je ne regrette pas mon choix d’autant que je ne manque pas d’argent grâce à cette activité. »

   Selon plusieurs études épidémiologiques, les grains entiers permettent de prévenir l’apparition de diverses pathologies : diabète, cancers, maladies cardiovasculaires, obésité, hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux… Pour la rizicultrice, c’est donc un comble que la population ivoirienne continue de consommer abondamment le riz blanc importé des pays asiatiques -, eu égard aux valeurs nutritionnelles du riz noir.

      « Le riz noir est riche en fibres, en vitamines, en minéraux -, et en antioxydants etc. De fait, toutes les variétés de riz ont ces propriétés nutritives. Mais les gens préfèrent manger le riz blanc alors qu’il a perdu toutes ses qualités. Car il est poli, et c’est déplorable. Moi je conserve le son [enveloppe des grains], c’est cela qui lui donne cet aspect noir, et lui confère autant de qualités nutritives », explique-t-elle. Pour ceux qui ne veulent pas manger le son, ils peuvent consommer la version violet dépourvue de son. Les gens pensent que nous mettons des produits chimiques dans le riz alors que c’est sa couleur naturelle. »

Le riz noir, nouvel or de la Côte d’Ivoire
Le riz noir, nouvel or de la Côte d’Ivoire

Vente à domicile

    La rizicultrice cultive ces grains nourrissants dans les bas-fonds marécageux de la ville d’Abengourou – située à l’est de la Côte d’Ivoire. Faute de système d’irrigation, elle parvient difficilement à atteindre un niveau de production satisfaisant. « Vu que mon bas-fonds n’est pas aménagé, je cultive le riz une fois dans l’année. Je le cultive sur une période de trois mois. Et le reste du temps, je m’évertue à le commercialiser. Cela fait que je n’arrive pas à produire d’’importantes quantités. Si je parviens à équiper le bas-fonds d’un système d’irrigation performant, je pourrai cultiver le riz pendant toute l’année. »

    L’entrepreneure agricole qui a participé à plusieurs éditions du Salon International de l’Agriculture et des Ressources Animales (SARA) a vu ses ventes augmenter dans la foulée. « Je fais toujours de bonnes affaires en me rendant au SARA. Si l’évènement pouvait se tenir chaque jour [rires], cela m’arrangerait bien », affirme-t-elle. Conséquence ; elle sous-traite une partie de sa production à des cultivateurs en vue de satisfaire les besoins de sa clientèle. « Sans ces cultivateurs, je ne pourrai pas combler les besoins grandissants du marché. »

    Des ventes en constante augmentation qui pâtissent tout de même d’un faible circuit de distribution. L’agricultrice commercialise donc le nutraceutique quasi-exclusivement depuis son domicile. « Je n’ai pas de boutique donc les clients m’appellent, et viennent acheter le riz chez moi à la maison. Pour ceux qui ne peuvent pas venir à mon domicile, ils peuvent se rendre à la ‘’boutique paysanne’’ [boutique de vente de produits du terroir] située dans le quartier des affaires du plateau », formule Lucienne Pokou.

« Les banques ne financent pas l’agriculture »

    Autre ombre au tableau : le coût. Alors que le kilogramme de riz blanc importé est vendu en moyenne à 450 francs CFA [0,68 euros], le riz noir est commercialisé à 1000 francs CFA [1,52 euros] ; un prix rédhibitoire pour une bonne frange de la population qui végète avec moins de 1,90 dollar, soit moins de 1000 francs CFA, par jour. Ce en raison de coûts de production astronomiques. « Après la récolte du riz, il faut transporter les sacs dans un autre village – situé à des dizaines de kilomètres -, pour décortiquer les grains afin qu’ils soient comestibles. Je débourse 500 francs CFA [0,76 euros] par sac de 50 kilogrammes pour le transport vers ce village sans compter le coût de la décortiqueuse. Il faut ensuite supporter le prix du transport d’Abengourou à Abidjan à hauteur également de 500 francs par sac -, sans compter les autres frais annexes, une fois à Abidjan. Au final, tout cela rend le riz cher », explique Lucienne Pokou, sourire aux lèvres, malgré les nombreux écueils qui se posent au développement de son business.

     L’agripreneure espère acquérir – incessamment sous peu -, une décortiqueuse, et un véhicule de transport -, quitte à faire baisser, pourquoi pas, le prix du kilogramme de cette curiosité culinaire. Il n’en reste pas moins que les institutions bancaires rechignent à financer son activité comme c’est souvent les cas des entreprises agricoles en Côte d’Ivoire. Ce à cause des aléas climatiques. « J’ai approché plusieurs banques mais elles m’ont toutes répondu qu’elles ne financent pas l’agriculture. Elles m’ont dit qu’à cause de la sécheresse, et autres intempéries etc., il leur est difficile d’investir dans ce domaine. Car elles ne parviennent pas à en maîtriser tous les contours », raconte-t-elle un brin désenchantée.

      Pour une consommation estimée à 2,7 millions de tonnes – le riz est le troisième aliment le plus consommé en Côte d’Ivoire -, respectivement après l’igname et le manioc. Afin d’atteindre ses objectifs d’autosuffisance alimentaire « le gouvernement devrait soutenir davantage la filière rizicole locale, trop longtemps négligée », affirme d’un ton péremptoire, le président d’une coopérative agricole, qui a souhaité garder l’anonymat. Ce volontarisme politique est d’autant plus souhaitable car le pays produit environ 1,4 million de tonnes. Une production loin de pouvoir assouvir sa consommation domestique pantagruélique.

 

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     Et ce dernier d’ajouter : « la création d’un ministère en charge du développement du secteur rizicole est un pas dans la bonne direction. Il ne reste plus qu’à espérer que ce département ministériel ne soit pas qu’une coquille vide. Car en Afrique, nombre de postes ministériels sont créés sans cahier des charges réel, mais juste pour contenter des thuriféraires. Et des soupçons en ce sens pèsent sur ce ministère », non sans esquisser un rictus.

Arthur Miessan

Lemediacitoyen.com 

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