Portrait/ Mère à 14 ans, présente à l’école sans complexe

portrait mère à 14 ans
La fille mère Godowron Yvette affirme sa détermination à garder son fils auprès d’elle, tout en poursuivant ses études.

     Le turbulent  rejeton refuse d’être attaché au dos. Elle se force de le poser sur ses hanches, afin de maintenir son équilibre,  pour que son fils ne lui glisse pas des mains. Ce geste, elle le fait mécaniquement tous les jours,  se courbant et tenant l’avant-bras de l’enfant,  pour le faire plaquer d’un  tour de bras sur son dos. Puis, elle se redresse énergiquement, ne laissant aucune chance à son bébé de s’agiter.   

      Avec ses mouvements et gestes désormais devenus presque routiniers et parfaitement maîtrisés, Godowron Yvette  incarne déjà la lignée des mères tenaces et persévérantes qui, au fil des ans,  tracent les sillons de l’éducation de leurs progénitures.  

       Fille de Gasso Séri Dagobert et de Lasm  Nomely Cécile, Godowron Yvette, est née le 26 juin 2004 dans une maternité  de la ville de Gagnoa,  à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. C’est dans cette ville que son père, fonctionnaire de l’Etat ivoirien,  inscrit sa fille âgée de 8 ans,  dans une école primaire de ladite ville. Très vite,  Godowron Yvette s’adonne à cœur joie à ses études et obtient le certificat d’études primaires élémentaires (Cepe) au grand bonheur de sa famille, en 2016.

       Son géniteur à la retraite, elle quitte ses parents et rejoint un de ses oncles maternels  dans la capitale économique, Abidjan. Loin de se parents, elle doit se concentrer sur ses études. Inscrite en classe de 6ème au collège Chalome des deux Plateaux, une nouvelle vie commence pour Godowron Yvette. Les conditions d’étude ne sont plus les mêmes que celles qu’elle a connues à Gagnoa, dans la maison de son père. A Abidjan, elle doit se lever tôt pour aller à l’école. De retour des cours, la petite fille qu’elle est encore doit s’occuper du ménage. Préparer la nourriture pour toute la maisonnée, s’occuper des deux enfants de son oncle et aussi veiller à la propreté de la maison. C’est une corvée importante dont Godowron  Yvette doit s’acquitter  tous les jours. Ce qu’elle exécute avec abnégation et soumission.

      La jeune fille affectueusement appelée Gnonwry (amie de cœur) par ses parents, fréquente maintenant le collège et elle  commence à avoir des idées. C’est ainsi que Godowron Yvette  noue  des amitiés avec  son voisinage et aussi  avec quelques connaissances de son collège. Son oncle constate les escapades de sa nièce qui met beaucoup trop de temps pour rejoindre la maison après les cours. La docile et gentille demoiselle commence à pousser des ailes et adopte le comportement de jeune fille aux allures de citadine.

       Les visites  que lui rendent de  manière  inopinée ses  nouveaux amis  à la maison où elle habite avec son oncle, commencent  à attirer les soupçons de mauvaise compagnie sur elle.  La nouvelle parvient à ses parents restés  dans un village à Gagnoa, dans le grand Ouest de la Côte d’Ivoire. Sa mère, alertée, se dépêchée à Abidjan avec le secret espoir de veiller sur sa fille. Cependant, l’année 2017 s’achève normalement pour la jeune fille qui, sans trop de difficultés, passe en classe supérieure.

       Mais contre toute attente, les choses commencent à mal tourner pour Godowron Yvette qui, subitement, contracte  une  solide amitié avec un jeune homme déscolarisé vivant dans le quartier. Cette relation  est mal appréciée  par la mère  qui exige que sa fille se consacre exclusivement à ses études.   

      Même si sa liaison amoureuse lui vaut leurs remontrances, les  bulletins scolaires que reçoivent ses parents montrent les performances scolaires de leur fille. Sa mère, en particulier, maintient la pression sur sa fille qu’elle souhaiterait voir obtenir le Bac et poursuivre ses études à l’Université.

       Malheureusement, Godowron Yvette va contracter une grossesse en pleine année scolaire. Elle était juste en classe de 5ème.  Comble de malheur, la jeune fille ne s’en rendra compte que  cinq (5) mois plus tard.  Sa mère, bouleversée, crie à la trahison de sa fille et  menace d’arrêter ses cours. Par contre, l’oncle et tuteur qui fait office de père se montre plus compréhensif  et clément. Il convoque à cet effet l’ami de sa nièce, pour l’entendre. La famille se rend compte que leur gendre vit  encore sous le toit de ses parents et n’exerce aucune fonction, encore moins un métier.  

       Quant  à Godowron Yvette, elle n’est nullement complexée de porter une grossesse et  de continuer à aller à l’école, sans difficultés particulières. Ni les moqueries de certains élèves de son école, ni les injures des voisins de son quartier, encore moins les railleries des passants…rien n’entame son moral. Elle prend son destin en main et continue de braver les mauvaises langues. Animée d’un courage inébranlable, Godowron Yvette obtient de bonnes notes à l’école et ne rate aucune composition, aucun devoir de contrôle, aucune interrogation écrite.

       La grossesse semble la doper à tel point qu’elle occupe le deuxième rang au classement du 1er trimestre avec une moyenne de 14 sur 20. Au deuxième trimestre elle baisse de volume de travail et recule jusqu’au onzième rang avec 11 de moyenne sur 20. Mais contre toute attente, elle retrouve sa place de meilleure élève (3ème au classement) avec une moyenne de 14,75 sur 20. Sans répit, elle continue les cours jusqu’à la fin de l’année scolaire où elle accouche, au mois de juin 2018 d’un garçon, dans un hôpital, à Abidjan.

       Le bébé de celle que sa mère appelle affectueusement « Gnonwry », aura bientôt deux ans. C’est un petit garçon robuste et turbulent que Godowron Yvette ne quitte jamais  d’un pouce. Elle le surnomme « Gbagbadê », à cause de son agilité,  prompt à poursuivre le ballon en chiffon qu’elle lui  a confectionné. Tout son univers tourne autour de son fils qu’elle chérit et qu’elle choie à longueur de journée.

      Depuis la naissance de Gbagbadê, Godowron Yvette se sent investie d’une double mission. Donner une bonne éducation à  son fils et l’entourer de toute son affection  maternelle.

       Pour donner plus de chance au parcours scolaire de cette jeune fille-élève-mère de 14 ans, ses parents l’ont inscrite dans un autre collège privé à la Riviera II. Aujourd’hui, elle est en classe de 3ème.  Godowron n’a jamais abandonné les cours depuis que son fils est né. Une attitude courageuse qui oblige sa mère à porter une attention toute particulière non seulement à sa fille, mais désormais aussi à son petit-fils. Elle les considère naturellement comme ses enfants.

Jean-Baptiste Essis

jean.essis@gmail.com

 

  

Encadré

La loi punit désormais les auteurs

La loi n°2000 -513 du 1er août 2000 portant constitution de la Côte d’Ivoire prenant en compte notamment la lutte contre les grossesses en milieu scolaire, baptisé : « zéro grossesse à l’école »,  punit également les auteurs. Ces personnes  sont considérées comme étant de potentiels criminels. Pour donc endiguer ce fléau, le gouvernement  actuel organise, depuis 2014, des caravanes de sensibilisation à travers tout le territoire national. Des tournées au cours desquelles les autorités en charge de l’école ivoirienne  et leurs partenaires ont concocté  un  programme  qui permet de mettre à la disposition des élèves des préservatifs et des pilules ainsi que des ateliers d’information en matière de santé sexuelle et de reproduction. En plus de cela, la loi prévoit désormais des poursuites « contre les auteurs de grossesses en milieu scolaire ».

Faut-il le noter, les données statistiques produites  par la direction des stratégies, de la planification et des statistiques (Dsps),  en collaboration avec l’Institut National des Statistiques (Ins) et l’appui des agences du système des Nations Unies dont l’Unesco, indiquent que 5 076 cas de grossesses en milieu scolaire ont été enregistrés au cours de l’année scolaire 2013-2014, dont 973 cas en classes primaires. En avril 2014, une vaste campagne de sensibilisation a été lancée dans le pays pour lutter contre ce phénomène font savoir les organisateurs desdites statistiques.

Dans la même veine, il est indiqué que le  nombre de grossesses en milieu scolaire est passé de 390 cas de 2017-2018 à 442 cas au titre de l’année académique 2018-2019, soit une hausse de 13,3 %, consignée dans l’Annuaire statistique 2018-2019.

J.B.E

 

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L’information médiatique en Afrique : cherchez les femmes ! ( Par Birame FAYE, Institut Panos Afrique de l’Ouest)

 

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