Reportage/Abidjan, deux nuits dans la peau d’une prostituée

L'article de la journaliste est parue en 2013. (ND)

* Lemediacitoyen  vous propose cet article de la journaliste ivoirienne Nesmon De Laure qui montre la nécessité de légiférer sur la  situation des professionnelles du sexe dans le pays.


    Déguisée en prostituée, nous avons vécu de l’intérieur les péripéties du plus vieux métier du monde, deux nuits durant. D’Angré 8ème tranche à Marcory Zone 4, en passant par la commune de la joie, Yopougon, la vie n’est pas toujours rose pour la nouvelle venue sur le trottoir. Ici la réédition de notre article paru en septembre 2013. Reportage!

     Dix mille francs CFA pour la passe. Une surenchère qui déçoit notre premier client sur le trottoir, dans la nuit du jeudi 1er août 2013. « Vous avez pourtant des tarifs homologués autour de 5000 F ! », s’exclame, surpris, l’homme dans une voiture grise de type sport. Nous avons peut-être affaire à un habitué du coin. D’ailleurs, bien avant, c’est sans hésitation qu’il dirige les phares lumineux de sa voiture en notre direction, sur le pont d’Angré 8ème tranche, aux environs de 23 heures. Il ralentit et s’arrête au petit virage menant à la villa du médecin d’un ancien chef de l’Etat ivoirien. Un endroit obscur. Tel un maître des lieux, il prend ses repères et évite les regards curieux.

     Si au départ, le trio de filles présentes se dispute la ‘’proie’’, c’est sur le reporter que l’homme à la sportive porte son choix. Le client marchande dans un français soutenu. Il reste aussi attaché à son expression « tarif homologué». Malgré son apparence de nanti, le premier à nous interpeller ne compte pas aller au-delà de cinq mille francs. Tout ce scénario est rendu possible grâce à Natacha, une collègue d’un soir. Elle méconnaît notre véritable identité, quand elle nous autorise à occuper un périmètre du trottoir, sa propriété professionnelle. La quarantaine révolue, la jeune dame dit se prostituer depuis des lustres, sans en préciser la date.

« Tu dis que tu es venue chercher de l’argent pour régler un problème urgent de famille. Quand on va t’accepter ici, c’est pour venir déranger les gens tous les soirs, alors que les clients se font rares »

    Natacha a accepté le deal avec la promesse ferme de ne pas revoir ‘’sa concurrente’’ le lendemain. « Tu dis que tu es venue chercher de l’argent pour régler un problème urgent de famille. Quand on va t’accepter ici, c’est pour venir déranger les gens tous les soirs, alors que les clients se font rares. Actuellement, tu peux rester pour deux heures de temps. Mais si les autres filles arrivent et qu’elles se plaignent, je n’y pourrai rien.» Une mise en garde qui ne manque pas d’effrayer ‘’la débutante’’. Mais l’envie d’en savoir plus l’emporte. Il est presque minuit. Un ouvrage en ligne conseille aux tapineuses d’éviter le port de bijoux y compris les montres. Un client malveillant pourrait s’en servir pour les brutaliser. Des conseils que ‘’la néophyte’’ a pris le soin de réviser avant de se lancer dans cet inconnu. Ça caille fort dans l’obscurité. Peu importe. Les belles-de-nuit effectuent des va-et-vient sur le périmètre à squatter. Tiens ! Natacha a une petite altercation avec un jeune homme. Il est vêtu d’un pantalon jeans et d’un tee-shirt. Appelons-le Patrick. Patrick, quelque peu éméché après une virée dans un bar, tient à ramener Natacha à son domicile. Une proposition qu’elle refuse catégoriquement. Ce n’est pas l’apparence du jeunot qui la déplaît. « Avec mon expérience du trottoir, je ne peux pas accepter de ‘’gérer’’ (Ndlr, coucher avec le client) à domicile. En plus, il veut m’emmener vers les corps habillés là-bas et puis ils vont tous coucher avec moi sans rien payer», se méfie-t-elle. La péripatéticienne fait allusion à la rue qui longe le virage où nous marchandions tout à l’heure. Dans la zone, ne sont bâties que des villas de haut standing. Il y a deux mois, l’une de ses amies est partie dans cette même direction pour « gérer » à domicile avec un individu. La pauvre a fait mauvaise fortune. « Quand elle est arrivée dans la maison, le monsieur avait ses copains qui attendaient. Ils l’ont maltraitée et elle est tombée malade. C’est pour régler nos problèmes que nous venons sur le trottoir. Si on doit en retourner avec des problèmes, ce n’est plus la peine», raconte-t-elle.

     Sur le trottoir, la devise est toute simple : on prend le pognon, mais on ne le laisse pas nous prendre. A chacune sa stratégie de survie.

Natacha ne veut pas subir le même sort. Elle propose de satisfaire son client sur une touffe d’herbe à côté ou dans un hôtel de passe aux frais de ce dernier. C’est que dans les environs du trottoir se trouvent des maisons inachevées encerclées d’herbes. Les filles ont pour habitude de soulager leurs visiteurs dans ce secteur opaque. Mais Patrick ne l’entend pas de cette oreille. «Je suis un étudiant honnête et je suis du quartier. Je ne peux pas gérer dehors. Je vis en famille. Aies confiance, je ne peux pas te brutaliser. Tu connais le blanchisseur qui est à côté ici ? Il peut témoigner de mon honnêteté si tu le rencontres dans la journée. Allons-y, je vais faire vite pardon. J’ai déjà préparé la chambre d’ami en bas», supplie-t-il. Il n’en peut plus. L’effet stimulant de l’alcool est plus fort. Patrick propose d’augmenter le tarif. «Pardon, je vais ajouter mille francs sur les trois mille pour arrondir à quatre mille francs», marchande-t-il. Peine perdue pour lui. Natacha est déjà de l’autre côté du trottoir. Même ‘’la nouvelle prostituée’’ refuse la passe au looser. Il n’est pas encore temps de commettre un délit d’initié. Sur le trottoir, la devise est toute simple : on prend le pognon, mais on ne le laisse pas nous prendre. A chacune sa stratégie de survie. En tout cas, ce soir, Jules, un ami nous accompagne. Il est en même temps notre garde du corps, ne sait-on jamais. Nous nous acclimatons dans cet univers à qui mieux-mieux. Pour avoir l’air crédible, nos mains démêlent sans cesse une vieille perruque dénichée pour l’occasion. Le reporter se déhanche du haut des quinze centimètres de ses sandales compensées, une chaussure en vogue actuellement. Le surdosage des fards à paupières et du rouge à lèvres sont au rendez-vous. Si on veut se faire du fric, il faut absolument séduire !

  « N’accepte jamais les clients qui proposent d’aller sans capote. Ce sont des malades qui voudront te contaminer avec leur sale maladie. »

Il est urgent de légiférer sur la question des travailleuses du sexe afin d’assainir le milieu (Ph: DR)

      Aïcha et Titi qui totalisent chacune trois années d’ancienneté le savent déjà. Au carrefour suivant, elles ne se font pas prier pour coacher ‘’la nouvelle recrue’’. « C’est moi la baronne ici. Si une fille te chasse, ne bouge pas. Prends mon numéro de téléphone et appelles-moi dès qu’il y a un problème. Comme c’est jeudi, elles ne sont pas venues nombreuses. Mais demain, je vais te présenter aux autres », dixit Aïcha. Comme Titi, elle est d’un teint clair lumineux. La dernière citée est cintrée dans un collant à mi-mollet. L’autre, la baronne, se sent à l’aise dans sa petite robe rose. Le bruit de la mastication du chewing-gum par nos deux copines dérange. Mais c’est aussi le prix à payer. Aïcha, très prolixe poursuit : « ne ramène plus ce portable ici. Achète-toi quelque chose bon marché. Tu sais, nous sommes exposées sur la route. Il y a des bandits qui arrachent nos sacs. Si tu envoies ce Smartphone, tu risques de te le faire piquer. Quand tu gères un busi (entendez un business ou une affaire pour faire allusion à la passe), tu mets ton argent dans ton soutien-gorge. Prends le temps de te fabriquer une poche à l’intérieur du soutien-gorge avant. » Elles insistent surtout sur l’importance de se préserver, conscientes des dangers liés aux maladies sexuellement transmissibles. « N’accepte jamais les clients qui proposent d’aller sans capote. Ce sont des malades qui voudront te contaminer avec leur sale maladie. Tu es nouvelle dans le busi, ne laisses pas les gens te gâter. Ils ont couché avec toutes les prostituées endurcies des Vallons et ils viendront te pourrir la vie». Les bras nous en tombent. C’est bien Aïcha la prostituée qui parle ainsi de ses paires. D’ailleurs, elle sait parfaitement de quoi elle parle. Enrichie de ces conseils d’aînées, nous prenons possession du trottoir avec une démarche altière. Même si dans notre for intérieur, nous supportons difficilement les regards inquisiteurs des curieux. Minuit a déjà sonné. Les clients deviennent de moins en moins visibles. Autant prendre congé du pont de la 8ème tranche. Deux-Plateaux les Vallons. Nous sommes à deux carrefours après le restaurant asiatique la Nuit du Saïgon. La rue est vide. Aucune prostituée dans les parages. Selon plusieurs indiscrétions, le marché des Vallons n’est plus florissant. Ce qui explique la ruée vers la 8ème tranche. Il nous faut donc changer de trajet.

      «Ah bon ? C’est ici tu veux vendre ton c… ? On s’est battues pendant onze ans pour avoir ce territoire et tu vas venir nous concurrencer ? »

      A bord d’un taxi qui nous emmène à Yopougon en passant par le premier pont, via l’autoroute du Nord, nous avons le temps de souffler. Pour l’instant, tout semble se dérouler allègrement. Pourtant, nous comprendrons bientôt que c’est un pas de clerc que de le croire. Dans la cité de la joie, la vie n’est pas toujours rose. Du moins pas pour la ‘’belle-de-nuit novice’’. L’expérience vécue sur l’axe qui mène à l’institut des aveugles, non loin du carrefour Sable, en dit long. Les filles sont grincheuses et pas sympathiques. C’est à parier qu’elles viennent de consommer de la drogue, vu la couleur rougeâtre de leurs yeux. Ces jouvencelles n’ont que faire de la mesure d’interdiction de fumer en public. Ne commettez surtout pas l’erreur de leur confier que vous êtes nouvelle ou même celle de négocier un périmètre du trottoir auprès d’elles. «Ah bon ? C’est ici tu veux vendre ton c… ? On s’est battues pendant onze ans pour avoir ce territoire et tu vas venir nous concurrencer ? Toi djantra (Ndlr, prostituée en langue malinké) là, si tu ne disparais pas, je vais appeler ma vieille mère pour régler ton compte», menace la première interlocutrice, d’une voix rauque. Nous sommes dans la pénombre, devant un étal de cigarettes.

Il ne fait pas toujours bon vivre pour une nouvelle venue sur le trottoir (ph: DR)

      Derrière, des décibels égayent des clients. Regardez ces minettes d’à peine quinze ans ! Elles attendent elles aussi des clients ! Ici, il n’y a pas d’âge pour se prostituer. Les demoiselles alternent l’argot ivoirien et une langue commerciale. Une autre, maigre, porte une camisole de nuit, sans manche. Le froid ? Elle s’en fout. Sa cigarette la console. Elle tient ses petites jambes dans une jupe des plus courtes. Et, c’est elle qui corse l’intimidation à l’arme blanche. «Tu n’as pas dit que tu es têtue ? Quitte ici, sinon on va te déchirer le corps avec des lames !» Doux Jésus ! Ça commence à être chaud. Et pour en rajouter, un client à bord d’une Mercedes ralentit à notre niveau. Fait qui ne manque pas de vivifier le courroux des «propriétaires» terriens. Nos concurrentes ne nous laissent pas l’occasion de discuter avec ce dernier. Elles se ruent sur nous et s’opposent au marchandage. Un jeune homme qui suit la scène depuis le kiosque à café à quelques encablures, décide d’intervenir. La journaliste livre sa version de nouvelle prostituée brimée. Le jeune homme ne prend pas la peine d’écouter nos adversaires et prend partie pour nous. Heureusement. C’est un monsieur d’environ vingt cinq ans et de taille moyenne. Sûr de lui, il aspire une bouffée de cigarette et laisse le méandre bleu s’échapper de ses narines.

«Je veux qu’on partage de bons moments ensemble cette nuit. Je n’ai pas l’habitude de fréquenter ces endroits, mais quand j’ai vu ta forme, je ne pouvais pas résister. En plus, tu es propre. Tu n’es pas comme les autres filles. Tu veux combien ?»

     Il arbore aussi une trace de bagarre sur la tempe droite. En tout cas, son excitation cache difficilement son attitude agressive. Mieux vaut l’avoir avec soi que contre soi. Notre protecteur d’un soir s’adresse aux filles en langue malinké sous un ton menaçant. L’atmosphère se détend. On peut « travailler » tranquillement. Enfin presque, puisque les injures pleuvent en notre direction. Mais de loin. Pendant toute la durée de la rixe, le client à la Mercedes est en attente. Il a l’air gêné et propose d’avancer de quelques mètres. Nous le rejoignons à pied. Toujours avec cette démarche prétentieuse qui nargue les concurrentes. Ha oui, il s’agit aussi de vraisemblance, n’est-ce pas ? M. Konan, il s’appelle, demande plus qu’une simple passe. «Je veux qu’on partage de bons moments ensemble cette nuit. Je n’ai pas l’habitude de fréquenter ces endroits, mais quand j’ai vu ta forme, je ne pouvais pas résister. En plus, tu es propre. Tu n’es pas comme les autres filles. Tu veux combien ?» s’enquiert-il. Votre rédactrice n’est plus intimidée. Elle s’assoit sur le siège droit, dans la voiture. Comme quoi, après deux heures sur le trottoir, on s’adapte. La question est retournée à M. Konan. Combien veut-il payer pour toutes ces exigences ? Partager de bons moments ne suppose-t-il pas faire sortir ses meilleures cartes durant toute la nuit ? « Dix mille francs », propose l’intéressé à demi-voix. Evidemment, c’est peu. A Angré, il y a plus d’une heure, nous avions envoyé balader un client qui proposait le tarif homologué de cinq mille francs la passe. Dix mille francs, c’est le coût de deux passes. Du coup, nous réalisons qu’il est possible de se faire plus d’argent. Enfin, en se mettant dans la peau d’une vraie marchande d’amour… M. Konan argumente qu’il n’a pas de liquidité.

     Mais il serait prêt à introduire sa carte magnétique dans un guichet automatique pour doubler la mise. «Toi tu veux combien ?», relance-t-il. Une question à laquelle le reporter n’a pas le temps de répondre. «Hé petite sœur, sors ici ! Le môgô là perd ton temps. J’ai mon vié qui veut gérer, faut sciencer en pro. Les môgô de voiture ne donnent pas bon blé», nous interpelle le protecteur à la cicatrice de tout à l’heure. Il s’exprime en argot ivoirien pour nous demander d’abandonner le client et d’en rejoindre un autre. En réalité, il s’agit de rejoindre Jules, notre acolyte. Le protecteur est roulé dans la farine moyennant quelques pièces d’argent. Il ne fait plus autre chose que de défendre bec et ongles la cause de Jules. «Ma petite, viens ! Je vous accompagne dans un hôtel pour gérer. Ce n’est pas loin.» Le jeu ne nous déplaît pas. Mais c’est sans compter avec l’insistance de M. Konan. Il descend du véhicule et arrive à notre niveau, avant de se plaindre de l’avoir lâché aussi facilement. Peine perdue. L’hôtel où nous sommes conduits est un bâtiment défraîchi. Pour arriver à cet endroit, on a dû braver un quartier périphérique sans lampadaire. Chemin faisant, l’entremetteur indique des endroits où on peut «gérer» à ciel ouvert. Il se propose même de servir de couverture. Quel voyeur! Un tour dans le hall, puis de disparaître, morts de rire. Le protecteur à la cicatrice attend encore sa part de la rançon…

« Mon Dieu, s’ils savaient ce qui s’y trame la nuit ! On s’accouple débout, sans s’occuper du couple voisin.Nous en prenons plein la vue. Il faut filer d’ici »

    Autre lieu, autre réalité. Nous sommes maintenant à la mythique Rue princesse. Malgré le déguerpissement, la rue garde des traits de sa superbe comme une jolie mémé. On ne sent pas qu’il se fait tard tellement les passants animent la voie principale. Ici le prix est dérisoire. On comprend alors pourquoi M. Konan propose dix mille F pour une nuit inoubliable. Seulement mille deux cents francs sont exigés pour la passe. La péripatéticienne empoche le billet et les pièces reviennent à un portier. C’est un trentenaire qui se tient chaud grâce à son blouson. Lisez-bien. Si vous arrivez à son niveau, ne vous attendez pas à l’entendre longtemps parler. Il encaisse les deux cents francs et indexe simplement l’endroit où concrétiser le marché. C’est un garage tenu derrière la station Total. Pour l’atteindre, il faut contourner le restaurant Chez Hassan. La journée venue, d’honnêtes travailleurs vaquent à leurs occupations à cet endroit. Mon Dieu, s’ils savaient ce qui s’y trame la nuit ! On s’accouple débout, sans s’occuper du couple voisin. Nous en prenons plein la vue. Il faut filer d’ici.

      Toujours à la rue princesse, cette fois, nous sommes dans l’antre d’un monsieur que nous nommons Claude. C’est un gourou de la prostitution avec qui on discute pour se faire une place. D’une forme imposante, il est grand et de teint noir. L’industriel du sexe porte une boucle à l’oreille gauche. Le vieux père Claude dispose d’un bureau sur une petite véranda d’un l’hôtel. Il tient en main un stylo à bille. Et sur sa table, on aperçoit un registre ouvert. Son « industrie » est adossée à une boutique de Mauritanien, au deuxième carrefour de la rue princesse, en venant de la pharmacie Kenya. Pour franchir le seuil, il faut traverser un couloir exigu où patiente une file de filles. Nous n’avons pas la chance de nous tenir à la queue. La maison ferme dans quinze minutes, soit à une heure et trente minutes. Le reporter est prié de passer le lendemain pour se faire enregistrer. Impossible donc de squatter la devanture, ni de discuter avec un client. Les quinze centimètres de sandales compensées deviennent pesants. Les paupières sont lourdes. Il est temps de répondre à l’appel de Morphée.

« Avant de venir demain, mets bien tes formes en valeur. Tu es déjà jolie, mais on ne voit pas bien tes seins »

      Dimanche 4 août 2013. Marcory zone 4. Rue du canal. C’est notre deuxième nuit sur le trottoir. Mais on a l’impression d’être à une première nuit, tellement l’environnement est différent des sites sillonnés jeudi. Ici, on a affaire à des michetonneuses authentiques ! Pas que les précédentes ne le sont pas. Mais elles sont nombreuses à siffler le long de la rue. Il faut voir cette autre demoiselle changer de vêtement en plein bitume sans sourciller. Elle se maquille et se remaquille au vu et au su des badauds. Il est un peu plus de vingt-et-une heures. Pendant que les unes procèdent à leur mise en place, les autres travaillent déjà. Pour une nouvelle venue, c’est quelque peu embarrassant. A qui se confier ? Aucun signe de disponibilité. Enfin ! Ça y est ! Un petit groupe de racoleuses devise au carrefour. Les demoiselles rivalisent de pantalons tailles basses laissant voir leur bassin. Elles présentent des coiffures extravagantes. Certaines se déambulent sur de longs talons à bout pointu. Les tenues scintillent comme celles des stars hollywoodiennes sur scène. Nous saluons les filles poliment, avant d’afficher notre intention initiatique.

 

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      Au début, les deux « grandes sœurs », les plus anciennes de cette portion du trottoir, s’y opposent catégoriquement. Comme c’est le cas ailleurs, elles acceptent difficilement la concurrence. L’une a des formes généreuses et l’autre est tout le contraire. Notre insistance finit par payer, sans vraiment convaincre. «Quand vous venez au début, vous êtes toujours polie. On a déjà vu ça ici. Ne perds pas de temps, arrêtes-toi à ma droite ». La « grande sœur » aux formes généreuses vient ainsi de nous prendre sous son aile. «Pardon, ne casse pas le prix. N’acceptes pas en deçà de cinq mille francs. Si tu es trop moisie (dans le besoin) et que tu n’as pas de frais de transport pour retourner chez toi, tu peux descendre jusqu’à quatre mille. Mais ce sera de manière exceptionnelle. Si le client vient, tu commences par dix mille F d’abord», avertit la svelte qui cache mal son mécontentement. Le temps d’un silence et la grande sœur plantureuse examine du haut vers le bas votre rédactrice en quelques secondes.

    Comme Joan Rivers, la célèbre animatrice de l’émission de mode dénommée « fashion police» sur la chaîne américaine E, elle lâche sa sentence : « tu n’es pas très sexy. » Nous sommes un peu déçue du verdict. La «grande sœur» ne nous laisse pas le temps de nous expliquer et les recommandations pleuvent. « Avant de venir demain, mets bien tes formes en valeur. Tu es déjà jolie, mais on ne voit pas bien tes seins. Prochainement, il faut les mettre en exergue. Habitue-toi aussi à bien plaquer tes fesses », conseille-t-elle. Nous l’écoutons religieusement, pendant qu’elle insiste comme les autres devancières sur l’importance de se préserver. Eh oui, sans la capote, ça capote ! Sur le trottoir, l’instinct de survie est maître : «Si ton intuition te dit de ne pas suivre un client, respecte ton intuition. Ici, on rencontre tout le monde. Attends-toi au pire. D’autres vont te toucher sans payer. Des jeunes gens viendront se moquer de toi. Des filles vont te lancer des injures difficiles à avaler. Ne dis rien et prends ton argent».

    Sortie de cette immersion, nous prenons davantage conscience des réalités auxquelles s’exposent les filles de nuit. Des fillettes se retrouvent dans le lot. Les patrouilles de la police des mœurs ne semblent pas décourager clients et prestataires, malgré les risques divers. Et si les pouvoirs publics se penchaient un peu plus sur le sujet?L’État ivoirien pourrait légiférer sur la situation des travailleuses du sexe afin de garantir la sécurité dans le milieu, tout en épargnant les mineures.

Nesmon De Laure

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