Tribune, Unissons-nous contre la restriction de l’espace civique en Afrique francophone

La répression s’abat sur les voix dissidentes en Afrique francophone alors que la région va connaître de nombreuses élections cette année. Alors que plusieurs membres de Tournons la page sont actuellement en prison au Niger, le mouvement citoyen appelle à la mobilisation et à la solidarité !

Depuis plusieurs semaines, nous, militant.e.s des droits humains de toute l’Afrique,  observons avec crainte une restriction brutale de l’espace civique et une répression des acteurs de la société civile de l’espace francophone et particulièrement au au Togo, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Niger.

Au travers d’arrestations arbitraires et d’actes d’intimidations, les autorités de ces pays entendent museler les organisations de la société civile alors que des élections ont eu lieu ou sont prévues au cours de l’année 2020. Alors que la période électorale devrait être synonyme d’effervescence et de bouillonnement d’idées et de projets, elle rime de plus en plus avec violence et contrainte.  Les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, jadis regardés comme plus avancés que les pays d’Afrique centrale sur le plan démocratique, empruntent-ils eux aussi un chemin vers un autoritarisme flagrant ?  

Au Togo, après le déroulement de l’élection présidentielle du 22 février 2020 dans des circonstances douteuses, contesté par les organisations de la société civile et certains partis d’opposition, les autorités ont interdit toute manifestation et ont usé de manière disproportionnée de la force pour mater les manifestations de rue.

Alors que les manifestants appelaient à protester contre les résultats proclamés par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) au lendemain de la tenue du scrutin, les forces de l’ordre ont dispersé ces derniers, rassemblés devant le Collège Saint Joseph à Lomé, en utilisant des gaz lacrymogènes et en passant à tabac certains d’entre eux. Depuis lundi 16 mars, l’Assemblée nationale togolaise a levé l’immunité parlementaire de Gabriel Agbéyomé Kodjo, candidat malheureux à l’élection présidentielle qui revendique toujours la victoire et ses partisans redoutent désormais son arrestation. 

En Guinée, les interdictions des manifestations de rue au nom de la sûreté publique se multiplient et les violences à l’encontre des leaders de la société civile et des partis politiques, réunis au sein du Front National de Défense de la Constitution (FNDC), redoublent.

Le 6 mars dernier, Ibrahima DIALLO et Sékou KOUNDOUNO, deux leaders de la société civile et membres du mouvement Tournons La Page ont été interpellés au domicile du premier par des agents de police encagoulés, munis de gilets pare-balle et armés. Cette interpellation aux airs de kidnapping s’est faite non sans violence :  des policiers ont brisé le portail, la porte d’entrée du domicile de Monsieur DIALLO et saccagé sa maison, en brutalisant dans la foulée son épouse.

Avec 2,5 millions d’électeurs à supprimer de son fichier électoral sur recommandation de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de la CEDEAO en quelques jours, une contestation massive et un rejet de la communauté internationale ; qui peut croire que le scrutin législatif et le référendum sur la constitution seront autre chose qu’un pas de plus vers l’illégitimité d’un régime aux abois ? 

En Côte d’Ivoire, le 11 mars dernier, 10 membres de Tournons la Page-Côte d’Ivoire ont été arrêtés à Yopougon Siporex alors qu’ils organisaient des activités pacifiques de sensibilisation contre la modification de la constitution ivoirienne sans consultation du peuple, prévue et annoncée dans les prochains jours par le président Alassane Ouattara. Ainsi, même lorsque certains présidents, comme Alassane Ouattara, assurent qu’ils quitteront le pouvoir après l’exercice de leur second mandat, le champ des libertés publiques et civiques ne s’en trouve pas pour autant plus accessible pour les citoyens et défenseurs des droits humains.

Ouvrir l’espace public à toutes les parties prenantes est une condition toute aussi décisive que le respect des mandats présidentiels pour s’assurer d’un scrutin sans violence en Côte-d’Ivoire. 

Au Niger, le 15 mars dernier, lors d’un meeting visant à dénoncer la dilapidation de milliards de FCFA (millions d’euros) impliquant des hommes d’affaires et des responsables gouvernementaux dans l’achat de matériels militaires destinés à la lutte contre le terrorisme, des heurts entre la police et les manifestants ont provoqué la mort de trois personnes. Entre le 15 et le 17 mars, 8 membres de la société civile dont le coordinateur national de Tournons la Page-Niger Maïkoul Zodi, ont été arrêtés pour avoir participé à ce rassemblement anticorruption et poursuivis pour « participation à une manifestation non autorisée ».

La veille, un communiqué du gouvernement avait certes interdit les rassemblements de plus de 1000 personnes pour cause de pandémie de coronavirus mais aucune interdiction officielle par autorités administratives de Niamey n’avait été adressée aux organisateurs du meeting, comme la loi le stipule. L’usage du coronavirus comme un prétexte pour museler les voix dissidentes ne fait pas de doute alors que quelques jours plus tôt le journaliste et lanceur d’alerte Mamane Kaka Touda, a été arrêté pour « diffusion de fausse information visant à troubler l’ordre public » pour avoir relayé sur les réseaux sociaux le fait qu’un cas suspect de coronavirus était en cours de traitement à l’hôpital de Niamey. 

Nous, militant.e.s des droits humains, condamnons et déplorons cette restriction manifeste de l’espace civique en Afrique de l’Ouest. Nous apportons notre soutien le plus total à nos frères injustement détenus et rappelons toute l’admiration que nous leur portons. 

Face à cette situation, nous ne pouvons baisser les bras ; la maladie autoritaire qui frappe l’Afrique n’est pas une malédiction ! Elle appelle au sursaut, à la solidarité et à l’unité,  elle nous exhorte à encore plus de courage et de détermination. Ensemble, nous pouvons ! Unissons-nous pour faire face et proposer des alternatives démocratiques partout en Afrique. 

 

LE COMITÉ DE PILOTAGE DE TOURNONS LA PAGE : 

Marc Ona ESSANGUI (Président), Jean-Chrysostome KIJANA (VIce-Président), Brigitte AMEGANVI (Trésorière), Alexandre Didier AMANI (Côte-d’Ivoire), Janvier BIGIRIMANA (Burundi) Ibrahima DIALLO (Guinée), David DOSSEH (Togo), Ali IDRISSA (NIGER), Brice MACKOSSO (Congo).

   

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