Koné Karna Eugène est un jeune homme engagé pour les droits des femmes. Il milite pour l’égalité des genres et les droits des femmes. Pour lui le sujet des droits des femmes est d’une importance capitale. De ce fait il y est engagé, cela depuis son plus jeune âge. Aujourd’hui à 26 ans, il milite spécifiquement sur la question du droit et l’accès à l’avortement sécurisé en Afrique francophone.
La genèse de son combat
Son engagement a commencé sur la question dès son enfance. Il grandit pratiquement avec sa mère, son père travaillant dans une localité voisine. Issu d’une fratrie de 6 dont une seule fille, il est le Benjamin de la famille. Dans cette famille Sénoufo, il reçoit une éducation sans aucun stéréotype de genre. Chez eux, il n’y a pas de tâches dédiées aux filles et celles dédiées aux garçons. Tous les enfants effectuent toutes les tâches ménagères sans distinction de sexe.
Aussi dès l’âge de 8 ans, il adhère au scoutisme. Un mouvement éducatif pour les jeunes, fondé sur le volontariat. C’est là qu’il apprend les concepts de défense des droits des femmes, l’Équité, l’égalité. Puis à l’âge de 14 ans il participe au programme des Enfants Reporters de UNICEF (en partenariat avec Children Radio Foundation et l’Association des Scouts Catholiques de Côte d’Ivoire – ASCCI ) devenu aujourd’hui Jeunes Reporters. Les thématiques abordées tournent autour des violences basées sur le genre (VBG), l’excision ou encore le mariage forcé. Cela lui ouvre véritablement les yeux sur les problèmes spécifiques auxquels sont confrontées les femmes dans la société.
Ainsi, après des études de publicité et Marketing à l’ISTC Polytechnique – Institut des Sciences et Techniques de la Communication, son engagement devient plus professionnel. Il embrasse une carrière à Engender Health, une organisation internationale américaine qui travaille sur les questions de santé publique et qui met au cœur de ses actions le genre. Dans cette organisation, il apprend énormément sur la thématique de la santé sexuelle et reproductive et plus spécifiquement sur la question de l’avortement sécurisé.
Un engagement de plus en plus professionnel
L’un des premiers projets sur lequel il travaille à Engender Health s’intitule « amplifier la voix des femmes et des filles pour l’accès à des soins de qualité de santé sexuelle et reproductive « . En effet, il s’agissait d’une campagne avec les influenceurs pour briser le tabou autour de l’avortement sécurisé. La campagne était digitale et télévisée et avait pour objectif de sensibiliser l’opinion sur la question.
Aujourd’hui, il est le responsable de la communication du Centre ODAS. C’est l’Organisation pour le Dialogue pour l’Avortement Sécurisé en Afrique francophone. « Mon travail actuel au Centre ODAS est dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive plus spécifiquement sur la thématique de l’avortement sécurisé. » Nous explique-t-il. Le Centre ODAS coordonne les différents partenaires qui travaillent sur la question de l’avortement sécurisé à travers l’Afrique francophone (le Mouvement ODAS). Il couvre 22 pays, et a pour mission de connecter toutes les organisations (internationales, le gouvernement, les institutions, les organisations de jeunes, les organisations féministes, les organisations à base communautaire…) autour de la question de l’avortement sécurisé. Cela pour que les actions soient coordonnées et qu’elles aient un réel impact.
Les défis d’un homme militant pour les droits des femmes
En tant qu’homme qui défend les droits des femmes, Karna est confronté à certains obstacles parmi lesquelles les attaques personnelles. En effet, les enjeux et la nécessité de promouvoir l’avortement sécurisé ne sont pas toujours bien perçus auprès du public en raison de plusieurs facteurs au nombre desquels les croyances religieuses et normes sociales. De ce fait, se faire traiter de « tueur de bébé » est monnaie courante. De plus il lui est aussi reproché de ne pas être un « vrai homme africain ».
En conséquence, dans l’environnement familial et dans son cercle amical, son engagement n’a pas été bien accueilli au départ. Il faut dire que la thématique de l’avortement sécurisé si elle n’est pas expliquée n’est pas toujours comprise et provoque des réticences. Alors il lui a fallu déconstruire les idées reçues. Cela en évoquant les dangers des avortements non sécurisés, les taux de mortalité maternelle qui y sont liés etc. Même si son entourage n’est pas forcément d’accord, il comprend de plus en plus la pertinence et a fini par accepter son travail.
Son amie et ancienne collaboratrice Blandine Yéo témoigne « Karna est cette personne engagée qui m’a embarquée dans le monde du militantisme et des ONG, il est profondément engagé dans la lutte pour que chaque femme ait le droit de prendre des décisions éclairées concernant son corps. Malgré le fait que certaines personnes l’insultent, ou le traitent de fou par ce qu’il s’intéresse à cette question sensible qu’est l’avortement sécurisé, il n’abdique point. »
Un cadre juridique en lente évolution
Bien que la Côte d’Ivoire ait ratifié en 2011 le protocole de Maputo dont l’article 14 aborde particulièrement la santé sexuelle et reproductive, ainsi que le droit des femmes à disposer de leur corps, le pays ne dispose toujours pas d’une loi sur la santé sexuelle et reproductive à ce jour.
Néanmoins, depuis juin 2024 le code pénal a élargi les cas d’accès à l’avortement sécurisé. Ce sont en cas de Viol ; Inceste ; Grossesse mettant en danger la santé mentale et physique de la mère et Grossesse mettant en danger la vie de la mère.
Il considère cela comme une petite avancée. « Cela démontre l’engagement et la volonté de l’État à sauver la vie de nombreuses femmes » salue-t-il. En effet, il ressort de ses explications que la restriction pousse de nombreuses femmes et filles à recourir à des avortements non sécurisés, exacerbant un taux de mortalité maternelle déjà alarmant avec 385 décès pour 100 000 naissances vivantes (Source : Enquête Démographique et de Santé de 2021).
Selon PMA 2020 environ 230 000 femmes ont recours à l’avortement chaque année, et 60 % le font dans des conditions dangereuses, entraînant des complications graves pour 10 % d’entre elles. Parmi les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, 78 % des avortements sont jugés à risque, contribuant à 21 % des décès maternels dans le pays. Il est crucial de renforcer les efforts pour sécuriser l’accès à l’avortement afin de réduire la mortalité maternelle et protéger la santé des femmes et des adolescentes.
Sensibiliser l’opinion pour briser le tabou
« L’un des éléments sur lesquels on doit beaucoup mettre l’accent pour sensibiliser l’opinion est de travailler les connaissances individuelles » suggère Karna avant de déplorer toutefois que les gens ne comprennent pas le sens de son combat.
Il pense tout de même qu’il faut amener le débat sur la place publique, intensifier la sensibilisation car plus le débat est sur la place publique, plus on pourra briser le tabou autour de la question et mieux sensibiliser l’opinion.
« En tant qu’homme, je puis vous assurer que tous les hommes connaissent au moins un homme qui a déjà fait avorter une femme. Sur la place publique j’estime que les gens sont hypocrites sur cette question » regrette-il. Néanmoins, il pense qu’en tant qu’acteurs de promotion de ces thématiques, la communication sur la question devrait respecter les normes en la matière de sorte à ne pas entretenir les stéréotypes déjà existants sur le sujet. Pour ce faire, cela implique une bonne formation des différents acteurs.
Son ambition dans son combat pour l’égalité et ses recommandations aux jeunes
Son ambition est de créer un espace où les hommes peuvent discuter sans langue de bois. La société Conditionne la façon de penser des hommes. » Un homme ne doit pas se montrer vulnérable, un homme ne pleure pas » alors que les hommes restent des humains et parfois, ils traversent des situations dont ils souhaiteraient parler avec d’autres hommes sans subir les railleries. L’idée aussi c’est d’encourager la déconstruction à travers cet espace. Cela ne se fera pas du jour au lendemain car les changements de comportement prennent des années à arriver. « Mais toujours est-il que cela se fera au fil du temps. » Espère-t-il.
Il pense que les hommes sont tout aussi concernés par la question des droits des femmes. Il les encourage à s’engager mais en n’essayant pas d’accaparer de l’espace. En effet pour lui, le sujet concerne la femme et donc la parole devrait revenir d’abord aux femmes. Il ne faudrait pas que les hommes soient plus mis en avant que les femmes elles-mêmes sur un sujet qui concerne les droits des femmes.
En revanche, il croit que les hommes sont également concernés et devraient soutenir ce combat pour les droits des femmes car il s’agit d’une question de justice sociale.
« En vérité les hommes qui agressent les féministes sur les réseaux sociaux se sentent menacés car ils ont une mauvaise compréhension du combat féministe. » Ajoute-t-il.
À des jeunes qui souhaitent s’engager sur la question des droits des femmes, il conseille d’avoir un esprit ouvert et critique. Selon lui lorsqu’on s’engage, on est bouleversé non seulement par les nouvelles choses qu’on apprend mais aussi par la société et l’entourage. Par exemple pour ceux qui sont chrétiens, l’avortement est prohibé par la religion chrétienne. Cependant dans les faits sur le terrain, c’est une réalité et une nécessité avec laquelle l’on doit faire. L’avortement sécurisé en plus de renvoyer à l’autonomie corporelle vient répondre à un problème de santé publique. L’avortement sécurisé est reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé comme un service de santé est c’est un droit auquel toute femme devrait avoir accès. Il faut donc un esprit critique et assez ouvert pour pouvoir défendre cela.
Enfin, il prévient qu’en tant qu’homme, il faut être résilient car il faudra se faire sa place. « En tant qu’homme, on ne vient pas défendre les droits des femmes en venant être la méga star de l’espace, en voulant invisibiliser les femmes » conclut-il.
Delores Pie
Lemediacitoyen.com
*Cet article est rédigé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire mise en œuvre par l’ONG Opinion Eclairée avec l’appui de la Foundation for a just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.
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