Solange Koné est coordinatrice de la Marche Mondiale des Femmes (MMF) pour la Côte d’Ivoire. Elle a été pendant 6 ans coordinatrice Afrique dudit mouvement. La Marche Mondiale des Femmes est un mouvement d’action international et féministe réunissant des groupes et organisations de base qui œuvrent à l’élimination des origines de la pauvreté et des violences faites aux femmes. Elle est également Co-fondatrice du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) Afrique qui a un secrétariat partagé avec le Maroc. Le siège est à Liège en Belgique.
En marge de la 4e édition de l’université d’été du réseau CADTM Afrique, qui se tient à Abidjan du 25 au 27 juillet 2024 avec pour thème « Prévenir le scénario des décennies économiques <<perdues>> : regard féministe sur la crise de la dette en Afrique, la nécessaire réforme de l’architecture financière internationale et le régime fiscal mondial », elle nous a accordé un entretien sur la problématique de la dette pour les pays pauvres en lien avec les droits des femmes.
Pourquoi le choix de ce thème?
Le choix de ce thème s’explique tout simplement par le fait que la question de la dette est fondamentale pour le développement de nos États en voie de développement. Je travaille pour le secteur de la santé et dans ce système lorsqu’on demande au gouvernement de le financer, on nous répond qu’il y a le remboursement de la dette et que de ce fait, on ne peut pas se permettre de financer certains aspects très importants dudit secteur. On privilégie donc le remboursement de la dette au détriment de l’investissement pour le Développement du secteur de la santé.
Impact de la dette sur la santé, l’éducation des femmes
Pourquoi choisir de parler de la crise de la dette avec un regard féministe ?
En effet lorsqu’on on prend le secteur de l’éducation nationale, en se basant sur les données actuelles, les personnes les moins alphabétisées, scolarisées sont les femmes. Si on prend le secteur de la santé, les personnes qui ont plus de besoin en la matière sont les femmes car en dehors des maladies qui touchent spécifiquement les différents genres, il y a certaines maladies qui touchent spécifiquement les femmes (cancer du sein, cancer du col de l’utérus) ect. Aussi la procréation ne concernce que la femme et elle engendre des besoins spécifiques en matière de santé. En conséquence, si il y a des questions de dette qui empêchent le développement, l’impact est plus important sur les femmes. C’est la raison pour laquelle nous pensons que parler de la question de la réduction de la dette et parler des droits de la femme sont deux sujets qui sont étroitement liés.
En ce moment le débat sur la question de la dette occupe l’espace public, les plateaux télé et les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. De votre point de vue est-ce que la dette octroyée par les organismes internationaux à l’état de côte d’ivoire pourrait impacter négativement la vie des femmes dans ce pays?
Tout à fait. En effet, l’endettement n’est pas la difficulté. C’est l’utilisation qu’on en fait et les pressions politiques derrière qui sont les problèmes. Nos chefs d’état ont des programmes à développer pour leurs citoyens. Mais lorsque dans le développement de ces programmes à l’endroit des citoyens, ils ont des contraintes telles qu’obéir à des institutions internationales, ça détourne les élus de ce qu’ils devraient faire pour le peuple. Ça les détourne du développement qui pourrait profiter au peuple. Nous sommes un pays agricole, nous produisons le cacao et le café ici, pourquoi nous ne le transformons pas ici? C’est justement dû aux contraintes de la dette. L’impact est sur toutes les personnes mais particulièrement sur les femmes car si vous prenez notre pays, les femmes occupent majoritairement le secteur informel et c’est ce secteur qui est le plus touché par les contraintes de la dette.
Est-ce que la dette a eu un impact sur les femmes dans les autres pays?
Les mêmes impacts sont observés dans tous les pays concernés par la dette. C’est la raison même de cette université d’été. Vu que nous avons les mêmes problèmes, nous essayons de trouver des solutions communes. Réfléchir en synergie afin de dégager des réponses communes pour nos pays telle est la mission que nous nous assignons au cours de cette université d’été qui réunit 15 pays.
Propositions de solutions
Comment entrevoyez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire au regard de toutes ces dettes octroyées par les organismes internationaux?
Pour l’instant, la situation n’est pas encore catastrophique. Néanmoins, nous recommandons aux autorités d’être vigilants. Ici en Côte d’Ivoire, si la gestion des ressources issues de l’argent de la dette tels que les ponts et les routes est efficiente, ce sera à notre avantage. Mais si on laisse la corruption prospérer ce sera donc l’effet inverse et ce sera le gouffre.
Quelles alternatives proposez-vous à nos Etats pour amorcer leur développement en se passant de la dette?
Comme alternatives, nous proposons à nos États en voie de développement de mettre leurs citoyens au centre, de tout programme de développement. En effet, un état n’a pas d’argent, ce sont les citoyens qui en ont. Par conséquent, si les citoyens sont effectivement les pourvoyeurs des ressources, il faut leur rendre compte. Il faut faire le point des cotisations des impôts et en faire profiter les populations. Si les recettes sont mieux partagées, cela résoudra la question de la dette car si les populations bénéficient des fruits des recettes, elles seront prompt à payer leurs impôts car elles sont certaines que cela leur est directement profitable.
Est-ce que vous pensez que les organisations de défense des droits des femmes sont outillées sur la question de la dette? Que pensez-vous qu’elles devraient faire?
Les organisations de défense des droits des femmes sont outillées sur la question de la dette. Seulement, elles n’ont pas encore le courage d’exprimer clairement leurs besoins notamment le fait qu’elles souhaitent que l’argent des impôts leur soit également profitable. Ainsi elles devraient inclure ce sujet dans leur projet, elles devraient avoir le courage de s’exprimer sur la question et en faire un plaidoyer.
Delores Pie
Lemediacitoyen.com
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