Avortement sécurisé en Côte d’Ivoire : Le Docteur Agossou Brise le silence

Avortement sécurisé un pan des DSSR
Dr Béniel Ulrich Agossou médecin généraliste certifié en santé reproductive

    Dr Béniel Ulrich Agossou est médecin généraliste certifié en santé reproductive. Il est par ailleurs le conseiller technique en systèmes de Santé et droits à la santé sexuelle et reproductive (DSSR) au Centre ODAS. C’est l’Organisation pour le Dialogue sur l’Avortement Sécurisé en Afrique francophone. La Côte d’Ivoire n’autorise l’avortement sécurisé qu’à certaines conditions. Dans ce contexte, il s’est confié à nous dans un entretien sans langue de bois. En effet, avec l’introduction de l’article 427 nouveau du code pénal, l’avortement peut être autorisé pour la femme victime ou survivante de viol en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, l’alinéa 3 de cet article n’autorise l’avortement que dans le cas où la grossesse menace la santé physique et mentale de la mère.

Au cours de notre échange, Dr Agossou a défini de prime abord l’avortement sécurisé comme enjeu de santé publique, puis il a relevé l’impact des restrictions et de la stigmatisation ainsi que le rôle des acteurs de la société civile et des professionnels de la santé.

                  L’avortement sécurisé : un enjeu de santé publique
   

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’on entend par « avortement sécurisé » et pourquoi c’est une question essentielle de santé publique ?

    L’avortement consiste à mettre fin à une grossesse avant que l’embryon ou le fœtus atteigne la viabilité ou puisse survivre en dehors de l’utérus. L’avortement peut être provoqué ou spontané. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’avortement est considéré comme sécurisé lorsqu’une grossesse est interrompue à l’aide d’une des méthodes recommandées par l’OMS (adaptée au terme) et que la personne qui pratique l’avortement possède les compétences requises.

    En outre, les avortements ne sont plus limités aux établissements de santé ou aux cabinets médicaux, ils sont de plus en plus pratiqués à domicile, avec le soutien, les informations et/ou les médicaments fournis par des personnes formées, en personne, par téléphone ou en ligne. Des avortements sécurisés peuvent être pratiqués dans des cliniques où le personnel est formé et attentif, et des soins d’avortement sécurisé peuvent être obtenus grâce à des informations précises et à l’utilisation de comprimés en dehors d’une clinique.

    L’avortement est reconnu par l’OMS comme un soin de santé essentiel dans le continuum des services de santé reproductive. Que son avortement soit spontané ou provoqué, qu’il soit légal ou illégal, chaque femme a droit à un counseling et à des soins médicaux rapides et de qualité. Elle a également le droit d’être informée sur son état et de choisir de manière libre et éclairée entre les différentes options possibles.

    Dans la plupart de nos pays ou les ratios de mortalité maternelle restent encore alarmants et très loin des Objectifs de développement durable (ODD), l’avortement à risque et ses complications restent l’une des toutes premières causes de mortalités et de morbidité maternelle (chiffres existants varient en moyenne entre 15 et 25%). C’est dire que pour atteindre de meilleurs indicateurs de santé et réduire les décès maternels évitables il urge d’adresser la question de l’avortement. 

 

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    Quelles sont les conséquences d’un avortement non sécurisé sur la santé des femmes ?

Les conséquences sont multiples. Il peut s’agir d’une infection localisée (utérus, abdomen) ou généralisée réalisant un sepsis (septicémie), des hémorragies pouvant conduire à une anémie et un état de choc hémorragique, des intoxications, des traumatismes d’organes (Perforations Déchirures, Brochures et érosions), de séquelles post traumatiques comme les fistules, de grossesses ectopiques et de décès. Les conditions de réalisation d’un avortement à risque peuvent laisser un lourd traumatisme psychologique à la femme.

                   Les conséquences des restrictions et de la stigmatisation

    Comment les lois restrictives sur l’avortement poussent-elles les femmes à se tourner vers des pratiques dangereuses ?

    Lorsqu’une personne n’a pas accès à un avortement sécurisé ou lorsque d’autres obstacles, tels que la stigmatisation, se dressent sur son chemin, elle risque d’opter pour des solutions dangereuses. Les avortements non sécurisés peuvent avoir des conséquences telles que la mort ou des séquelles sur la santé. Dans le monde entier, les femmes gèrent leur fertilité depuis des générations. Elles continuent à le faire au 21e siècle, qu’elles aient ou non accès à des soins de santé sécurisés. Comme il a été démontré dans le cadre d’une étude en 2017 publiée par l’OMS et l’institut Guttmacher, les lois restrictives ne réduisent pas le nombre d’avortements, mais augmentent le recours aux avortements à risque.

 

    Pourquoi l’avortement reste-t-il un sujet si controversé malgré les preuves de son importance pour la santé des femmes ?

    L’avortement reste un sujet controversé du fait du poids des croyances, normes sociales, culturelles et religieuses dans nos pays. La stigmatisation de l’avortement est alimentée par des normes et des messages qui stigmatisent la sexualité des femmes ou qui suggèrent que les femmes doivent devenir mères pour être valorisées. Devenir mère pour remplir son rôle de femme est l’un des stéréotypes de genre les plus forts. On parle parfois de « maternité obligatoire ». Les sociétés jugent souvent négativement les femmes qui ne deviennent pas mères, que ce soit par choix ou en raison des circonstances. Celles qui décident d’interrompre une grossesse sont particulièrement pointées du doigt. Lorsqu’il faut suivre des normes ou des stéréotypes de genre imposés pour être traité avec respect et dignité, ceci devient problématique ou nuisible, et peut même être à l’origine de graves violations des droits humains. 

    La controverse est entretenue par de nombreux mythes et la désinformation sur l’avortement. Du fait de la nature patriarcale de nos sociétés qui réduisent la femme à son rôle reproducteur, la question de l’avortement a toujours été controversée. La question de l’avortement replace au centre des débats la question du choix et du droit à l’autonomie corporelle des femmes dans un contexte où dans la sphère privée (famille et conjoint) ou public (État, système), des personnes s’arrogent le droit de contrôler le corps de celles-ci.

    Quelles sont les principales raisons qui poussent une femme à avorter, et pourquoi est-il crucial de respecter ces choix ?

    Les raisons qui peuvent pousser une femme à avorter sont variées, extrêmement personnelles et varient selon le vécu et les contextes. Dans certaines situations, il s’agit d’une grossesse susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle, morale, sanitaire, psychologique, physique incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naitre. Dans d’autres, situations la grossesse peut résulter d’une agression sexuelle, d’un viol ou d’un inceste.

    Il est crucial de respecter ses choix parce que l’accès à des services d’avortements sécurisés permet de protéger la santé des femmes en évitant les risques associés aux avortements à risque. L’avortement est reconnu par l’OMS comme faisant partie du continuum des soins de santé reproductifs et de ce fait implique le droit à la santé. Aussi chaque femme a le droit de disposer de son corps et de prendre des décisions concernant sa santé reproductive. Permettre aux femmes de choisir l’avortement contribue à l’égalité des sexes en leur donnant le contrôle sur leur avenir et leurs opportunités de vie. Enfin la décision d’avorter est souvent personnelle et intime. Respecter ce choix, c’est aussi respecter la vie privée et les circonstances individuelles de chaque femme.

 

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    Comment la stigmatisation de l’avortement affecte-t-elle les femmes qui y ont recours ?

    La stigmatisation de l’avortement correspond aux croyances négatives et aux traitements humiliants en lien avec l’avortement. La stigmatisation de l’avortement est à la base des menaces et diverses formes d’oppressions, de harcèlement, de discrimination, voire d’agressions physiques à l’endroit des femmes qui y ont recours. Elles sont contraintes à une isolation avec un risque d’anxiété et de dépression. La stigmatisation de l’avortement complique l’accès des personnes à des soins d’avortement sécurisés amenant les gens à rechercher des options non sécurisées pouvant leur laisser des séquelles, voire les tuer. Ces séquelles et ces décès provoqués par des services non sécurisés sont parfaitement évitables. Il est important de combattre la stigmatisation intentionnelle ou non.

    Quels sont les impacts psychologiques et sociaux des restrictions sur l’avortement, notamment pour les jeunes filles et les victimes de violences sexuelles ?

Les restrictions sur l’avortement pour les jeunes filles et les victimes de violences sexuelles constituent un double fardeau. Elles exacerbent la vulnérabilité psychologique et accroissent le traumatisme en forçant à mener à terme une grossesse non désirée. Cela peut mener à des troubles de santé mentale à long terme, comme la dépression et un stress post-traumatique. Un isolement, une aggravation des inégalités socio-économiques et un accès limité à l’éducation et aux opportunités d’autonomisation s’ajoutent au tableau.

                              Le rôle des professionnels de santé et de la société civile

    Quel rôle jouent les professionnels de la santé et la société civile dans la défense du droit à un avortement sécurisé ?

    Les professionnels de la santé et la société civile influencent les différentes composantes de durabilité de l’écosystème de l’avortement. Iels contribuent à rendre disponibles les informations de qualité, exactes et précises pour augmenter les connaissances individuelles, l’autonomie, le soutien social et déconstruire les normes pour parvenir à une déstigmatisation de l’avortement. Les professionnels de la santé et la société civile mènent également le plaidoyer pour l’amélioration des lois et politiques en lien avec l’avortement en vue d’aboutir à une décriminalisation comme le recommande l’OMS. La société civile joue aussi un rôle important dans l’accès aux services à travers les mécanismes de référencement, les hotlines. Quant aux prestataires engagées, iels travaillent à offrir des services de qualité centrés sur la femme.

     Que répondez-vous à ceux qui estiment que faciliter l’accès à l’avortement encourage son usage excessif ?

    Faciliter l’accès à l’avortement ne signifie pas encourager son usage excessif, mais plutôt garantir que les femmes ont le droit de prendre des décisions éclairées concernant leur propre corps et leur santé. L’autonomie corporelle est un droit fondamental qui permet aux femmes de choisir ce qui est le mieux pour elles dans des circonstances souvent complexes. Les études montrent que l’accès facilité à l’avortement ne conduit pas à une augmentation significative du nombre d’avortements. Par exemple, une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a révélé que les pays avec des lois permissives sur l’avortement n’ont pas nécessairement des taux d’avortement plus élevés que ceux avec des lois restrictives. Les restrictions de l’avortement obligent simplement les femmes à recourir à des méthodes dangereuses.

 

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     Quel message souhaiteriez-vous adresser aux décideurs politiques et au grand public sur la nécessité de garantir l’accès à un avortement sécurisé ?

    Garantir l’accès à un avortement sécurisé est une question de droits humains, de justice sociale, d’égalité des genres et de santé publique. Il est important de créer un environnement avec des lois qui protègent l’autonomie corporelle des femmes et leur permettent de prendre des décisions éclairées concernant leur santé reproductive. En investissant dans des services de santé reproductive complets accessibles, de qualité et centrés sur les besoins des femmes, nous contribuons à créer une société plus juste, plus équitable où chaque personne exprime son plein potentiel.

    Les décisions concernant l’avortement sont souvent complexes et personnelles. Nous devons œuvrer à déstigmatiser l’avortement et tendre vers une société où les femmes se sentent soutenues et où leurs droits sont protégés. 

 

Delores Pie 

Lemediacitoyen.com

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