Santé sexuelle et reproductive/ L’accès à l’avortement sécurisé en cas de viol et d’inceste

 

    L’avortement non sécurisé reste l’une des principales causes de mortalité dans le monde étant ainsi à l’origine de plus d’un décès sur 6 liés à la grossesse en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire avec son lot élevé de viols et d’incestes n’est pas en reste. Car oui en plus de générer un nombre incalculable de maux et traumatismes chez les survivantes, les viols et l’inceste précèdent aussi des avortements clandestins qui mettent davantage en danger la vie de ces survivantes.

On dénombre environ 230 000 avortements chaque année en Côte d’Ivoire avec 18 % de taux de décès des suites de ces avortements clandestins (PMA 2020). Des grossesses issues de viols et d’incestes ou portées par des écolières sont à l’origine de ses avortements qui restent encore non sécurisés, car la législation ivoirienne ne l’autorise pas. En effet, le fait que l’avortement médicalisé n’est autorisé que dans le cas ou le viol est attesté par un collège de 3 médecins et/ou lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus laisse prospérer des couloirs de la mort un peu partout en Côte d’Ivoire. D’ailleurs cet état de fait ne correspond pas aux textes internationaux notamment le Protocole de Maputo.

       Cadre juridique flou

    Le Protocole de Maputo, appelé encore Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits des femmes en Afrique est ratifié par la Côte d’Ivoire par le Décret n°2011-226 du 16 septembre 2011.

    Adopté par l’Union Africaine (UA) le 11 juillet 2003, le protocole stipule les droits fondamentaux de la femme africaine et son article 14 C précise son « droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction » et incite les États à prendre toutes les mesures appropriées pour notamment « protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus ».

Avant Maputo, la Côte d’Ivoire avait aussi participé à la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) en 1994 au Caire et à celle de 2019 à Nairobi ayant toujours pour implication directe l’adoption d’une loi nationale sur la santé de la reproduction (SR) pour vider tous contentieux en protégeant les femmes, les acquis, l’ensemble des intervenants et en permettant d’inscrire les questions de santé reproductive au programme de politique national avec des lignes budgétaires sécurisées.

Aussi selon l’article 123 de la Constitution ivoirienne qui dispose que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. »

 

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Malgré cet état de fait le Protocole de Maputo reste très peu appliqué et cela suscite des interrogations, pourquoi avec autant de décès liés aux avortements non sécurisés, le cadre juridique national ne correspond pas encore aux traités internationaux et régionaux ratifiés ? Est-ce un manque de volonté politique ? La volonté politique ne reste-t-elle pas assujettie au patriarcat qui tend à contrôler encore le corps de la femme ?

        Patriarcat ambiant

Le corps de la femme dans de nombreuses cultures patriarcales reste à la disposition des hommes qui à ce jour, se voient encore seuls décisionnaires sur les aspects importants de sa vie, tel que porter un enfant issu de viol ou de viol incestueux, taire le nom de son bourreau, demander justice et réparation ou même avoir droit à la parole pour extérioriser ses douleurs.

Il n’est pas rare de lire sur les réseaux sociaux, des témoignages anonymes relatant des cas de viols, de viols incestueux, et la parole étant libérée, les hommes garants du patriarcat perpétuent la culture du viol, en ayant des commentaires accusateurs dénoués de bon sens et d’empathie. Le web ou la sphère familiale restent des lieux d’expression du patriarcat qui accentue le nombre d’avortements non sécurisés qui emportent plusieurs jeunes filles et femmes dans la tombe.

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Aux militantes féministes de remonter dans le passé et dans l’histoire non tronquée des communautés afin de ne laisser prospérer aucun espace où règne la masculinité toxique en maitre absolu. La tradition reste le meilleur prétexte pour infantiliser la femme, disposer de son corps et régler les cas de viol et d’inceste en famille, à l’amiable. Or dans bon nombre de cultures, il existe des rites et cérémonies de réparation. Maitriser la sociologie et l’anthropologie de l’espace de travail serait une excellente barrière et un baromètre très important pour atteindre le cœur de cible et les objectifs.

    Aux décideurs politiques, il faut une conformité de fait entre les engagements internationaux et régionaux ratifiés et le cadre légal national ainsi que leurs applications. La modification du code pénal en 2019 avait suscité d’énormes espoirs malheureusement elle a eu comme un gout d’inachevé en ne prenant pas en compte les cas de viols incestueux.

La loi SR étant tout texte législatif qui traite du bien-être général tant physique que mental et social de la personne humaine pour tout ce qui concerne l’appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement et non pas seulement l’absence de maladies ou d’infirmités, son rejet en 2018 et sa non-promulgation à ce jour mettent la Côte d’Ivoire devant un vide juridique sans précédent.

Rappelons qu’au regard de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, des engagements et traités internationaux et régionaux ratifiés, le décès d’une femme au cours de la grossesse ou de l’accouchement n’est pas seulement un problème sanitaire, mais une injustice sociale. L’adoption d’une loi SR viendrait quelque peu soulager cette injustice sociale. Faire taire les réticences individuelles et être d’accord sur les fondamentaux pour convaincre les communautés religieuses encore réticentes restent au pouvoir discrétionnaire de l’État.

    Aux partenaires techniques et financiers, déployez les moyens pour des accompagnements structurels, contribuer au plaidoyer des organisations de la société civile donnerai un écho retentissant aux actions déjà très affirmées de celle-ci.

Créer et encadrer une synergie d’action entre tous les acteurs, étatiques, juridique et organisation de la société civile.

Dont les actions conjuguées -organisations de la société civiles- ont permis d’élaborer l’avant-projet de la loi SR en 2018 et des campagnes de communication et de sensibilisation sur l’avortement sécurisé.

Rédiger pour la première fois en 2002, l’avant-projet de la loi SR devrait retrouver sa place sur la table du législateur afin de permettre à la femme de disposer de son corps, en impliquant un ajustement du cadre légal, l’application totale du Protocole de Maputo et de faire taire la voix dissonante du patriarcat.

Louise YAO-KLAOUROU, Historienne, chercheure en Genre

Article réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit Campagne #médiatisonslesvoixfeministes initiée par l’Ong Opinion Éclairée avec l’appui de la Foundation for a Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.

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