Portrait /Boho Meganne Lorraine Ceday : Une voix féministe qui fait bouger les lignes en Côte d’Ivoire

Portrait Meganne
Boho Meganne Lorainne Ceday, Présidente de La Ligue Ivoirienne des droits des Femmes

 

Portrait-Boho Meganne Lorraine Ceday à l’état civil est la présidente de la Ligue Ivoirienne des droits des femmes (La Ligue). C’est une organisation féministe ivoirienne de défense des droits des femmes née dans la période covid sur internet et qui donne de la voix. L’organisation a à son actif plusieurs succès. Le plus récent reste le premier procès pour harcèlement sexuel en Côte d’Ivoire ayant abouti à une condamnation du prévenu, même si les faits ont été requalifiés en harcèlement moral.

 

Un parcours académique marqué par la résilience

Formée par le système ivoirien, Meganne obtient son baccalauréat en 2012 à Guitry, une localité du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Elle va par la suite s’inscrire en faculté d’anglais à l’université Félix Houphouët Boigny. Plus jeune, elle caressait le rêve d’être journaliste ou médecin, mais les circonstances de la vie l’en ont empêché. En effet, elle perd son père alors qu’elle passe son bac. Baccalauréat en poche, elle opte pour la faculté d’anglais. Pour elle, c’est la seule option d’avoir un emploi rapidement. “J’ai une licence en anglais option linguistique appliquée.” nous apprend elle. En effet, elle ne savait pas que ce choix de circonstance allait lui ouvrir des portes. En deuxième année d’anglais, elle postule et est retenue pour le prestigieux programme de formation américain SUSI (Study of the US Institute ). C’est le programme d’études de l’Institut américain pour les universitaires.

 

Des expériences professionnelles diversifiées

 

Ainsi, licence en poche, Meganne commence par être assistante dans un cabinet de langue. Ensuite, se sont enchaînées pour elle, des formations à Dakar, au Nigeria, etc. De traductrice pour des entreprises chinoises, à son passage en agence de communication de relations presse, elle n’a pas chômé. Aussi dans le domaine communautaire, elle s’engage en tant que responsable communication and fundraising de la fondation Sephis. Lorsqu’elle s’engage dans le domaine communautaire, elle est plus axée sur le leadership féminin avec l’association Sephis qui est devenue fondation Sephis. “On a parcouru des villes avec le Sephis tour qui est une caravane sur le leadership féminin sur le droit à l’éducation. On était plus dans ce domaine-là et mon engagement s’est construit avec le temps. Mon histoire personnelle et mon passage au Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) où j’ai travaillé en tant que Junior Communication Assistant y ont fortement contribué. Là-bas j’ai travaillé sur les questions de droits des femmes, de DSSR et ça m’a complètement chamboulée.” témoigne-t-elle.

 

La naissance de son engagement à travers La Ligue

Dans la période covid, elle rencontre en ligne des profils comme Marie-Paule Okri, Desiré Gnonséan Déneo, Marie-France Kouakou, Anne Nadège Assahon, Marie Léopoldine Tossou pour ne citer que celles-ci. Avec elles, elle a une vision commune. Ensemble, elles mettent sur pied la Ligue.

“Ce qui m’a vraiment motivée, ce sont les conditions de vie, mon histoire personnelle et mon passage à l’UNFPA. Je le dis parce que j’ai été en contact de manière très proche avec les chiffres sur les violences basées sur le Genre et ça m’a complètement bouleversée. Je me suis dit, c’est pas possible, il faut qu’on fasse quelque chose.”

Son amie et collaboratrice Marie-Paule Okri témoigne, “Meganne est la personne qui se met toujours à la place des autres et qui est là pour les autres. Une belle personne qui est aux petits soins de son entourage. Pour preuve, alors que j’étais en 3e année de cycle ingénieur, elle m’a aidé à solder ma scolarité à hauteur de 400.000 FCFA. À l’époque, j’étais en attente de recevoir mes paiements de consultance qui tardaient. Elle a dédié sa vie à la Ligue. Voyez-vous, elle travaillait pour une multinationale, mais elle a démissionné afin de se consacrer à la Ligue, de chercher des bailleurs et pouvoir mener à bien les activités de l’organisation. Elle a laissé un salaire garanti avec toutes les assurances possibles afin de se consacrer au militantisme. Cela force le respect.”

 

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Des victoires notables et un impact grandissant

L’événement qui a marqué son engagement féministe reste son premier cas de prise en charge de VBG. Il s’agissait d’une dame tombée de l’étage parce que battue et projetée par son mari en plein confinement pendant la période covid. C’est donc cet épisode qui était le tournant de son engagement parce qu’avec toute l’équipe de la ligue, elle s’est impliquée corps et âme dans la prise en charge de ce cas. Elle s’est rendue sur le terrain, à la police. Elle a rendu visite à la survivante et a même été contactée par sa famille. Elle garde encore en souvenirs, le contexte difficile de cette période ou elle a subi pour la première fois, du harcèlement en ligne : “On a subi notre premier harcèlement en ligne lors de la gestion de ce cas. Sur les réseaux sociaux où nous avons été insultées, menacées de mort, menacées de viol. on a subi du body shaming. Cela m’a marqué parce que c’était le tournant de mon engagement féministe. Ça a été un carrefour où lorsque je suis passée, ma radicalisation féministe n’a pas attendu. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il faut aller à la base, il faut changer les choses depuis la racine des problèmes qui minent la société ivoirienne.”

Pour Meganne, une victoire récente de l’organisation est la marche contre les féminicides à Grand-Bassam. C’était lors des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre le 07 décembre 2024. En effet, il y a 75 ans, des femmes avaient fait le même parcours sur Bassam dans le contexte colonial pour exiger la libération de figures de proue de la lutte anticoloniale. “Pour nous, c’était important de repartir sur ce pan de l’histoire qui a été mal interprété dans le contexte ivoirien. On nous disait que nos mamans avaient marché pour leurs maris alors que c’était une révolte coloniale, c’était une revendication politique.” rappelle-t-elle. Et de poursuivre “ Et pour nous y retourner 75 ans après pour une marche contre les féminicides dans la ville de Grand-Bassam, c’était vraiment émouvant. C’est un succès pour nous de pouvoir toucher du doigt ces sujets essentiels. Parce qu’après cette marche, on est arrivé à Abidjan, on a fait une seconde marche contre les féminicides le 10 décembre 2024 jusqu’à  l’Assemblée nationale pour demander des changements au niveau des lois.”

Portrait Meganne
Meganne pendant la marche contre les féminicides à Grand-Bassam le 07 décembre 2024

Cela reste une grande expérience pour elle et les membres de la ligue. De plus, elle pense également que l’une de leur plus grande victoire (celles de toutes les féministes ivoiriennes), c’est qu’elles ont pu changer le cours de la représentation de la journée du 8 mars. En effet, depuis plusieurs années maintenant, elles boycottent le pagne du 08 mars et la commémoration festive de la journée non seulement par le ministère de tutelle, mais aussi par différentes organisations et institutions. Et aujourd’hui de voir qu’en 2025, presque toutes les associations, les organisations, les ministères utilisent le terme “journée internationale des droits des femmes”, pour elle, cela est une victoire à mettre à l’actif de toutes les féministes ivoiriennes en général et de la ligue en particulier.

“Pour nous, c’est une victoire énorme. On l’a fait avec toutes les féministes ivoiriennes. On l’a fait avec la Ligue, Opinion Éclairée, Goutte Rouge, etc. En fait, c’est une victoire commune qui vient après des années de lutte parce qu’on se faisait insulter lorsqu’on boycottait le pagne du 08 mars. C’était vraiment difficile pour nous, mais aujourd’hui, on se rend compte que ça a porté des fruits.”

 

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Sa vision du féminisme ivoirien

Concernant sa vision du féminisme ivoirien, elle pense qu’il évolue. Pour elle ce n’est plus le même mouvement qu’il y a cinq (05) ans. Aujourd’hui, il y a beaucoup de coalitions, de regroupements, d’affinités qui se créent. Le mouvement est en train de grandir et on peut voir plein de victoires. Il y a des collaborations entre les féministes. Malgré des divergences d’idée qu’il peut avoir parfois, le mouvement féministe ivoirien est hétérogène et fait bouger les lignes. “On se rassemble, on milite même s’il n’y a pas de réseau formel, chaque fois qu’il y a une activité, on essaie de se regrouper même si c’est trois associations d’un côté quatre d’un autre, on sent que ça bouge et c’est exceptionnel.” Elle se dit satisfaite de cette solidarité. 

Les stéréotypes restent omniprésents dans la société : culture, religion, traditions… Autant d’éléments qui alimentent encore les préjugés à l’égard du féminisme. On dit des féministes qu’elles sont célibataires, vouées à finir seules. Meganne ironise : oui, elle est frustrée. Frustrée de voir ses droits piétinés, frustrée que des femmes continuent d’être tuées en toute impunité.

 

Son ambition et ses conseils aux jeunes filles qui désirent s’engager

Ses ambitions pour l’avenir sont claires : poursuivre le plaidoyer en faveur de l’adoption de lois contre les féminicides. Cette année, la ligue s’est fixée pour objectif de faire avancer ce combat au niveau législatif. En parallèle, elle travaille en milieu rural pour accompagner les femmes à l’accès à la terre et au développement de cultures adaptées, comme celles des pleurotes, qui nécessitent peu d’espace. Grâce à Marie-Paule Okri, agronome et responsable des interventions à La Ligue, ces projets prennent vie et offrent de nouvelles perspectives aux coopératives locales.

L’éducation reste un autre axe essentiel de son engagement. Intervenir dans les écoles, sensibiliser les jeunes, inculquer dès le plus jeune âge des notions fondamentales comme le consentement et les droits des femmes : voilà une mission à laquelle elle tient particulièrement.

Les femmes ont le droit et le devoir  de prendre la parole.

Boho Meganne Lorraine Ceday.

 

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À celles qui souhaitent s’engager pour leurs droits, elle adresse un message fort : “elles font le bon choix. Apprendre des aînées, comprendre l’histoire du féminisme, reconnaître ses limites pour ne pas s’épuiser… L’activisme est une lutte exigeante, mais nécessaire.” Elle les encourage à avancer, à se cultiver, à ne pas se laisser manipuler par des discours qui opposent les femmes entre elles. « Il n’y a pas de « vraie » ou de « fausse » féministe, seulement des parcours différents, des niveaux de conscience variés. Et même sans appartenir à une organisation, il est possible de militer, notamment en ligne. Car aujourd’hui plus que jamais, les femmes ont le droit et le devoir  de prendre la parole. » Conclut-elle.

 

À propos de La Ligue

 

La Ligue est née sur Internet, sur Messenger particulièrement. Au début, c’était huit femmes qui essayaient de travailler sur un cas de VBG. Le cas de Madame Ghislaine Kobi, battue par son conjoint. Puis les filles ont commencé à se motiver toutes ensemble pour porter l’affaire et c’est ainsi que naît l’organisation. Dès sa création, Meganne est élue présidente de l’organisation par ses pairs “Je n’avais jamais été présidente de quelque chose, j’étais toujours dans mon domaine en tant que responsable de communication et de levée de fonds. C’est ce que je savais faire depuis longtemps.” Nous confie-t-elle. Depuis 2020, pour la première fois de sa vie, elle est présidente d’une organisation :  La Ligue. Elle travaille avec ses collaboratrices, féministes. L’équipe est en constante évolution avec à chaque fois, de nouvelles figures. “On a évolué avec de nouvelles personnes, des bénévoles et c’est un plaisir pour moi d’être au service de ma communauté avec la Ligue.” tance-t-elle.

La Ligue dans son essence à travers ses textes se définit comme une organisation féministe pas féminine.

Le travail de l’organisation est basé sur la lutte contre les violences faites aux femmes, sur la promotion du féminisme, sur l’éducation en milieu scolaire. L’organisation travaille avec des petites filles, est aussi dans le domaine de l’écoféminisme parce qu’elle travaille avec des femmes en zone rurale, pour leur trouver des solutions à l’accès à la terre et des solutions pour pouvoir avoir des méthodes de culture respectueuses de l’environnement.

 L’organisation travaille aussi sur les Droits de la Santé Sexuelle et Reproductive, sur la question du droit de disposer de son corps. La ligue travaille avec les jeunes sur l’éducation à la sexualité sur les menstruations. Les droits des femmes étant assez larges, l’organisation ne peut pas tout faire. Mais elle est spécialisée en matière de prise en charge des Violences Basées sur Genre (VBG), sur les questions de promotion du féminisme et fait beaucoup de plaidoyer pour pouvoir faire changer les choses en Côte d’Ivoire.

Delores Pie 

Lemediacitoyen.com

*Cet article est rédigé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire mise en œuvre par l’ONG Opinion Eclairée avec l’appui de la Foundation for a just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.

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