Fiche d’Info: Pays pauvre et très endetté ou pays à revenu intermédiaire, quel statut pour la Côte d’Ivoire ?

Fiche  D’info: Pays pauvre et très endetté ou pays à revenu intermédiaire, quel statut pour la Côte d’Ivoire ?

     En Côte d’Ivoire, depuis mai 2024, une polémique prétendant que le pays est de nouveau devenu un « pays pauvre et très endetté (PPTE) » a suscité de nombreuses réactions, notamment sur les réseaux sociaux.

Interrogé à ce sujet par le sénateur ivoirien Mamadou Diomandé, le ministre ivoirien des Finances et du Budget, Adama Coulibaly, a déclaré : « La Côte d’Ivoire n’est pas un PPTE mais nous sommes plutôt un pays à revenu intermédiaire ».

Cette controverse est consécutive à l’adoption, en Conseil des ministres du 8 mai 2024, de la facilité africaine de soutien juridique. Il s’agit d’un dispositif de la Banque africaine de Développement visant à accompagner les « pays pauvres et très endettés » dans la négociation de leur dette extérieure. Mais selon l’économiste sénégalais Abdoulaye Dieye, la facilité africaine de soutien juridique « ne soutient pas seulement les PPTE ».

  1. Capture d'écran de la publicationLe ministre ivoirien des Finances et du Budget, Adama Coulibaly, s’exprimant devant les membres du Sénat ivoirien, le 14 mai 2024, sur la polémique autour du statut de PPTE attribué à la Côte d’Ivoire. Source : Page Facebook du Sénat de Côte d’Ivoire

Qu’est ce qu’un pays pauvre ?

Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), près de la moitié de la population mondiale vit dans la pauvreté avec un revenu inférieur à 2 dollars par jour. Cette population ne peut satisfaire des besoins fondamentaux tels que l’accès à une alimentation adéquate, à l’eau potable, à des services de santé adéquats, à un travail décent etc…

Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le  Développement (PNUD), publié en 2000 et intitulé Vaincre la pauvreté humaine (page 8), la pauvreté ne se limite pas au revenu. Elle a un caractère multidimensionnel qui prend en compte la réduction de l’incidence de la malnutrition, l’alphabétisation, l’augmentation de l’espérance de vie, etc… .

Ainsi définie, le concept de la pauvreté s’analyse avec le développement humain qui prend en compte la satisfaction des besoins humains fondamentaux. L’indicateur source est l’Indice de développement humain (IDH), un instrument du PNUD qui permet d’évaluer le niveau de développement des pays en se fondant, non pas sur des données strictement économiques, mais, sur la qualité de vie des ressortissants.  Le dernier rapport sur l’IDH 2023-2024, qui établit un classement sur la base des données  de l’année 2022, indique que les pays les plus riches ont atteint un niveau considérable de développement humain alors que la moitié des pays pauvres a régressé.

Qu’est ce qu’un pays pauvre et très endetté (PPTE) ?

Selon le Fond monétaire international (FMI), le statut de PPTE est concédé aux pays ayant une dette insoutenable et ayant du mal à rembourser leurs créanciers internationaux.

L’initiative PPTE a été lancée en 1996 par la Banque mondiale et le FMIElle a été renforcée et élargie en 1999 en vue d’« alléger le fardeau excessif de la dette extérieure de certains des pays les plus pauvres de la planète ».

Alex Boua, professeur d’économie au Lycée international Jean-Mermoz à Abidjan, a expliqué que l’objectif de ces institutions financières était d’annuler une partie de la dette extérieure des pays à faible revenu, étranglés par le poids de la dette, et de permettre à ces pays d’utiliser la part de la dette qui aurait dû leur être remboursée pour investir dans les domaines de la santé, de l’éducation et des secteurs clé de leurs pays.

Boua a précisé que quatre conditions sont exigées pour être éligible à cette initiative.

Selon lui, la première est que le pays demandeur doit être admissible à emprunter auprès de l’Agence internationale de développement de la Banque mondiale, qui octroie des prêts sans intérêts et fait des dons aux pays les plus pauvres du monde.

Pour ce qui est de la deuxième condition, l’État demandeur doit être capable d’emprunter également auprès du FMI, par le biais de la facilité élargie de crédit qui offre des prêts à des taux bonifiés aux pays à faible revenu.

La troisième condition établit que l’État demandeur devra être admissible à la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, et faire face à une charge d’endettement insoutenable, laquelle ne peut s’attaquer au moyen des mécanismes d’allègement de la dette traditionnelle.

Et enfin, la quatrième condition est que le demandeur doit prouver qu’une politique adéquate et saine a été mise en place pour respecter les programmes du FMI et de la Banque mondiale.

Par ailleurs, Alex Boua a noté que l’État demandeur doit établir un document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) suivant un vaste processus participatif au niveau national.

« Lorsque l’État remplit ces quatre conditions, on dit qu’il a atteint la première étape qui est le point de décision et il devient éligible à l’initiative PPTE. La seconde étape de l’initiative PPTE est appelée point d’achèvement ». À ce stade, poursuit Alex Boua, le pays reçoit l’allègement intégral et irrévocable de sa dette au titre de l’initiative PPTE. « Les conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale décident alors officiellement de son admissibilité à l’allègement de sa dette et s’engagent à ramener cette dette à un niveau jugé soutenable », a ajouté l’expert.

Classification des pays en fonction de leurs revenus

Le Groupe de la Banque mondiale répartit les économies du monde en quatre groupes :

  1. faible revenu,

  2. revenu intermédiaire de la tranche inférieure,

  3. revenu intermédiaire de la tranche supérieure,

  4. revenu élevé.

Selon l’institution, cette classification vise à rendre compte du niveau de développement d’un pays. Il est calculé sur la base de la méthode Atlas, qui est mise à jour le 1er juillet de chaque année en fonction du Revenu national brut (RNB) par habitant de l’année calendaire précédente.

« Le RNB correspond à la valeur agrégée des soldes bruts des revenus primaires de l’ensemble des secteurs. Il est égal au produit intérieur brut plus les revenus nets reçus de l’étranger pour la rémunération des salariés, la propriété et les impôts nets (moins les subventions) sur la production », d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Retrouvez ici une explication plus exhaustive de ce concept.  

Ainsi, selon ces données :

    • les pays à faible revenu ont un RNB par habitant inférieur ou égal à 1 145 dollars,
    • les pays à revenu intermédiaire inférieur ont un RNB estimé entre 1 146 et 4 515 dollars,
    • les pays à revenu intermédiaire supérieur ont, quant à eux, un RNB qui se situe entre 4 516 et 14 005 dollars.

CLASSEMENT DE LA BANQUE MONDIALE EN FONCTION DU REVENU BRUT (RNB) PAR HABITANT 

Classification établie pour le compte de l’exercice fiscal 2025

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Quid de la Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire a atteint le point de décision de l’initiative PPTE en 2009, d’après un communiqué de presse du FMI publié le 31 mars 2009.

En 2012, selon la Banque mondiale et le FMI, le pays à atteint le point d’achèvement de sa dette et est devenu le 33e pays a quitté l’initiative PPTE.

Sur le site du FMI sont classés les pays qui ont atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE, ceux qui sont en transition entre la décision et le point d’achèvement de cette initiative et ceux qui souhaiteraient bénéficier de cette initiative.

Toutefois, nous n’avons retrouvé aucun document officiel qui indique que la Côte d’Ivoire a fait la demande pour souscrire à nouveau à l’initiative PPTE. Aucun communiqué ne stipule que la Côte d’Ivoire est redevenue PPTE comme ce fut le cas en 2009 où le FMI, par communiqué de presse, avait annoncé que le pays était désormais PPTE.

D’un autre côté, selon la nouvelle classification de la Banque mondiale, en fonction du Revenu national brut (RNB) par habitant, la Côte d’ivoire est classée au nombre des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, avec un RNB par habitant estimé entre 1 146 et 4515 dollars.

« La Côte d’Ivoire n’est pas un PPTE »

Selon Baurice Younouss Diedhiou, économiste et expert à la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) du Sénégal, « la Côte d’Ivoire n’est pas un PPTE car elle a atteint son point d’achèvement de la dette en 2012 ».

« Je ne vois pas de document qui atteste que la Côte d’Ivoire soit replongée dans la catégorie de PPTE. Mais selon le nouveau classement de la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire est, tout comme le Sénégal, un pays à revenu intermédiaire inférieur avec un revenu par habitant estimé entre 1 146 et 4 515 dollars ».

L’observation faite par l’économiste est que la majorité des pays qui bénéficient actuellement de l’initiative PPTE se trouve dans la catégorie des pays à revenu faible.

À la question de savoir si l’adoption en Conseil des ministres du 8 mai 2024, de la facilité africaine de soutien juridique fait de la Côte d’Ivoire un PPTE, l’économiste sénégalais Abdoulaye Dieye a répondu : « La Côte d’Ivoire a bénéficié de l’initiative PPTE pour laquelle elle a été déclarée éligible en 1997. Elle a atteint le point de décision en 2009, et le point d’achèvement en 2012. Depuis, elle n’est plus sur la liste des pays PPTE. La facilité africaine de soutien juridique ne soutient donc pas seulement les PPTE ».


Cet article a été réalisé par Victoire Kouamé  dans le cadre d’un stage d’immersion au sein de la rédaction francophone d’Africa Check, à Dakar, soutenu par la Fondation Konrad-Adenauer.

 

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