
Les 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre ont commencé en 1991, lancés par des militants lors du premier Institut mondial de leadership des femmes à l’Université Rutgers (https://cwgl.rutgers.edu/). Plus de trois décennies plus tard, cette initiative est devenue une campagne mondiale appelant à l’action pour mettre fin à la violence basées sur le genre. Pendant cette période, des organisations et des individus à travers le monde mettent en lumière ce problème, soulignant que la violence contre les femmes constitue une grave violation des droits humains. En Côte d’Ivoire, ces événements se sont déroulés du 25 novembre au 10 décembre dernier , organisés par de nombreuses organisations engagées. Par exemple, la LIGUE souligne leur importance en écrivant dans son rapport de 2022 :
« Nous tenons à rappeler que dans l’article 4 de notre Constitution ivoirienne de 2016 il est mentionné que : « Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu ou de son sexe. » et dans l’Article 28 : « L’Etat s’engage à respecter la Constitution, les droits de l’Homme et les libertés publiques. » »
(La Bilan, 2022: https://la-ligue.org/notre-bilan/)
Ici, j’aimerais introduire une manière dont la philosophie peut nous aider à réfléchir à l’inégalité des genres et à la violence, à travers les concepts de nécropolitique et de nécropouvoir développés par le philosophe camerounais Achille Mbembe. Ces concepts peuvent servir d’outils diagnostiques pour mieux comprendre ces problèmes et trouver des réponses appropriées.
Nécropolitique
Mbembe (2019) écrit que « [l]’expression ultime de la souveraineté réside largement dans le pouvoir et la capacité de dicter qui peut vivre et qui doit mourir » (traduit de l’anglais, 66). Ce pouvoir, Mbembe le nomme nécropouvoir (« nécro » signifiant cadavre ou mort). Il fait référence à plusieurs formes de mort : physique, psychologique, sociale et politique. D’une certaine manière, ils sont forcés d’être socialement et psychologiquement morts à cause de leur identité – avant d’avoir eu une chance. Puisque ce pouvoir s’exerce toujours dans des relations sociales, il implique une dimension politique, une nécropolitique. La nécropolitique concerne les moyens de soumettre la vie au pouvoir de la mort. Pendant les 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, nous devrions repenser ce que la nécropolitique signifie en relation avec ces diverses formes de violence.
Prenons, par exemple, le féminicide ou le meurtre de femmes en raison de leur genre. Cet acte révèle non seulement une dévalorisation des femmes, mais met également en évidence l’absence de protection légale et la normalisation sociétale des abus. Cette normalisation a des conséquences profondes sur la manière dont les hommes et les femmes sont sensibilisés. Ils perçoivent l’espace et le temps dans la vie quotidienne différemment en raison de cette normalisation. En d’autres termes, la normalisation de la dévalorisation des femmes se traduit par une territorialisation ou un zonage affectif spatio-temporel.
Alors que les hommes peuvent être affectivement privilégiés dans l’espace et le temps de la vie quotidienne, les femmes vivent dans des zones de précarité existentielle, qu’elles soient dans des espaces-temps publics ou privés. Cela est aggravé pour les femmes qui sont désavantagées à plusieurs égards. La combinaison d’une appartenance à une classe sociale inférieure et d’une pauvreté structurelle illustre une intersection de formes d’oppression. Cette intersection amplifie leur oppression et est appelée intersectionnalité.
La nécropolitique du féminicide et des violences connexes montre qu’il existe une infrastructure affective sous-jacente à ces actes horribles. Utiliser le concept de Mbembe permet d’analyser la logique nécropolitique de la sensibilisation et de mieux comprendre comment le contrôle, l’oppression et la dévalorisation fonctionnent dans la vie quotidienne. En comprenant mieux cela, nous pourrions commencer à réimaginer le nécropouvoir, mais comment ?
Résistance par l’Éducation
Bien que ces défis soient sérieux, il existe des moyens de les combattre. Une façon est à travers des projets éducatifs spécialisés. Une méthode puissante consiste à organiser des expositions interactives dans des musées, où chaque œuvre d’art est liée à l’inégalité de genre. Non seulement cela, chaque objet d’art est accompagné d’un ensemble de questions pour encourager la réflexion et d’une activité. Cela signifie que les œuvres ne sont pas simplement représentatives ou passives, mais qu’elles incitent les visiteurs à réfléchir et à s’engager plus profondément avec le problème, tout en créant un sentiment de communauté et de dialogue et de réflexion collaborative.
Pour les enfants en particulier, un guide formé peut les accompagner dans une visite de l’exposition, poser des questions, les faire discuter en groupe, puis proposer des activités pour aborder le problème, comme la création de leurs propres objets artisanaux. Cela incite les visiteurs de tous âges à repenser l’inégalité de genre et les sensibilise différemment. En d’autres termes, cela permet de repenser la logique nécropolitique de l’inégalité de genre. Comme l’écrit Mbembe (2016), se référant au psychiatre et penseur afro-caribéen Frantz Fanon, ce qui compte, c’est “le geste soignant comme une pratique de re-symbolisation dans laquelle se jouait toujours la possibilité de la réciprocité et de la mutualité (la rencontre authentique avec d’autres)” (12).
Arthur C. Wolf
Ph.D. Université de la Colombie-Britannique
Directeur de l’éducation | The Thinking Playground | thinkingplayground.org
Directeur associé de l’Institut de philosophie pour enfants de Vancouver
Références
https://la-ligue.org/notre-bilan/
Mbembe, Achille (2019). Necropolitics. Duke University Press. (La version originale française de 2016 n’incluait pas le chapitre sur la nécropolitique, c’est pourquoi j’ai inclus l’article original français séparément).
Mbembe, Achille (2016). Politiques de l’inimitié. Editions la Découverte.
Achille Mbembe, « Nécropolitique », Raisons politiques, vol. 21, no 1, 2006, p. 29.
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