Annabella Kemayou, communicante et militante féministe: « Le sexisme est un frein à l’égalité femme-homme »

Annabella Kemayou
Annabella Kemayou, communicante et militante féministe

   Annabella Kemayou, communicante et militante féministe explique les méfaits du sexisme en Côte d’Ivoire. Et démontre combien les actions féministes concourent à l’endiguer. Elle formule également des recommandations pertinentes.  Interview!

   Bien souvent on entend les féministes pointer du doigt le sexisme. Qu’est ce que c’est ?

   On peut le définir comme une attitude de discrimination fondée sur le sexe. Pour aller plus loin, je le définirais comme un ensemble de croyances, de stéréotypes, de comportements qui se basent sur le principe selon lequel les hommes et les femmes ne sont pas égaux et ne méritent pas le même traitement ou les mêmes droits. Dans certains pays les actes sexistes sont repréhensibles par la loi, du fait de leur caractère discriminatoire.

  Pourquoi parle-t-on de sexisme ordinaire ?

  On en parle en référence au fait que ce soit très prévalent dans notre société dite patriarcale. Ces croyances et comportements nous sont transmis depuis l’éducation, et présents dans tout ce que nous consommons comme médias. C’est fortement enraciné en nous. S’il est possible de s’en défaire, c’est à travers un gros travail de déconstruction.

  Quelle nuance y a t il entre le sexisme bienveillant et le sexisme hostile ? Sont-ce des réalités en Côte d’Ivoire ?

  Je peux donner un exemple pour rendre mon explication concrète. Un sexisme bienveillant envers une femme partirait du principe qu’en raison de sa supposée fragilité ou infériorité, elle mériterait un certain traitement de faveur.  Le sexisme hostile partirait du même principe mais au lieu d’un traitement favorable, cette même femme recevrait un traitement discriminatoire ou violent.

  Pourriez-vous nous citer des cas concrets de sexisme, des exemples parlant dans la vie de tous les jours en Côte d’Ivoire ?

  Ne pas inviter de femmes dans des émissions sportives ou politiques parce qu’on considère que ce n’est pas leur rayon. Attendre de la collègue de travail qu’elle fasse le ménage après soi au travail « parce que les femmes sont là pour ça ». Dans le cadre d’un entretien d’embauche, une femme peut s’entendre dire qu’elle ne mérite pas sa prétention salariale car un homme prend déjà sûrement soin d’elle. Voir une femme qui s’en sort bien dans la vie et conclure qu’elle le fait sûrement parce qu’elle vendrait ses charmes. On peut estimer aussi que la vie sexuelle d’une femme doit être plus scrutée que celle d’un homme car elle se doit d’être vertueuse.

  Mais il faut aussi mentionner qu’il y a des cas de sexisme que les hommes peuvent subir également. J’ai pour habitude de dire que le patriarcat est peut-être le seul système d’oppression à double tranchant (dans le sens où il peut aussi « blesser » les êtres mêmes qui sont censés en bénéficier le plus). Un des clichés sexistes les plus répandus sur les hommes c’est qu’ils sont incapables d’assurer des métiers du care comme celui d’assistant maternel ou sage-femme avec le même professionnalisme et la même éthique que les femmes.

  De votre point de vue qu’est-ce qui motive le sexisme ordinaire ?

   Nous sommes toutes et tous biberonnés au système patriarcal qui repose sur une différenciation et une hiérarchisation entre hommes et femmes, desquelles des rôles genrés ont été définis. Cette façon d’organiser la société assure aux uns des privilèges et rassure ceux et celles qui y souscrivent. Ils ont un sentiment de confort et de sécurité.  Le sexisme vient alors comme une forme de sanction qui tombe sur toutes celles et tous ceux qui « osent » s’écarter du « bon » modèle.

  Quelle est la corrélation entre sexisme et droits des femmes ?

L’égalité est si je puis dire le but que nous recherchons en nous engageons dans la lutte pour les droits des femmes. Or le sexisme est un frein à l’égalité femme-homme.

  Comment les actions féministes ivoiriennes contribuent-elles à déconstruire les mentalités pour freiner le sexisme ?

La sensibilisation et la formation, la contestation, le plaidoyer au près des médias ou des autorités gouvernementales, des responsables politiques, sont autant d’armes à disposition des associations et des militant(e)s pour mener ce travail de déconstruction. Stop Au Chat Noir, l’association dans laquelle je milite, a un programme de formation des étudiants à la thématique des violences basées sur le genre (VBG). L’objectif est à terme de faire d’eux des acteurs de la lutte contre les VBG au sein de leur milieu universitaire. Mais avant d’entamer toute discussion avec eux nous commençons toujours par sensibiliser sur la question même du sexisme, il est primordial d’effectuer ce travail de déconstruction en premier lieu. Et c’est toujours un plaisir à la fin du parcours de formation d’entendre les étudiantes et étudiants nous dire comment leur vision d’eux-mêmes, du sexe opposé à évoluer.

  Observez-vous l’impact de ces actions féministes sur le sexisme, autrement dit, sentez-vous une prise de conscience au niveau de la société ivoirienne ?

  Oui nous le sentons. Je peux constater que ce soit en ligne ou dans les médias ou même dans les interactions quotidiennes que les gens prennent de plus en plus conscience de quel comportement est problématique ou pas. Je ne peux plus compter les fois où j’ai entendu ou on m’a rapporté qu’une personne ait dit « les féministes là vont venir te trouver ici » après que quelqu’un a tenu un propos sexiste par exemple. Mais bien évident ça doit aller plus loin.

  Aussi les militant(e)s ivoirien(ne)s peuvent être fier(e)s d’avoir été convié(s) à contribuer à la rédaction d’une charte éthique à l’endroit des médias dons le but est de garantir un espace en ligne sûr, sans haine et sans discrimination. (Une initiative de la Haute autorité de la communication et l’audiovisuel).

  La loi aussi évolue en faveur de plus d’égalité femme-homme.  La banque mondiale classait en 2023 dans le rapport « Les Femmes, l’Entreprise et le Droit 2023 » la Côte d’Ivoire parmi les meilleurs pays dans la sous-région et même dans le monde en matière d’égalité de traitement des femmes devant la loi. Le pays a pris des dispositions qui combattent les violences domestiques et lèvent les restrictions liées à l’emploi des femmes. On peut citer, entre autres, la nouvelle loi N° 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage, la loi N° 2019-573 du 26 juin 2019 relative aux successions. Elle réglemente notamment, les conditions d’ouverture de la succession, la procédure à suivre pour entrer en possession de son héritage et le partage des biens.

  Avez-vous des recommandations particulières en termes d’actions féministes à amplifier ou initier en Côte d’Ivoire en réponse au sexisme ?

  Je dirai continuer ce que nous faisons déjà à savoir :

– La Sensibilisation et l’éducation auprès des communautés, des écoles et des entreprises pour promouvoir l’égalité des sexes et sensibiliser contre le sexisme.

– Le plaidoyer pour le renforcement des lois contre la discrimination et le harcèlement sexuel, ainsi que pour une meilleure application des lois existantes.

– Le plaidoyer auprès des médias à adopter des pratiques inclusives dans les médias, tout en dénonçant les stéréotypes sexistes et les attitudes discriminatoires

-Le Soutien et la promotion de la participation des femmes dans les sphères politiques, économiques et sociales en encourageant leur accès aux postes de leadership et en renforçant leurs capacités en matière de prise de décision.

Réalisée par Ruth ASSOKO

Lemediacitoyen.com 

*Interview  réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit  campagne  #MédiatisonslesvoixFéministes , initiée par l’Ong opinion Éclairée avec le soutien de la Foundation for  Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.

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