À l’heure où s’éteignent les lampions de 2019, où s’échaudent les esprits dans la perspective des échéances de 2020, le personnel politique ivoirien, en proie à ses contradictions ontologiques internes, qu’il n’a jamais su transcender, brille par ce que je peux appeler la crise de l’Utopie.
Mais sa première contradiction vient de ce que les brouilleries qui ont opposé (ou opposent) aussi bien les différentes forces politiques que la figure tutélaire des individus, n’ont jamais reposé sur les socles idéologiques républicains ainsi que sur la diversité des registres de lecture politique que portent en projet légitime et/ou légal les masses populaires.
Or, on le sait au moins depuis Montesquieu que lorsque les fondements du pacte social sont ébranlés ; que dès lors que les fonts baptismaux de la République (le respect de la règle de droit, la séparation des pouvoirs, l’égalité de droit et de traitement des citoyens) sont mis à mal par une certaine léthargie de la vision politique, embuée dans les querelles de personnes et les manipulations politiciennes de tous ordres, l’État perd ainsi les vertus de sa condition d’existence.
Qui, mieux que Kourouma, avait scénarisé dans son sublime Monnè, outrages et défis cette construction du chaos dans laquelle se vautrent la Côte d’ivoire et bien des Nations nègres et cultures ?
Le roman campe les vicissitudes politiques de la ville de Soba dont le Roi Djigui Kéïta affiche ses distances idéologiques avec la stratégie de la terre brûlée préconisée par Samory, empereur de tout le pays mandingue, face au spectre de l’invasion des troupes coloniales. Dans cette épopée tragique d’un peuple livré à la domination extérieure, Kourouma a le génie de dépeindre les errements politiques doublés d’un défaut de leadership du seigneur suzerain et de son vassal, à l’image des fourvoiements de nos régimes successifs, dont les cheminements erronés conduisent à la même impasse.
L’opposition énigmatique de Djigui Kéïta et de Samory révèle, il me semble, une vérité applicable à l’état actuel de notre pays : à l’épreuve du pouvoir, tout le monde s’oppose sur tous les points pour reproduire au final la même chose !
Fondant ses espoirs sur la magie des ancêtres et la protection d’Allah, Djigui Kéïta érige une muraille de fortune autour de Soba que pénétreront sans difficulté les soldats nazaréens. Comme ses avatars contemporains, nos politiques éborgnés, Djigui pèche par son illusion de croyance et son improvisation.
Comme nos hommes politiques, des Ivoiritaires aux Houphouëtistes en passant par les Refondateurs, Djigui – dont la prophétie du nom est une ode à l’espoir – échouent à sa vocation de celui sur qui reposent toutes les espérances.
Là où le roi déchu, Djigui Kéïta, porte la trahison à son point d’acmé, c’est lorsqu’il s’enfonce dans une collaboration de plus en plus meurtrière avec l’occupant. S’ensuivra un siècle de Monnè (dont le sens malinké va largement au-delà de l’Outrage suggéré dans le titre du roman) dans la colonisation pour tout un peuple.
On l’aura compris, le livre de Kourouma est aussi un réquisitoire des compromissions dans lesquelles se grillent nos élites politiques, qu’elles soient du pouvoir ou de l’opposition.
Le seuil de retournement historique qui ramène la Côte d’ivoire à l’exemple de Soba place nos élites face au dilemme de Djigui Kéïta : conduiront-ils leur peuple aux abysses des Monnès et Outrages ou relèveront-ils les défis de l’heure ?
Une contribution de Daouda Koné, doctorant
Lemediacitoyen.com
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