Dr  Félicien Yomi TIA , Bio-anthropologue au PNLTA à propos de la drogue :  ‘’ la catégorie « Élève/Étudiant » représente 18,20% des patients en 2023.’’ (Interview)

Dr Félicien Yomi TIA , Bio-anthropologue au PNLTA
Dr Félicien Yomi TIA , Bio-anthropologue au PNLTA présente des chiffres qui interpellent. (DR)

Dr Félicien Yomi  TIA est Bio-anthropologue au Programme National de lutte contre la le tabagisme,  l’alcoolisme, la toxicomanie  et d’autres addictions (PNLTA). Il est aussi enseignant chercheur à l’université Félix Houphouet Boigny.  Il revient sur la réalité de la menace que constitue la drogue pour les élèves et présente des données à jour qui interpellent.   Interview !

Comment se situe la Côte d’Ivoire par rapport au marché de la drogue?

Il est crucial de souligner que la Côte d’Ivoire, autrefois considérée principalement comme une zone de transit pour les drogues, est maintenant devenue un marché de plus en plus important pour le commerce et la consommation de drogues. Une part significative des drogues en transit reste dans le pays, ce qui alimente un marché local et affecte la vie des populations.

L’augmentation du commerce de drogue, illustrée par la multiplication des fumoirs de drogue, contribue à une augmentation du nombre de consommateurs de drogues. Cette tendance crée un véritable problème de santé publique, en particulier parmi la jeunesse, qui peut être attirée par l’effet stimulant de la consommation de drogues (effet de mode, plaisir, énergie, tranquillité d’esprit).

Que disent les données indiquant l’usage de la drogue par les adolescents en milieu scolaire?

En 2016, une étude menée par l’Office des Nations Unis pour  la drogue et le crime ( ONUDC) a révélé que 12% de la population ivoirienne âgée de 15 à 64 ans consommait des drogues. Par la suite, des enquêtes plus spécifiques ont mis en lumière la gravité de la situation. En 2017, une enquête réalisée dans 16 établissements scolaires du District Autonome d’Abidjan par la direction de la Police des stupéfiants et des drogues (DPSD)  a identifié un nombre important d’élèves usagers de drogues.

De janvier à mars 2019, 356 personnes âgées de 12 à 40 ans, principalement des élèves et des étudiants, ont été interpellées pour usage de drogues dans plusieurs villes, dont Abengourou, Bondoukou, Man et Yamoussoukro. En 2020, sur 727 patients reçus en consultation à la Croix Bleue, 46% étaient âgés de 15 à 24 ans, principalement des élèves, et 73% étaient polytoxicomanes.

Une autre étude réalisée en 2019 par le PNLTA a estimé à 1384 le nombre de jeunes consommateurs de drogues injectables dans les villes de Yamoussoukro, Bouaké et San Pedro. En outre, 356 personnes âgées de 12 à 40 ans, dont la majorité étaient des élèves et des étudiants, ont été interpellées pour usage de drogues en 2019 dans les villes de Man, Yamoussoukro, Abengourou et Bondoukou.

En 2022, 2587 patients, dont 2518 jeunes, ont été traités pour des troubles liés à l’utilisation de drogues dans les structures de soins spécialisés en Côte d’Ivoire. Les élèves représentaient une proportion importante de ces patients.

Selon le rapport de la collecte de données hospitalières sur les personnes usagères de drogues en Côte d’Ivoire (PNLTA, 2023), sur 3571 patients pris en charge pour des troubles liés à la consommation de drogues en 2023, la catégorie « Élève/Étudiant » représentait 18,20% (650) de ces patients.

Ces données révèlent un tableau sombre pour la jeunesse ivoirienne, qui représente 75,66% de la population. Il est clair que la consommation de drogues est un problème grave qui nécessite des interventions préventives et éducatives ciblées pour protéger l’avenir de la nation.

Existe-t-il des chiffres sur le nombre de décès enregistrés du fait de l’usage de la drogue en milieu scolaire ?

En Côte d’Ivoire, il est difficile de trouver des chiffres précis sur le nombre de décès enregistrés spécifiquement du fait de l’usage de la drogue en milieu scolaire. Les données sur les décès liés à la drogue en général sont souvent agrégées et ne sont pas spécifiquement ventilées par lieu ou contexte scolaire.

Cependant, il existe des études et des rapports qui donnent un aperçu de la situation de la consommation de drogue et de ses conséquences, y compris les décès, parmi les jeunes en Côte d’Ivoire. Par exemple, une étude menée en 2017 par le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique en collaboration avec l’UNICEF a révélé que 2% des décès chez les adolescents étaient associés à la consommation de drogue.

Bien que ces chiffres ne soient pas spécifiques au milieu scolaire, ils soulignent néanmoins l’ampleur du problème de la consommation de drogue chez les jeunes en Côte d’Ivoire.

Il est important de noter que ces données sont souvent sous-déclarées en raison de divers facteurs tels que la stigmatisation, la méconnaissance des symptômes de surdose et le manque de surveillance adéquate des cas de décès liés à la drogue. Par conséquent, il est possible que le nombre réel de décès soit plus élevé que ce qui est rapporté officiellement.

Pour vous, la drogue et les substances assimilées  comme  le voddi,  la chicha ou le kadhafi constituent-elles un réel danger pour les élèves en milieu scolaire ?  Comment et pourquoi ?

Oui, la drogue et les substances similaires présentent un réel danger pour les élèves en milieu scolaire. Voici pourquoi :

 La consommation de drogue altère la capacité de concentration, de mémoire et de prise de décision. Cela peut nuire aux performances académiques des élèves, entraînant une baisse des résultats scolaires.

Certaines drogues sont hautement addictives, ce qui peut entraîner une dépendance chez les jeunes qui les consomment. Une fois dépendants, les élèves peuvent avoir du mal à se concentrer sur leurs études, et leur priorité devient souvent l’obtention de la drogue plutôt que leur éducation.

De plus, la consommation de drogue peut causer de graves problèmes de santé physique et mentale chez les jeunes, y compris des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, des problèmes cardiaques, des troubles mentaux comme la dépression et l’anxiété, voire des dommages cérébraux permanents.

Les élèves sous l’influence de la drogue ont tendance à prendre des risques accrus, comme avoir des relations sexuelles non protégées, conduire sous l’influence ou s’engager dans des comportements violents. Cela peut non seulement mettre leur vie en danger, mais aussi celle de leurs camarades.

A côté de cela, la consommation de la drogue peut entraîner des problèmes sociaux tels que l’isolement, le rejet par les pairs et des conflits familiaux. Cela peut perturber le fonctionnement normal à l’école et entraîner des problèmes de discipline.

Pour toutes ces raisons, il est crucial que les écoles sensibilisent les élèves aux dangers de la drogue et mettent en place des programmes de prévention efficaces. Il est également important que les élèves sachent où trouver de l’aide s’ils ont des problèmes de drogue ou s’ils connaissent quelqu’un qui en a.

Quelle est la politique du Programme  National de lutte contre le tabagisme en matière de la lutte contre la drogue en milieu  scolaire ?

En Côte d’Ivoire, le Programme National de Lutte contre le Tabagisme (PNLTA) vise principalement à réduire la morbidité et la mortalité  liées au tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et les autres addictions à travers des activités de type préventif, curatif et de recherche. Mais il joue également un rôle indirect dans la prévention de la consommation de drogue en milieu scolaire.

Le PNLTA mène des campagnes de sensibilisation et d’éducation sur les dangers du tabagisme. Ces campagnes peuvent également couvrir les risques associés à la consommation de drogue, fournissant ainsi aux jeunes des informations complètes sur les méfaits des substances addictives.

En outre, le PNLTA encourage l’intégration de contenus sur la prévention du tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie dans les programmes scolaires. Cela se fait à travers des cours d’éducation à la santé ou des activités extracurriculaires.

 Le PNLTA organise des formations pour les enseignants et les intervenants scolaires afin de les aider à détecter les signes de consommation de drogue chez les élèves et à intervenir de manière appropriée.

Aussi, le PNLTA travaille en collaboration avec d’autres institutions gouvernementales, notamment le Ministère de l’Éducation, ainsi qu’avec des organisations de la société civile, pour mettre en place des programmes de prévention intégrés qui abordent à la fois le tabagisme et la consommation de drogue. Le PNLTA contrôle la vente de tabac et de drogues aux jeunes. Il promeut des réglementations strictes concernant la vente de tabac, en veillant à ce que les lois en vigueur soient respectées pour limiter l’accès des élèves à ces substances.

En résumé, bien que le PNLTA se concentre principalement sur la lutte contre le tabagisme et de la drogues, ses activités contribuent indirectement à la prévention de la consommation de drogue en milieu scolaire en sensibilisant, en éduquant et en mettant en place des politiques visant à promouvoir la santé et le bien-être des jeunes.

Quelles solutions préconisez-vous pour réduire l’usage de la drogue par les adolescents ?

Pour réduire l’usage de la drogue par les adolescents, voici quelques solutions préconisées :

 Il est essentiel de fournir une éducation précoce sur les dangers de la drogue et ses conséquences. Les programmes de sensibilisation devraient commencer dès l’école primaire et se poursuivre tout au long du parcours scolaire, en mettant l’accent sur les risques pour la santé physique, mentale et sociale. En enseignant aux jeunes des compétences telles que la gestion du stress, la résolution de problèmes et la prise de décision responsable, ils seront mieux équipés pour faire face aux pressions sociales et aux tentations de consommation de drogue.

Les familles jouent un rôle crucial dans la prévention de la consommation de drogue chez les adolescents. Des programmes de soutien familial et des activités qui renforcent les liens parent-enfant peuvent aider à promouvoir des comportements sains et à réduire les comportements à risque.

Il faut offrir aux jeunes des alternatives positives à la consommation de drogue, comme le sport, les arts, les activités de bénévolat, peut les aider à rester occupés et à trouver un sentiment d’appartenance en dehors de la culture de la drogue.

Les écoles et les communautés doivent mettre en place des politiques strictes interdisant la possession et l’utilisation de drogues, avec des conséquences claires pour ceux qui ne respectent pas ces règles. Les efforts de prévention devraient également inclure la formation du personnel scolaire pour détecter et intervenir précocement en cas de consommation de drogue.

Aussi, il est important de fournir aux adolescents des services de soutien et de traitement accessibles en cas de problème de consommation de drogue. Cela comprend des programmes de désintoxication, des conseils individuels et des groupes de soutien.

Par ailleurs, il faut  utiliser les médias et les réseaux sociaux pour diffuser des messages de sensibilisation sur les risques de la drogue et promouvoir des comportements sains peut également être efficace pour atteindre les adolescents. En combinant ces approches, on peut espérer réduire efficacement l’usage de la drogue parmi les adolescents et promouvoir des modes de vie sains et résilients.

Entretien réalisé par Victoire Kouamé

Lemediacitoyen.com

* Cet article est le dernier  épisode de notre  DOSSIER/  DROGUE EN CÔTE D’IVOIRE , L’HEURE EST GRAVE. Le premier  épisode  porte sur l’addiction à la drogue « kadhafi » à Yopougon . 

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