Fahiraman Rodrigue Koné, Sociologue : «  Le rôle de la femme politique, de mère et d’épouse ne sont pas incompatibles »

      Fahiraman Rodrigue Koné, Sociologue et membre de l’African security sector network analyse la situation sur la question de l’engagement politique des  jeunes filles et fait des propositions pour une nette amélioration en Côte d’Ivoire.

     L’environnement constitue-t-il une crainte pour les jeunes filles désireuses de faire de la politique ?

      Elles sont rares les jeunes filles qui sont engagées en politique en Côte d’Ivoire. Je n’en connais pas vraiment. Est-ce par crainte? Il y a plusieurs facteurs. Les craintes de l’environnement sont justifiées par une série de préjugés et de représentations sociales rattachées au statut de la femme dans notre société. Sociologiquement le rôle social de la femme dans nos sociétés est loin du modèle d’engagement politique. Une femme idéale est perçue comme une bonne épouse et une bonne mère qui tient bien son foyer. Quand elle s’éloigne de cette image, on commence à lui attribuer des qualificatifs la dépeignant sous des traits stigmatisant. Le sentiment reste partagé qu’elle se rebelle de son rôle social classique.

     Comment cette stigmatisation s’exprime-t-elle ?

     Cette stigmatisation s’exprime avec plus de force dans le champ politique pour deux raisons. La première, le politique est inconsciemment considéré comme un secteur exclusivement masculin dans nos sociétés qui sont à dominance patriarcale. La domination de l’homme au niveau de la cellule familiale et des structures traditionnelle de pouvoir a en général créé un champ du politique réservé aux seuls hommes. Il y a même un glissement de sens qui fait correspondre la virilité masculine avec la capacité d’exercer le pouvoir, de combattre ses adversaires et de s’imposer. Cette rhétorique guerrière qui s’associe aux représentations de l’exercice du pouvoir disqualifie en creux le modèle d’engagement féminin dans le champ politique.

     Les craintes de l’environnement sont donc les craintes d’afficher le contre modèle dans une société qui voit la femme comme un attribut du pouvoir et non comme un acteur premier du pouvoir. Elle doit être au côté de l’homme qui exerce naturellement le pouvoir et non elle-même le prétendre. Elle est perçue comme un ornement. C’est de là que découle tous les préjugés. Si elle s’engage c’est soit une femme-garçon, qui veut imiter les hommes or elle n’en a pas la nature. Du coup elle sera perçue comme une femme indigne, incapable de s’occuper d’un foyer et de ses enfants.

      D’ailleurs on lui dira qu’elle n’arrive même pas à gérer sa famille et veut faire de la politique. Soit, elle sera dépeinte sous les traits les plus désobligeants du sexisme vulgaire en disant qu’elle est comme une prostituée pour les hommes en politique. Qu’elle ne peut pas aller loin dans le parti si elle ne joue pas de ses faveurs et charmes féminin.

      Deuxièmement. Ce regard social sur la femme en politique de nos jours est tout aussi renforcé par le discours religieux et les représentations coutumières qui renferment parfois la femme dans le rôle de subalternes.

     Une femme doit être soumise à un homme. Si naturellement l’homme fait la politique, si la femme dispute avec lui le pouvoir, la tendance sera de dire qu’elle est effrontée, qu’elle ne connait pas sa place.

      Quels en sont les inconvénients ?

      Ces mécanismes sociaux, culturels et politiques finissent par fonctionner, consciemment ou inconsciemment comme des barrières psychologiques tuant l’engouement de la jeune femme à s’engager. Souvent les jeunes femmes sont contraintes d’évaluer le coût social et psychologique d’une telle décision. Est-ce que je peux vivre avec ces préjugés, cette stigmatisation, pour moi et mon entourage ?

      Qu’en pensez-vous ?

      Dans une société où les femmes sont très peu financièrement autonomes une telle décision de s’engager comprend plus de risque. Pour s’affirmer une femme doit surmonter tout cela ce qui n’est pas évident. Ce qui est naturel pour le jeune homme ne l’est pas pour la jeune femme.

        Et si les sensibilisations se faisaient à l’endroit de la société ? 

        En effet la sensibilisation peut être un moyen de faire évoluer les pensées et les imaginaires culturels.  Elle doit s’axer sur les exemples concrets. Il y a des figures féminines en Côte d’Ivoire à la fois dans le domaine politique, société civile et économique qui peuvent être des modèles à promouvoir mais surtout être mobilisées comme des  coach et mentors pour les jeunes filles voulant s’élever au leadership politique.

        Je pense aux devancières comme Constance Yaï, Fait Gabala, Simone Ehivet Gbagbo, etc. Elles doivent accepter de coacher ces jeunes filles. Ces figures politiques ont largement fait évoluer les mentalités en la matière. Elles se sont imposées par leur combat et sont acceptées dans les imaginaires. Ce qui veut dire que ce qui relevait de l’utopie au départ est une réalité incarnée par des exemples concrets. Et c’est sur ces exemples qu’il faut s’appuyer pour davantage faire reculer les préjugés. Ce travail doit être fait à la fois par les partis politiques, la société civile et les jeunes femmes elles même.

       Comment déconstruire ces préjugés ?

     Les jeunes filles désireuses de faire de la politique devraient avant tout approcher les devancières pour s’inspirer de leur modèle, mais surtout de puiser auprès de leur expérience des stratégies et pratiques concrètes.

        La formation intellectuelle et politique doit être leur crédo. C’est la formation et la force de convaincre avec leurs idées. Il faut qu’elles déconstruisent les préjugés sexistes par la force de leurs idées. Des idées originales, loin de celles classiquement servies.

       Elles ne doivent pas non plus sacrifier leur féminité, leur figure d’épouse ou de mère pour seulement la politique. Le rôle de la femme politique, de mère et d’épouse ne sont pas incompatibles. Il y a beau d’exemple qui le montre. Il ne faut pas alors se dire qu’on va sacrifier tout le reste pour la politique seule.

      L’Etat devrait-il légiférer sur la question?

       Le rôle de l’Etat à mon avis doit se jouer au niveau du cadre légal et institutionnel. Il serait bien d’imposer, par une loi, au parti politique la promotion des femmes aux élections locales et nationales. Si cela est fait, les partis politiques iront même en quête de jeunes femmes et les encadreront efficacement pour être représenté au niveau de décisionnel. Il faut aussi que les décideurs fassent l’effort de nommer davantage des femmes. Je dirai de jeunes femmes à des postes de haute importance pour briser ce tabou féminin en politique.

         Quelle proposition pour encourager les jeunes filles étudiantes en science politique à l’engagement réel ?

          Toutes les jeunes femmes de toutes catégories devraient s’engager. Celles qui ont un avantage comparatif en terme de connaissances intellectuelles connaissance aussi les même difficultés d’engagement. Leurs connaissances sont un atout mais pas suffisantes. Il faut qu’elles se rapprochent des devancières, de celles qui connaissent vraiment les contraintes de terrain et qui les ont surmontés avec brio. Se rapprocher des aînées permettra d’avoir les recettes utiles pour briser les barrières psychologiques qui les maintiennent dans l’inaction.

Réalisée par Marina Kouakou

Lemediacitoyen.com

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