Réussir à monnayer un billet de banque dans le commerce relève de plus en plus du miracle économique. Le client n’est plus roi à cause de réseaux bien perfides qui empêchent l’argent de circuler. Même la mise en garde de la BCEAO parait inaudible. Nous avons fouiné !
Il est exactement 7h15 minutes, ce 11 mars dans la commune d’Adjamé, à Abidjan. La journaliste de lemediacitoyen.com emprunte un véhicule de transport en commun à la gare de Renault, en partance pour le Plateau, le centre des affaires. Confrontée à un problème de monnaie, elle craint une dispute avec le chauffeur. Autant avertir ce dernier, croit-elle bien faire. « Bonjour Monsieur, je vais au Plateau, mais j’ai un billet de 1000 F CFA ». Il coupe net : « Je n’ai pas de monnaie. Pour 300 FCFA vous voulez me donner 1000FCFA. Adressez-vous à celui qui charge après moi ».
« La règle de cette gare est de faire installer les clients qui n’ont pas de monnaie dans le fond »
Non loin, certaines vendeuses ambulantes, proposent de faire la monnaie si et seulement si des achats sont faits. A savoir « un paquet de lotus et un sachet d’eau ». Ce que refuse votre reporter. Après avoir essuyé des refus catégoriques à deux reprises, les minutes d’après un chauffeur est finalement prêt à nous laisser monter dans son véhicule. Sa seule exigence est que nous nous installons dans le fond du véhicule à 7 places, car selon ses dires, « la règle de cette gare est de faire installer les clients qui n’ont pas de monnaie dans le fond. Les personnes qui ont la monnaie ne doivent pas ‘’souffrir’’, elles prennent donc les places ‘’VIP’’ », dit-il avec un petit sourire au coin des lèvres. Nous comprenons instantanément que les trois véhicules précédents refusaient de nous laisser monter car les places attribuées aux personnes qui n’ont pas la petite monnaie étaient déjà prises.
La pendule affiche 8 heures et 30 minutes quand nous sommes maintenant à quelques encablures du palais de justice, du côté du quartier abidjanais des affaires. Nous souhaitons acheter des documents au prix de 8500F CFA, et remettons la somme de 10 000 FCFA au commerçant. Ce dernier laisse transparaître une angoisse, avant de laisser entendre. « Où je vais trouver la monnaie ? ».
Un vendeur de monnaie camouflé en vendeur de pain
Après plus d’un quart d’heure d’errements, le jeune homme d’environ la vingtaine revient et dit « la vielle mère je n’ai pas eu monnaie. J’ai tourné, tourné, les gars ne sont pas prêts. Il ne reste plus qu’à acheter la petite monnaie ». L’idée ne déplaît pas. Elle permettra d’en savoir plus.
Le vendeur de document indique l’endroit où acheter de la monnaie en donnant des consignes « Va tout droit. Tu verras un vendeur de pain à ta gauche. Tend lui seulement les 10 000FCFA, avec les 100FCFA à l’intérieur. Il comprendra et te fera la monnaie ». Curieusement, le vendeur de monnaie est aussi un vendeur de pain, comme pour se camoufler. Après avoir salué nous lui tendons l’argent. Le vieil homme, la cinquantaine révolue, toucha le billet avec insistance. Dès qu’il senti la pièce mise à l’intérieur, il fouilla dans son sac en bandoulière qu’il avait accroché à son cou et nous remit un billet de 5000 FCFA, un autre de 2000FCFA, deux billets de 1000FCFA, et deux autres de 500FCFA. Nous retournons ensuite vers le commerçant qui nous explique. « Il est impossible d’avoir la monnaie entre nous commerçants. Ce sont des stratégies pour que nous achetions. Si J’avais mis une pièce de 200FCFA à l’intérieur du billet on aurait eu le billet de 5000FCFA. Pour 2000 FCFA, tu lui remets 200FCFA et il ne donne que des jetons. Les transporteurs eux remettent la monnaie aux femmes qui vendent les serviettes jetables, l’eau», détailla-t-il.
Koné Ibrahim est transporteur depuis une vingtaine d’années. Approché pour connaitre les raisons des attitudes des transporteurs envers les clients face à ce problème de monnaie qui persiste, celui-ci répond : « Tous les transporteurs ne sont pas pareils. Quand j’ai la monnaie, je la donne aux clients. Mais quand je n’en ai prends je fais en sorte que certains clients aient la monnaie de sorte à libérer les autres qui n’en ont pas. Je suis informé de ce que certains parmi nous recueillent les pièces pour les vendre, mais moi non », se défend-il.
Une jeune dame de 30 ans que nous nommons Marthe a bien voulu nous expliquer quelques astuces des commerçants pour se procurer la petite monnaie. En fait, elle connait bien les méthodes de l’intérieur. « Je suis à Blockauss. Chaque matin, avant d’emprunter le bus pour l’école, j’aperçois les commerçantes d’attieké de poissons qui viennent acheter la monnaie auprès des agents de la Sotra. Elles remettent les billets et ils leur font la monnaie. Soit les agents retranchent directement la commission en faisant la monnaie, soit les commerçantes remettent les billets et ensuite la commission. A l’église également, j’en connais qui approchent les quêteuses et procèdent de la même manière pour obtenir la petite monnaie », révèle-t-elle.
Chaque commerçant dispose visiblement d’un réseau de sorte à travailler librement. Ismaël Kouyaté cordonnier dans la commune d’Adjamé, nous explique son procédé pour obtenir la monnaie. «Le problème de monnaie nous embête vraiment. Nous perdons souvent des clients à cause de cela. Il faut avoir un petit réseau pour avoir la monnaie. J’approche les mendiants. Ils me vendent la monnaie. Ils donnent l’impression de ne pas en avoir mais ils en ont. C’est vers eux que je me tourne quand je suis dans le besoin » Nous confie-t-il.
Craintes de ralentissement de l’économie
La difficulté d’accéder à la monnaie est également constatée par Marius Comoé, président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de côte d’Ivoire ( FACA-CI). « Il nous revient de façon récurrente que les Commerçants, Chauffeurs de Taxi ou de Minicar, Vendeurs dans les marchés ou dans les Grandes Surfaces, Gérants de cabine, Boutiquiers… tous sans exception se plaignent de l’indisponibilité des pièces de monnaie dans les transactions commerciales. Certains, parmi ces derniers vont jusqu’à être réfractaires à l’acceptation même de certaines pièces de monnaie, alors même qu’avoir ladite monnaie dans les commerces aujourd’hui pour contenter chaque partie s’avère déjà difficile et relève d’un parcours de combattant », se désole le défenseur des droits des consommateurs.
Il rappelle que les désagréments concernent aussi bien les personnes que l’économie nationale. « Aux dernières nouvelles, cette situation d’absence de pièces de monnaie dans notre économie fait perdre des dizaines de milliards à nos finances publiques », indique Marius Comoé.
Le Spécialiste en économie Stephane Ganhi, interrogé, affirme que la réalité du manque de monnaie s’explique par le fait que la Côte d’Ivoire ne bat pas de monnaie. « Ce qui signifie que la quantité de monnaie disponible dans notre économie est exogène à nos réalités. Il faut ajouter à cela le faible taux de bancarisation. Les individus ont tendance à thésauriser (garder l’argent sur eux) la monnaie. En plus, les banques ne sont pas accessibles aux petits commerces pourtant ce sont elles en générale qui travaillent beaucoup avec la monnaie. Donc comprenez que si les agents économiques n’ont pas accès aussi facilement aux banques et qu’ils pratiquent la thésaurisation le problème de monnaie sous nos tropiques devient plus qu’une réalité à ne pas occulter », explique-t-il.
La BCEAO inaudible
A l’en croire, le manque de monnaie dans les commerces pourrait conduire à une flambée des prix des denrées alimentaires. Cela s’explique en partie pour les denrées de première nécessité et aboutira à un ralentissement de l’économie. « Le manque de monnaie conduirait à l’endettement. Sauf que sous nos tropiques cette démarche compensatrice d’octroi de crédit est quasi inexistante ce qui conduit à la volatilité des prix afin que la demande puisse égaler l’offre. Pour cela il faudrait que la banque centrale puisse créer de la monnaie pourtant nous savons que la création de notre monnaie est exogène » A-t-il souligné.
Avant de clore ses propos, l’expert a souhaité que la banque centrale créée de la monnaie en fonction du taux de croissance de l’économie ivoirienne. Cela a-t-il dit « permettre de maintenir un équilibre économique ». Et d’ajouter : « Faute de quoi nous allons vers une économie de la dette ce qui n’est pas notre cas et donc l’inflation vient quelque part compenser cela ».
Comment le gouvernement appréhende-t-il cette question ? Nous posons la question à Charle Boa, responsable de communication au ministère de l’Economie et des Finances. Ce dernier nous dirige vers la BCEAO. Joint par téléphone, le service communication de la BCEAO indique qu’il est impossible d’avoir les informations souhaitées, car ‘’notre média ne figure pas dans leur base de donnée’’.
N’empêche, des informations disponibles en ligne relèvent qu’un guichet a été ouvert à l’agence principale de la BCEAO du Plateau pour servir des particuliers uniquement sur rendez-vous.
L’idée est de répondre à la préoccupation relative aux émissions de la monnaie. S’expliquant sur cet aspect dans un article paru chez l’infodrome, le directeur de l’institution en Côte d’Ivoire , Chalouho Coulibaly, a précisé que ‘’la direction nationale de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire, a décidé d’émettre régulièrement des petites coupures de billets et des pièces de monnaie qui sont mises à la disposition des banques, des régies financières de l’Etat, des pharmacies et des grandes surfaces et de distribution’’.
Poursuivant, il a mis en garde les vendeurs de billets. « Des sanctions pénales prévues par la loi seront appliquées à tout contrevenant. Les auteurs de cette pratique délictuelle s’exposent à une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans et une amende d’un million à trois millions de francs CFA ». Chalouho Coulibaly a également invité la population à « une plus grande vigilance en refusant d’être des victimes ou des complices de ces spéculations’’. Helas, son message passe peu !
Marina Kouakou
lemediacitoyen
1 Rétrolien / Ping