Interview/ Inondation, Dr Dadié Paul Koffi, socio-environnementaliste : « voici mes propositions »

Dr Dadié Paul Koffi sociologue-environnementaliste, spécialiste de l’adaptation aux changements climatiques a soutenu sa thèse au sujet de la résilience des populations en contexte d’inondation (LMC)

 Dr  Dadié Paul Koffi sociologue-environnementaliste, spécialiste de l’adaptation aux changements climatiques a soutenu sa thèse au sujet de la résilience des populations  en contexte d’inondation dans les villes de Korhogo en Côte d’Ivoire et de Niamey au Niger. A cette saison des pluies, il fait des  recommandations qu’il juge utiles avant tout déguerpissement de zone à risque. Interview !  

Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement les villes de Korhogo et de Niamey pour étudier la résilience face aux inondations, effet de changement climatique ?

A Korhogo on est plus confronté à des questions d’inondations pluviales. C’est-à-dire, ce sont des inondations qui arrivent après de fortes pluies. Or dans le cas de Niamey, il peut ne pas avoir de pluies et il y a  des inondations. Au niveau du fleuve Niger, quand il pleut au Sénégal, la crue déborde  à Niamey et il y a inondation. Ce que nous avons voulu savoir était  comment les populations réagissent quand il y a l’inondation pluviale, fluviale et dans les deux cas, quelles sont les moyens dont disposent les populations dans un premier temps mais aussi, les acteurs institutionnels. Notamment, l’administration, les autorités locales pour faire face aux inondations.

Et qu’avez-vous constaté ?

Ce que nous avons constaté est que dans les deux villes, les deux cas de figure, les populations sont soumises aux mêmes effets ou mêmes risques face aux catastrophes.

Korhogo étant une ville secondaire et Niamey une ville primaire, on s’attendait à voir les moyens ou mesures de réponses différenciés. Mais on se rend compte que les populations subissent de la même façon et réagissent à peu près sans grande différence.

Quelle est la réaction constatée ?

A Korhogo, il y a une maxime sociale qui est apparue dans le verbatim. Les populations disent qu’il ne s’agit pas de quelque chose qui arrive de façon récurrente. Donc elles essaient de fonctionner avec. En 2008, 2012 et 2014, les inondations ont fait plusieurs morts à Korhogo et des dégâts matériels. Mais les populations se mettent dans une posture qui ne leur permet pas de percevoir la gravité de la situation.

Quand on est à Niamey, les populations disent qu’elles sont habituées. Dans ce contexte, les populations intègrent la venue de l’inondation dans leur pratique quotidienne.

Les populations  se prémunissent-elles  des conséquences des inondations bien qu’elles y soient habituées  ou sont-elles fatalistes?

Elles ne sont pas fatalistes. Mieux, elles banalisent l’effet inondation. Les populations prennent conscience  de la situation lorsque l’événement est déjà produit. Il n’y a pas de mesure de prevention en tant que tel, ce sont des mesures de réactions.

Or en matière de changement climatique, ce qui est le plus indiqué, c’est en amont qu’il faut apporter un certain nombre  de pratiques qui puissent permettre de minimiser les dégâts que pourraient poser les effets du changement climatique.

On s’est rendu compte que dans les deux cas, les populations ont tendance à se maintenir sur l’espace. Elles quittent juste pour deux ou trois jours. Quand l’eau diminue, elles reviennent occuper les espaces inondés. Notre thèse a permis de dégager un attachement à l’espace.

Qu’est ce qui explique cet attachement à l’espace ?

Les populations considèrent l’espace comme un patrimoine familial. Elles sont donc attachées à l’espace. Ce qui est vraiment difficile pour ces populations de laisser leur espace. Dans les deux cas cela s’est vérifié. A Niamey, c’est à la rive droite du fleuve Niger que les inondations font plus rage.  C’est comme un bassin versant. Les populations sont de la couche défavorisée.

L’accès au foncier, le coût élevé du loyer sont évoqués. Il y a aussi que les inondations constituent un moyen de chantage pour  les pouvoirs publics.

 En contexte de campagne électorale, les populations situées dans les zones qui sont vues comme des espaces à risques se voient promettre monts et merveilles.  On leur dit vous ne quitterez pas si vous votez pour le pouvoir en place. Et on leur dit, même si vous quittez, vous aurez un titre de logement, un domaine qu’ils vont habiter. L’écart entre ce qui est fait après les élections et la promesse envoie souvent ces populations à se rebeller. C’est un cycle. A Niamey, c’est un cycle depuis 1988. Dans un quartier de la rive droite, il y a des tensions. Les populations continuent de se maintenir.

Est-ce la même réalité à Korhogo ?

A Korhogo on ne peut pas dire que ce sont les mêmes enjeux, à quelques similitudes près.  L’accès au foncier se fait avec les autorités locales. Du coup, cela apparait comme des espaces sur lesquels les populations peuvent s’installer. Or dans les plans de viabilisation, les espaces sur lesquels les populations sont installées ne sont pas prévus pour être habités.  L’accès aux zones d’habitations dans certaines localités laisse apparaitre des zones d’ombre. La conséquence est que quand il pleut, ce sont des risques, des obstructions de voies de communication. Les populations sont vraiment en danger ce qui a un coût pour l’autorité publique. Prévenir, agir en amont des inondations devient moins coûteux.

Pendant vos travaux, avez-vous échangé avec les populations elles-mêmes ?

Nous avons échangé avec trois catégories d’acteurs. D’abord les acteurs étatiques. Les maires, les présidents de conseils généraux, les différents représentants des ministères en charge des questions liées à l’environnement. La seconde catégorie, ce sont les organismes de prise en charge. Le PNUD, l’USAID, un certain nombre d’organismes qui interviennent pour la gestion de la catastrophe et les populations.

Que ressort-il  des discours d’acteurs étatiques ?

Au niveau des acteurs étatiques, il se dégage une sorte de résignation dans les discours. Ces acteurs affirment que les populations sont têtues. Quand on leur demande de quitter, elles ne veulent pas quitter pourtant elles voient le dégât causé par les inondations. Un tel discours montre tout l’embarras qui s’installe autour de l’application des textes réglementant l’occupation de l’espace social, l’espace habité.

Les organismes jouent un rôle de réconciliateur entre l’Etat et les populations car leur rapport semble tendu. Pour l’Etat, il faut procéder à des déguerpissements systématiques, pour les populations, on ne peut pas les déguerpir sans leur permettre d’accéder à d’autres habitations. Cette réalité concerne aussi bien Korhogo et Niamey. Les organismes insistent sur la prise en compte des droits de l’homme dans le déguerpissement. On ne peut pas déguerpir sans mesure d’accompagnement. Ce qui freine l’action de l’Etat.

Qu’est ce qui est le plus frappant dans le comportement que vous avez remarqué ?

Ce qui est le plus apparent, c’est que les populations continuent de se maintenir sur les espaces à risques malgré les dégâts. Mieux, la démographie de ces zones d’inondations devient de plus en plus forte. A Korhogo par exemple, en 1999, ils étaient autour de 200 à 300 habitants dans les zones à risque. Aujourd’hui, dans le quartier de Sosobrou, ils sont largement au-delà de 700 habitants avec des habitations de deux paysages. Des villas basses et de petites constructions. Ce qui veut dire que la solution que propose l’Etat n’est pas vue ou appréciée de la même manière par les populations. Elles ne voient pas ces espaces comme des espaces à catastrophe. Elles les voient comme des propriétés familiales, ancestrales.

Comment expliquez-vous la similitude dans le comportement des populations qu’on soit à Korhogo ou à Niamey. Existe-t-il un lien entre leur comportement et une histoire ancestrale liée au Bassin du Niger ?

On a eu deux réalités différentes. A Korhogo, les populations n’ont pas participé aux activités économiques autour du Delta du Niger. Ce sont plutôt des réalités commerciales qui ont envoyé les populations à s’installer sur ces zones à risques. Les premières populations installées sur ces zones étaient en l’occurrence des haoussas du Niger et du Nigeria et les Zeman et les senoufo. C’était essentiellement des populations qui faisaient le commerce. Et avec  le brassage avec les senoufo, ils ont accédé au foncier, certains sont devenus propriétaires.

Dans le cas du Niger, l’espace inondé sur lequel nous avons travaillé était un lieu de repos des éleveurs peuhls. C’est ainsi qu’en 1959, l’occupation a commencé. Les autochtones dans cette zone sont des zeman du Niger secondés par les Haoussa venus essentiellement du Benin.

A l’analyse, ces espaces ne sont pas à l’origine dédiés à des habitations. Le risque n’avait pas été pris en compte dès le départ. Ce n’est pas la même histoire, mais d’un point de vue des activités menées, on peut dire que les raisons sont économiques.

Finalement, les résultats de vos recherches à Niamey et à Korhogo ont l’air du déjà vu avec les habitants des zones à risque au niveau d’Abidjan. En général, ces habitants refusent de quitter les zones dangereuses…

On aurait pu travailler sur Abidjan parce que dans les deux cas, on a les mêmes résultats. A Abidjan, il y a eu plus de morts qu’à Korhogo en 2018 pendant les inondations dans les zones à risque. Ce  ne sont des espaces prévus pour être habités. Abidjan est une capitale. Et même les quartiers huppés de la Riviera n’ont pas été épargnés.

A Abidjan, en dehors de la rivière du Banco, on n’a pas de rivière. Cela veut dire qu’on a dû obstruer toutes les rivières. Dans ce contexte, quand il y a de fortes pluies, c’est clair qu’on est exposé.

Que faut-il faire pour convaincre les populations à partir ?

Il faut reconsidérer le rapport de l’individu à son espace. Les comportements à risque sur lesquels on devrait pouvoir travailler de notre point de vue c’est de savoir comment l’individu  défini l’espace ; comment il entre en contact avec l’espace.  De sorte qu’on puisse savoir à quel niveau le sensibiliser avant de lui demander de laisser son espace. La prise en compte des savoirs locaux, des savoirs endogènes, sur les questions d’occupation de l’espace urbain.

Au niveau des politiques publiques, la solution n’est pas de déguerpir. On peut casser et l’espace va être occupé d’une autre manière. En cassant le point A, le point B qui sera occupé va subir les mêmes pressions. Pour nous il ne faut pas déguerpir mais emmener les populations à comprendre les notions du risque.

Interview réalisée par Nesmon De Laure

Lemediacitoyen.com

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