L’ivoirienne Maubah Stéphanie Carène Konan est doctorante à l’Institut de Géographie Tropicale (IGT) de l’université Felix Houphouët Boigny d’Abidjan. Elle étudie la géographie de la malnutrition infantile.
Elle fait partie des jeunes talents primés le 21 novembre 2019 à Dakar. Ce, dans le cadre du programme de formation de la Fondation L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Maubah Stéphanie Carène Konan fait des propositions pour venir à bout de la malnutrition en Côte d’Ivoire. Interview.
Quelle est l’étude qui vous a vu sacrer à Dakar en tant que jeune talent ?
Je suis ingénieure génie logiciel et réseau télécommunications. J’écris une thèse de Doctorat portant sur “l’étude Géographique de la malnutrition infantile en Côte d’Ivoire. Il y est question de l’utilisation du Système d’Information Géographique ou Géomatique, appliqué(e) à la malnutrition infantile.
Comment avez-vous été retenue pour prendre part au programme de formation des jeunes talents au Sénégal ?
Ma candidature à la bourse l’Oreal-Unesco pour les femmes et la science en Afrique Subsaharienne remonte au mois d’avril 2019. En effet, ma directrice de thèse le professeur Bikpo Céline, professeur titulaire de Géographie, directrice de l’IGT, m’encouragea à candidater en soumettant un projet tiré de ma thèse.
Après l’acte de candidature, les résultats furent reçus au mois de juillet 2019, via appel téléphonique. J’ai été contactée à cette période par la Fondation l’Oréal, afin d’être informée de ma sélection. Il s’en est suivi un ensemble de procédures administratives et organisationnelles en prélude à la cérémonie de remise de prix le 21 Novembre 2019 à Dakar.
Votre recherche est intitulée : la géomatique au service de la lutte contre la malnutrition, de quoi est-il question ?
D’abord, cette recherche part de la question suivante : Que peut apporter la géographie qui est à la base une science sociale (pour preuve, nous faisons partie de l’Unité de Formation et de Recherche, Sciences de l’Homme et de la Société), à un problème de santé publique, relevant du domaine médical ?
La malnutrition infantile il faut le dire, intéresse au premier plan les médecins, puis du fait de la multiplicité des causes la justifiant, les économistes, sociologues et anthropologues, etc…Cependant, l’on pense moins à un géographe.
Notre porte d’entrée dans la science étant l’espace, nous possédons par conséquent les clés nécessaires permettant de lire tout ce qui s’y passe puis faire des recommandations pertinentes et appropriées.
Tel est l’objectif que poursuit cette recherche, étudier la malnutrition infantile dans l’espace ivoirien, comprendre sa répartition spatiale en la corrélant à d’autres paramètres socio démographiques et ce à travers le prisme du Système d’Information Géographique.
Qu’est-ce que donc la géomatique ?
La géomatique peut se définir simplement comme étant l’application des processus informatiques aux sciences géographiques. Il s’agit de faire de la géographie en utilisant des outils informatiques.
Par exemple, de la cartographie traditionnelle, reposant sur l’utilisation de stylo à encre (rotrings) et de papiers calque, l’on est passé aujourd’hui à la cartographie numérique, faisant appel à des outils numériques tel que l’ordinateur, la souris, etc. puis, associant la gestion de bases de données géospatiales parfois dynamiques en arrière-plan.
C’est un domaine scientifique faisant la part belle aux connaissances informatiques pour la collecte, le stockage et le traitement des données, puis à un savoir-faire géographique pour l’analyse spatiale des informations recueillies. L’application de la géomatique s’illustre à travers la conception d’un Système d’Information Géographique (SIG) répondant à une question précise. Le but ultime étant de permettre une prise de décision rapide.
Les domaines d’application de la géomatiques sont vastes, à partir du moment que l’information collectée est associée à une référence spatiale, c’est à dire qu’elle possède des coordonnées X et Y (Latitude, Longitude).
A Dakar, quelles sont les formations que vous avez reçues ?
A Dakar, nous avons eu l’opportunité de recevoir des cours en leadership afin d’être mieux outillées sur la question. En outre, des cours de management ainsi que de négociation furent à l’ordre du jour. Etant appelées à défendre des projets et lever des fonds, ce sont des thématiques qui ne pouvaient être négligées.
La session de training s’est achevée par des discussions sur l’égalité du genre et le harcèlement sexuel et comment l’éviter en tant que femme évoluant dans un environnement scientifique largement dominé par les hommes.
Qu’est-ce que votre travail de recherche va-t-il apporter concrètement dans la lutte contre la malnutrition ?
Afin de répondre à cette question, je souhaiterais relater un fait que j’ai découvert lors de ma première année de thèse. J’ai lu l’histoire d’un médecin Anglais du nom de John Snow qui en 1854 faisait face à une épidémie de choléra dans le quartier de Soho dans la ville de Londres.
Il chercha par tous les moyens à connaitre le dénominateur commun de tous ces cas de choléra. Puis, il eut la brillante idée de les enregistrer avec des informations relatives au lieu d’habitation des patients.
Il n’avait bien sûr pas de GPS à cette époque, vu que ce système fut inventé 1 siècle plus tard en 1973. Après avoir enregistré ces cas il les superposa à une carte de ville de Londres. Il constata ainsi, un amas de cas de choléra autour d’une pompe en particulier.
Cette dernière fut fermée, ce qui entraîna une chute des cas de choléra. Nous sommes aujourd’hui en 2019, avec tous les avantages que confère la technologie (Smartphones, GPS, etc.), si j’arrive à réaliser la même chose que ce médecin londonien, je pourrai aider le gouvernement ivoirien afin que plus aucun enfant ne souffre de malnutrition en Côte d’Ivoire.
Avez-vous expérimenté le résultat de votre recherche ?
J’ai développé un prototype qui fonctionne. Il me faut l’expérimenter à grande échelle et en situation réelle afin d’évaluer sa performance, c’est à ce stade que la bourse l’Oréal-Unesco me sera d’une grande utilité car elle me permettra d’acheter du matériel informatique.
Quels sont vos sentiments après l’obtention de ce prix ?
D’abord je suis reconnaissante à l’endroit de ma directrice de Thèse qui m’a réellement encouragé à candidater et qui suit mes travaux de recherche depuis le Master. Ensuite à l’endroit de la fondation l’Oreal ainsi que de l’Unesco pour cette initiative. C’est une grande fierté qui m’anime.
Avoir été sélectionnée parmi toutes ces candidatures provenant d’Afrique Subsaharienne me fait comprendre que mes travaux ont suscité un intérêt particulier. Je suis motivée à aller plus loin avec ces travaux, en donnant le meilleur de moi afin que le projet présenté soit une effectivité en Côte d’Ivoire et pourquoi pas au-delà de nos frontières ?
Le prix que vous avez reçu, vous a permis d’obtenir la bourse de L’Oréal-Unesco, ce prix se résume-t-il à un appui financier ?
Nous avons été sélectionnées en tant que jeunes talents afin de recevoir la bourse de L’Oréal-Unesco. Cette bourse s’évalue à un soutien financier de 10.000 euros pour les doctorantes. Et 15.000 euros pour les post-doctorantes. Ce, afin de nous permettre de mettre en, place le projet de recherche pour lequel nous avons été sélectionnées. Donc en tant que doctorante, je bénéficie de 10.000 euros.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors de lors de votre travail de recherche ?
Lors de la première phase de rédaction de cette thèse, j’ai dû faire face à une difficulté d’accès aux données sanitaires. Par ailleurs, je dirais que la recherche nécessite des coûts financiers non négligeables.
En effet, pour mes enquêtes de terrain, il a fallu me déplacer dans 9 localités de la Côte d’Ivoire (Korhogo, Bévogo, Bouna, Varalé, Grand-Lahou et Djatéket) heureusement j’ai pu compter sur le soutien de mes parents.
Enfin l’achat de matériel informatique afin de déployer mon application car cela nécessite un serveur web et des tablettes configurées.
Quelles sont vos attentes particulières pour la vulgarisation des résultats de votre recherche ?
Mes attentes relativement cette solution c’est qu’elle soit vulgarisée et adoptée par le gouvernement ivoirien dans le contexte de la lutte contre un problème de santé publique en Côte d’Ivoire.
Après l’obtention de ce prix, quelle sera la prochaine étape de votre recherche ?
La prochaine étape de ma recherche est de faire fonctionner mon prototype dans un environnement réel puis le breveter. Aussi, la géomatique est un domaine passionnant permettant de travailler sur une multitude de thématiques aujourd’hui c’est la malnutrition infantile, demain il peut être question d’autre sujets. Je me prépare donc pour d’autres challenges.
Interview réalisée par N’Dri Koffi
Lemediacitoyen.com
Soyez le premier à commenter