Mariusca la slameuse est artiste, comédienne, slameuse congolaise. En dehors du slam, à la base elle est juriste de formation. Titulaire d’une maîtrise en droit, elle exerce aussi en tant que copyrighter. Elle écrit des spots publicitaires. De passage à Abidjan en février dernier elle a accordé une interview à Lemediacitoyen.com. Elle est revenue sur son parcours, ses perspectives de carrière etc.
Quel est l’objet de votre présence à Abidjan?
À Abidjan je suis venue présenter à la slamille (famille du slam) de Côte d’Ivoire, mon nouveau titre qui s’intitule « Ekosimba » qui est en lingala et qui signifie « ça va aller » « ça va marcher ».
Ce titre est sorti depuis le 1er février et est disponible sur toutes les plates formes de téléchargement légales. Bientôt le clip sortira. Mais aussi je suis venue parler du festival. Ma structure, mon équipe et moi organisons le premier festival de slam au Congo qui aura lieu du 28 au 30 avril 2022 à Brazzaville. Bien évidemment, la Côte d’Ivoire est invitée et c’est Amee la slameuse qui représentera la Côte d’Ivoire. Il y aura le Tchad, le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Gabon. Tous serons réunis à Brazzaville pendant 04 jours.
Quel est le déclic qui vous conduit à la musique notamment au Slam?
Déjà depuis toute petite, j’aimais l’écriture. Mais j’utilisais l’écriture plutôt comme une thérapie parce que j’étais très timide et je n’avais pas la force ni la volonté de pouvoir parler aux gens. Quand j’étais triste par exemple, je n’avais pas le courage de pouvoir m’exprimer. C’est avec l’écriture que j’arrivais à me défouler. Quand je suis arrivée au lycée notamment en classe de première, mon professeur de français m’inscrit dans un concours de littérature où il était question de lire un livre et d’exposer le résumé aux autres. On était une trentaine et j’ai occupé la 2e place. Je n’en revenais pas. Ça m’a fait un boom. Je me suis dis faut que je me forme, faut que j’aprenne à dire les choses par moi même. J’ai donc commencé à me former au théâtre. J’ai fait 7 ans dans une compagnie de théâtre pour me former.
Ensuite je me suis formée à la critique d’art, pour aiguiser ma plume je me suis formée dans les centres, des ateliers slam. Après ça, j’ai rencontré un slameur que j’écoutais sans savoir que c’était du Slam et je lui est demandé de m’apprendre ce qu’il faisait tant je trouvais ça beau et tellement singulier. On a fait une année de formation et après ça je n’avais pas encore le courage de monter sur scène en tant que slameuse. Plus tard j’ai pris la décision de monter sur la scène et depuis lors j’organise pas mal d’évènements slam avec mon projet « slam unité » qui est un projet d’initiation slam en milieu juvénile conflictuel. Je vais dans les villages des pays d’Afrique pour aller former des enfants et je fais aussi des concerts, des clips, des tournées.
Quels sont les thèmes que vous abordez généralement dans votre musique slam?
Je laisse ma plume très libre parce que je me dis que ce serait dommage d’avoir une seule thématique précise d’écriture. Je parle d’Afrique, je parle de jeunesse africaine, de jeunesse congolaise. Je parle d’amour, je parle d’espoir, je parle de prise de conscience, je parle d’enfants aussi parce que les enfants sont l’avenir de demain. Je parle de la situation des enfants dits de la rue, je parle des orphelins. Je parle également des enfants qui vivent dans les familles recomposées. J’essaie vraiment de faire en sorte que ma plume serve aussi aux autres. À la base c’est pour moi une thérapie, mais ça doit être aussi utile pour les autres. J’en profite pour faire passer des messages de solidarité, de changement de mentalité aussi quelque part.
D’où tirez vous votre inspiration ?
De tout, un texte peut naître d’une frustration, un texte peut naître d’un besoin, d’un espoir. Le dernier texte par exemple est né d’une période sombre de ma vie où j’avais besoin que quelqu’un me dise « persévère ça va aller! » Puisqu’il n’y avait personne pour me consoler, je me suis dis que je vais être cette propre voix et me le dire moi même par l’écriture, par le slam.
Je peux me retrouver dans un endroit où ce que je vois m’emmène à écrire. Le texte que j’ai écrit sur les enfants qui vivent dans des familles recomposées, c’est parce que dans mon quartier il y a un enfant qui est décédé sous les coups de sa belle mère. C’est une situation qui m’a tellement touché que je me suis dit qu’il ne fallait pas rester silencieuse. Ma plume est libre en fait. Que ça soit ce que je vois, ce que j’entends où même ce que je vis.
Comment pensez-vous que le slam puisse s’imposer au milieu de tous ces genres musicaux en Afrique que sont la rumba, le coupé décalé ou même le rap?
Moi je pense que le slam ne va pas s’imposer. Le slam va simplement se poser dans les cœurs des gens. C’est un art qui parle au cœur et c’est un art sincère. Le slam n’a pas à se bagarrer avec les autres formes d’art pour pouvoir se créer une place. Il a déjà sa place. Aujourd’hui les slameurs et slameuses sont invités à faire des featuring avec les artistes qui pratiquent les autres genres musicaux. Ce n’est pas un art qui vise à être dans la concurrence ou à dominer. C’est un art qui vient en paix, qui passe son message. C’est un art qui vise à unir et tout ce qui unit finit par se poser dans les cœurs.
Définiriez-vous votre slam comme un slam engagé? Si oui quel est votre engagement social?
Ce n’est pas l’artiste qui est engagé, mais c’est l’art qui engage. C’est ce que nous vivons au quotidien qui nous engage à dire certaines choses. Je suis artiste et tant que l’art m’engage à parler sur telle ou telle thématique, je n’hésiterai pas à laisser ma plume s’exprimer. Peu importe l’art qu’on pratique, qu’il s’agisse de l’art du divertissement, on finit par être engagé sur un sujet donné. Moi pour l’instant les domaines dans lesquels je suis engagée sont les questions des violences faites aux femmes. Je suis également la chargée de communication d’une Ong qui lutte contre les violences faites aux femmes. Je suis aussi engagée sur les questions liées aux droits des enfants.
Quel regard portez vous sur l’univers artistique et culturel ivoirien et notamment sur l’univers slam?
Je pense que la culture en Côte d’Ivoire est très développée. Le public est très ouvert à l’art, à la culture à Abidjan. En terme de slam mes confrères et consœurs ivoiriens font un très bon boulot. Avec toutes les activités qu’ils organisent en terme de prestation slam, en terme de clip, en terme d’atelier slam. Vraiment du très bon boulot se fait à babi. C’est un plaisir pour moi de pouvoir collaborer avec certains d’entre eux. C’est cela aussi la force du slam. C’est le partage, ce côté où on se donne la force les uns les autres. Vraiment chapeau pour tout le travail que les artistes font ici. Mention spéciale à Amee la slameuse qui emmène très loin les couleurs de la Côte d’Ivoire à l’extérieur.
Quel est l’état des lieux du slam au Congo ?
Je pense que le slam est vraiment en train d’avancer au Congo. Par rapport à 2008 ou le slam est arrivé au pays, il est en train d’avancer. On a de plus en plus de scènes slam, des artistes qui font des clips. Le public connaît de plus en plus le slam. Ce n’est plus un mouvement juste élitiste réservé à une catégorie de personnes. C’est tout le monde aujourd’hui qui peut faire du slam au Congo. On garde espoir que d’ici 05 ans, ce sera un art aussi connu que la Rumba ou la sape. On travaille à ce que ce soit un art qui vive dans le temps et qui fasse partie aussi des fiertés nationales. C’est vrai qu’on est le pays de la littérature avec de grands noms comme Sony Labou Tansi, le pays de la rumba, mais on aimerait également être le pays de slameurs et slameuses connus à l’international. On travaille petit à petit à faire bouger la ligne.
Selon vous qu’est ce qu’il faut pour promouvoir, faire émerger le slam en Afrique.
Il faut organiser assez d’évènements slam qui regroupent plusieurs artistes slameurs. Il y a déjà beaucoup de festivals slam sur le continent. Maintenant il faut voir comment impliquer les pouvoirs publics, les annonceurs, les marques. Si les marque accompagnent les artistes slameurs et slameuses, cela va leur donner de la visibilité. Je pense que les médias soutiennent déjà assez le mouvement en diffusant les œuvres des artistes slameurs. C’est plutôt les marques qui devraient de plus en plus s’intéresser à cette discipline en les positionnant comme ambassadeurs, égéries, influenceurs.
Dans ce monde actuel dominé par les conflits de tout genre, le dernier en date est la guerre en Ukraine, quel rôle pensez vous que le slam pourrait jouer?
Le slam en tant que discipline doit véhiculer des messages de paix, de solidarité, surtout d’amour parce que le monde va déjà assez mal pour qu’on continue de se faire la guerre. Nous avons le monde en partage. Peu importe notre appartenance linguistique, ethnique, nos obédiences politiques, on a la terre en partage. Ça ne bénéficie à personne de voir ses proches ou ses parents perdre la vie.
Le rôle que le slam peut jouer dans ce genre de turbulences de la conscience car pour moi la guerre c’est une décadence de la conscience humaine. Le slam peut tirer la sornette d’alarme. Le slam peut faire comprendre par des textes, par des déclamations à nos dirigeants que le monde est vaste pour tout le monde. On est pas obligé de s’entretuer pour régner. Solidairement on peut aussi régner. Et comme dans le slam il y a des messages de solidarité, d’où l’importance de mettre le slam au milieu de nos activités.
Quels sont vos perspectives de carrière ?
Je suis en train de travailler sur mon projet d’album. On a fait sortir des singles, un maxi single de 4 titres, là on a fait sortir le single en prélude de la sortie de l’album. Je travaille à terminer l’album et j’espère qu’en 2022 on l’aura. À côté de cela, je travaille aussi sur le projet du festival slam move qui est censé être annuel à Brazzaville et à Pointe-Noire. Ce sont là mes projets. Après l’idéal, c’est d’aller slamer jusqu’aux extrémités de la terre, jusqu’au bout du monde. Rencontrer d’autres cultures qui ne sont pas toujours différentes de la mienne mais avec certaines nuances. Rencontrer des gens, parler avec eux fait que non seulement je m’enrichie humainement mais aussi j’apprends des autres. En dehors du projet de festival et de l’album, mon projet de vie c’est d’aller partout dans le monde pour aller partager mes mots et apprendre aussi des autres. Continuer de vivre la vie de slameuse quoi.
Votre mot de fin
J’invite mes chers amis ivoiriens à aller voir ce qu’on fait sur internet, sur ma chaîne YouTube, mes comptes Facebook, Instagram Maruisca la slameuse pour se faire un avis de ce que je fais. Je souhaite plein de bonnes choses au public ivoirien. N’oubliez pas d’aimer parce que la vie on en a qu’une.
Délorès Pie
Lemediacitoyen.com
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