Promotion du bad-buzz sur la toile ivoirienne, signe de déperdition ? Diagnostic avec un sociologue.

les protagonistes dj congélateur et Manadja confirmé
La polémique Dj congélateur (à gauche) et Manadja Confirmé a longuement entretenu la toile (Ph:DR)

 

    Promotion du bad-buzz en Côte d’Ivoire, une société fortement connectée où chacun veut tirer son profit. Avec ses 12,94 millions d’internautes selon « Digital Discovery », le pays se voit sous l’étau de la course aux clics, aux vues… en un mot, de la course aux audiences individuelles. Conséquences : les valeurs sont invisibilisées.

Décryptage avec Alain Diby Trésor, Docteur en sociologie, Chercheur au LAASSE/ UFHB et Directeur des programmes à l’ONG BLOOM.

    Au premier trimestre 2023, on décompte plus de 50 millions d’abonnés mobiles selon l’Autorité de régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire ARTCI et 12,94 millions d’internautes en janvier 2023 selon les données officielles de la plateforme spécialisée dans le domaine du digital « digital discovery ».  Un dynamisme qui devrait mieux profiter à la société dans ce rendez-vous virtuel du donner et du recevoir. Mais à quoi assistent les observateurs de la vie publique ? Des personnages qui ne promeuvent pas des valeurs à fort impact social sont mis en avant. Et cela avec la complicité de médias classiques. La récente histoire qu’il convient de qualifier de bad-buzz florissant est l’affaire qui a opposé deux artistes jusqu’alors méconnus. L’un a obtenu un voyage en Europe et est même devenu égérie d’un grand groupe de restauration et l’autre a obtenu des avantages similaires. Leur mérite: être antagonistes d’un conflit fortement médiatisé. Plusieurs acteurs, artistes méconnus, médias, entreprises y ont vu un moyen d’en tirer profit, d’avoir de la visibilité. Résultat des courses l’on a assisté à une amplification des actions de ces belligérants durant une longue période. Cependant, l’échos n’est pas le même sur les réseaux sociaux et certains médias lorsqu’il s’agit d’ivoiriens qui se distinguent positivement, qui promeuvent l’excellence. Même si leurs actions sont relayées, elles n’ont pas la même ampleur et passent parfois inaperçues. Pourquoi ce phénomène ? Assistons nous à une décadence des valeurs ?

Le Mediacitoyen.com a donné la parole au docteur Alain Trésor Diby, Sociologue, pour se prononcer sur ce fait de société.

    Dr Alain Trésor Diby pointe du doigt la dépendance à internet dans un premier temps :  » La Côte d’Ivoire a établi sa première connexion à Internet en 1996. Depuis cette date, l’on note une adoption relativement rapide des NTIC notamment d’internet dans les imaginaires sociaux, les rapports sociaux et les pratiques sociales des ivoiriens avec en corrélation des milliers d’emplois dans toutes les sphères de la vie sociale.

    Mais la conséquence immédiate de cette croissance exponentielle des NTIC qu’on rencontre est l’addiction qu’elle peut créer chez certains utilisateurs. Et qu’il s’agisse d’une « dépendance » au sens médical du terme ou non, cela ne change rien au fait qu’elle est devenue aussi un problème sociétal alors qu’initialement les téléphones portables, les réseaux sociaux, les applications et les plateformes avaient pour objectif de nous faciliter la vie, de créer et de maintenir des liens sociaux, d’échanger entre citoyens du monde, de communiquer rapidement et efficacement, en d’autres termes de créer la sociabilité entre acteurs sociaux ». Pour le sociologue, l’enjeu serait de savoir s’adapter à cette évolution tout en gardant l’humanité et l éthique morale.

Dr Diby Alain Trésor Sociologue

    Revenant sur le buzz, Dr Diby fait observer qu’il est un concept polysémique, c’est-à-dire qu’il a une multitude d’acceptions liées à son champ sémantique et à l’extension de son usage.                      « Pour faire simple, nous distinguons trois acceptions majeures. D’abord l’étymologie du mot issu de l’anglais qui évoque le bruit, le bourdonnement et la rumeur. Mais c’est également un mot beaucoup utilisé dans le domaine marketing. En le liant à Internet, il désigne un message sur soi-même, sur quelqu’un ou sur quelque chose en vue d’instaurer une audience qui soit le plus large possible. L’ensemble fonctionne selon le triptyque charge émotionnelle, gestion de l’image de soi et souci des relations sociales »

    Ainsi, le spécialiste décrypte que le Buzz est un produit social mobilisé en vue de capter les ressources sociales que sont les fans, les vues, les followers, les annonceurs, etc. en vue de se positionner comme le plus offrant sur le marché de l’espace numérique qu’est le réseau social.

                      Une quête de prosélytisme

« À ce propos, soulignons que les formes de buzz qu’on a l’habitude de voir sont la diffusion de faits divers sur les réseaux sociaux par exemple, un immeuble qui s’effondre, un accident de la circulation ou encore un cadavre jeté sur la rive, une femme qui est agressée dans la rue ou tout simplement une dispute dans la rue. Lorsque ces faits ont lieu, des personnes brandissent leurs smartphones pour immortaliser ce moment fort émotionnellement, voire dramatique en lieu et place de secourir les personnes en danger. Ces scènes qui étaient censées nous interpeller, nous amener à apporter de l’aide et nous faire prendre conscience des dangers de la vie ont fini par être l’occasion de réaliser un scoop photographique et le partager à son capital social qu’offre les réseaux sociaux avec pour objectif de créer des vues et des commentaires ahurissants » dixit Dr Diby.

Par ailleurs, il fait remarquer que la recherche assoiffée du buzz a fait émerger un nouveau type de buzzers qui, à travers leur publication « virales », sont en quête de prosélytisme sur les réseaux sociaux. « Cette quête effrénée pour la célébrité pousse les annonceurs, les entreprises ou des plateformes en ligne à bénéficier de l’aura de ces derniers et venir se positionner à leur tour en vendant leur produit ».

Et si aujourd’hui encore, les uns se réjouissent de l’allure que prend la vie de star de l’ex manageur de DJ Congélateur, la majorité trouve inconcevable qu’une personne qui s’est fait connaître dans la belligérance et qui n’excelle pas dans son domaine puisse bénéficier des largesses des annonceurs et autres opérateurs économiques ivoiriens, là où les vraies valeurs intellectuelles et artistiques sont négligées voire occultées par ceux même qui devraient en faire la promotion.

                Un problème de valeur sociale et de morale

    Mais , le sociologue pense que  » si l’on analyse la situation plus loin en prenant une distanciation loin des préjugés, il ressort que le cas de ce manageur/artiste ou autre se trouvant dans le même cas, n’est véritablement pas un problème de personne qui se pose mais plutôt un problème de valeur sociale et de morale. »

    Aujourd’hui, le socle ou la boussole de ces nouveaux ivoiriens 2.0 est socialement encré dans cette innovation que sont les réseaux sociaux. Dr Diby estime que c’est cette raison qui fait qu’au moindre effet sensationnel sur les réseaux sociaux, l’on court vers les likes et les commentaires. « D’autres trouvent même opportun de s’appuyer sur le Buzz pour construire sa réputation économique, sociale, politique ou encore artistique. Par voie de conséquence, il est normal de voir graviter autour de ces buzzers en quête de prosélytisme plusieurs acteurs cherchant aussi à faire du profit. A cet effet, d’un point de vue rationnel, l’on préfère plutôt s’orienter vers un produit social moins difficile à vendre que de s’appuyer sur un produit difficilement fongible.  »

    Ainsi pour lui, l’on assiste en Côte d’Ivoire de plus en plus à une décadence voire une inversion des valeurs sociétales auxquelles les pouvoirs publics essaient tant bien que mal de faire face. Cela, en créant des cadres juridiques interdisant la publication de certaines images obscènes ou d’informations mensongères sous peine de condamnation comme le dispose la nouvelle loi sur la cybercriminalité.

    S’il y a une autre chose qu’il faille noter dans cette problématique, selon l’expert, c’est l’avidité et l’oisiveté que l’on retrouve également chez certaines personnes qui trouvent désormais leur bon compte de plus en plus sur les réseaux sociaux et où le buzz devient ainsi un bon moyen pour eux de se faire valoir devant ces 12 millions d’utilisateurs. « Et si ton « balaie » n’a pas trop serré le cou des ivoiriens (rire), tu peux avoir la chance d’être à la une et voyager en Europe. J’emploie cet oxymore pour expliquer qu’au-delà du buzz il y a aussi la quête d’un mieux être aussi qui rentre en ligne de compte ».

    En somme, plusieurs enjeux sociaux sont à noter dans le buzz : la lutte contre la pauvreté, la recherche de prosélytisme. Mais aussi les facteurs sociaux qui en découlent aux dires de Dr Diby sont les suivants : l’addiction aux réseaux sociaux, la décadence de valeurs sociales et morales des ivoiriens, etc.

                Que faire ?

    Selon Dr Diby, ce qu’il reste à faire est de reconstruire le système de valeurs en donnant plus d’importance aux normes sociales qui encadrent les rapports sociaux, les représentations sociales et les pratiques sociales. Mais aussi, il faut continuer de sensibiliser en remodelant l’imaginaire social des internautes sur les biens fondés de l’utilisation de ces outils que sont internet et le réseau social.

     Et pour finir, croit Dr Diby, « il faudrait que les pouvoirs publics s’engagent à accompagner cette jeunesse via cet outil internet ou les réseaux sociaux, à promouvoir nos valeurs intellectuelles également sorties des universités et grandes écoles nationales. Nous avons aussi beaucoup de nos jeunes talents qui innovent sur tik tok, Meta et autres réseaux sociaux, avec des contenus prometteurs, il faut les soutenir. »

Que ce message soit entendu.

Delores Pie

Lemediacitoyen.com 

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