Le malheur des Ivoiriens est que par le silence et le renoncement des meilleurs parmi nous, il revient aux hommes et aux femmes politiques, qui, soit, veulent détruire les sciences sociales (Gnamien Konan), soit, sont les plus grands fossoyeurs de la république, d’écrire une histoire dont tout indique qu’elle est ou qu’elle sera la plus grosse arnaque qui ait jamais existé dans l’Histoire.
Mettons-nous à l’abri du cas le plus « universellement » (re)connu de la Shoah pour apprécier la déclaration à l’emporte-pièce de la Ministre Anne Ouloto dont le malheur hélas est de s’être habituée – avec ses camarades du gouvernement et du régime – à parler seule, c’est-à-dire d’avoir passé ces 8, 9 dernières années à considérer son seul horizon comme les bornes d’un monde pourtant très vaste.
Or, celui qui parle seul et n’autorise pas la contradiction n’est pas préparé à apprécier, dans la douleur pédagogique et cathartique de la dialectique, ses propres limites à la lumière de l’altérité. Celui qui parle seul nourrit voracement ses petites erreurs qui deviendront à coup sûr des fautes immorales impardonnables.
Certes, l’on peut remettre en cause que les événements consécutifs à l’élection présidentielle de 2010 aient donné lieu, en 2011, à un massacre génocidaire dans le grand Ouest de la Côte d’Ivoire; toutefois, pour ce qui est des massacres en tant que tueries de masse, la chose est entendue et documentée ici même comme dans le monde entier, et les rapports pour l’attester foisonnent.
Que la Ministre exprime son point de vue, donc la conséquence intellectuelle issue de sa situation topique (le point de vue est aussi et surtout comme le dit littéralement l’expression l’endroit d’où l’on se tient pour observer), cela n’est pas en cause, mais elle devra alors accepter que son opinion est subjective, parcellaire, doxique même, car n’étant le résultat d’aucun raisonnement rigoureusement scientifique. La preuve, le seul référent de l’exercice oral qui a vu sa réfutation s’exprimer c’est l’égo (《moi, je serais morte…》); et cela vaut pour faire loi?
Que l’on ne s’y méprenne, je n’incrimine pas le RHDP pour épargner du tort de la propagande ceux qui ont la compassion amputée et sélective, c’est la prétention des politiciens ivoiriens qui doit nous inquiéter au plus haut point. De quels crimes sont-ils coupables, à quelques exceptions…? Eh bien du péché qui consiste à infantiliser le reste de la société en instillant le mensonge que sa seule réalisation possible est dans l’Etat, donc dans l’action politique, là où toutes ses prérogatives (celles de l’individu) doivent mourir parce que, de toute façon, l’Etat c’est chacun de nous. Le politicien devient tout : à la fois l’homme d’action et l’objecteur de conscience. C’est de la folie furieuse que de laisser prospérer un tel système de pensée.
Revenons-en donc à la Shoah pour tenter (tenter seulement car le lieu ne se prête pas à autre chose) de régler ce problème épistémique. Que le génocide Juif soit acté par le monde entier qui a commencé à condamner, dès 1946, c’est-à-dire après le procès de Nuremberg, la réfutation de l’holocauste, cela n’est pas l’affaire des politiciens juifs (l’État d’Israël n’existait pas encore, la conscience juive si).
Non, ce combat qui n’était pas celui de la propagande et de l’émotion mais bien de la science, a été gagné par plusieurs générations d’historiens et d’intellectuels qui veillent aujourd’hui encore que la mémoire ne soit pas profanée ni détruite. Que ce soit en France avec la condamnation de grands intellectuels controversés comme Robert Faurisson ou en Grande-Bretagne avec le quasi bannissement de John C. Irving, c’est la rigueur de la science qui a poussé à fixer dans la loi que les publications et propos des négationnistes (qui ne manquaient pourtant pas d’arguments) ne soient pas considérés comme de simples opinions mais comme des crimes au regard de la vérité historique.
Ces acquis rarement contestés aujourd’hui, sont le fruit d’une belle histoire de l’Histoire, ils sont le fait d’un travail laissé à la société à travers ses meilleurs penseurs, ceux-là même qui ont poussé à la création, en 1953, de l’Autorité Officielle du souvenir de la Shoah, institution née de la lutte convergente d’organisations spontanées comme le Comité central juif d’histoire en Pologne et le Comité d’histoire des Juifs de la zone d’occupation américaine. On le voit donc, le malheur des Ivoiriens est que par le silence et le renoncement des meilleurs parmi nous, il revient aux hommes et aux femmes politiques, qui, soit, veulent détruire les sciences sociales (Gnamien Konan), soit, sont les plus grands fossoyeurs de la république, d’écrire une histoire dont tout indique qu’elle est ou qu’elle sera la plus grosse arnaque qui ait jamais existé dans l’Histoire.
Dr Paul Agoubli, enseignant
Lemediacitoyen.com
Soyez le premier à commenter