Dr Arsène NENE Bi est Enseignant-Chercheur en Droit public. Il est Juriste- spécialiste des droits humains. Et également Président de l’Ong Actions pour la Protection des droits de l’Homme (APDH). Dans cette contribution, il analyse la décision ivoirienne relative à la déclaration de compétence de la CADHP. Et interroge sur l’avenir de l’institution sur le continent.
Contribution : Remarques cursives relatives au retrait par la Côte d’Ivoire (et le Bénin), de leurs déclarations relevant de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (Le Protocole)
Le Conseil des ministres du mercredi 29/04/2020 marquera durablement les Ivoiriens. En effet, le Gouvernement a décidé de retirer sa déclaration permettant aux ONG et aux individus de saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, suite à la récente décision de la Cour Africaine portant mesures provisoires dans le cadre de l’affaire SORO Guillaume et autres/Etat de Côte d’Ivoire.
L’annonce de cette grave décision inattendue pour certains, et non surprenante pour d’autres, suscite naturellement un débat, notamment sur les réseaux sociaux et au sein de la presse. Chacun y allant de ses arguments tantôt juridiques, tantôt politiques, voire politiciens. Le débat tourne essentiellement autour de la signification et de la portée de cette décision.
Face à cette situation, nous ne saurons afficher une mutité au nom de notre engagement aux côtés des Droits de l’Homme. Notre intervention, en ce sens, se fera à l’aune de ces deux considérations, exception faite de l’examen des raisons avancées pour la justification de ce retrait. Une autre analyse ultérieure portera sur les motifs tenant au retrait des différents pays.
Le débat étant ouvert, il m’apparaît nécessaire d’y apporter ma modeste contribution. Prenant acte de la décision du Gouvernement ivoirien, j’essaierai, en ma double qualité de Juriste et Défenseur des droits humains, de faire une analyse dépassionnée de la signification et des effets de cette décision, en étant pénétré de la finitude autant que du caractère limité de mes propos.
Pour y arriver, j’essaierai de démontrer d’abord, que quoique constituant un recul pour la protection des droits humains, cette décision n’est pas un acte inédit dans le cadre du droit africain de protection des droits humains, car, elle s’inscrit dans le cadre du tango ou de la valse de retrait initié par le Rwanda en 2016.
Ensuite, je démontrerai que cette décision n’est ni illégale ni illicite au niveau du droit international, mais apparaît inopportune. Après quoi, seront examinées successivement les questions relatives à la période de la prise d’effet de cette décision et au sort des affaires pendantes devant la Cour. Enfin, la question d’éventuelles sanctions relatives à cette décision refermera notre analyse.
Une décision constitutive d’un recul dans la protection des droits humains
De façon simple, un recul se définit comme un mouvement ou un pas en arrière. Au regard de cette définition, la question est donc de savoir si le retrait de la Côte d’Ivoire constitue un recul. La réponse commande qu’on présente au préalable la situation antérieure avant la date de ce retrait.
Avant 2013, aucune personne privée, à savoir un individu ou une organisation non gouvernementale (ong) dotée du statut d’observateur auprès de la Commission africaine, ne pouvait saisir la Cour africaine car les Gouvernants précédents avaient refusé d’ouvrir la voie de la saisine directe de cette Cour aux personnes privées.
Mais en 2013, sous l’autorité de l’actuel Président Alassane OUATTARA, la Côte d’Ivoire a fait sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour au titre de l’article 34 paragraphe 6 du protocole de Ouagadougou instituant la Cour africaine. En le faisant, l’Etat de Côte d’Ivoire faisait ainsi un pas avant, en favorisant l’accès direct des individus et des Ongs au prétoire du juge africain.
Malheureusement, aujourd’hui, avec ce retrait annoncé depuis quelques jours, on fait un bond en arrière en revenant à la situation antérieure à 2013. A partir de là, ce retrait de la Côte d’Ivoire apparait manifestement comme un recul en matière de protection des droits humains car désormais ce recours direct qui était ouvert se referme. Cela dit, du point de vue des droits de l’homme, la décision prise par les Gouvernements Béninois et Ivoirien apparaît, à tout le moins, regrettable.
Le retrait de leur déclaration permettant aux ONG et aux individus de saisir directement la Cour est vécu comme un choc pour les défenseurs des droits humains ; car elle prive leurs citoyens respectifs d’un recours régional contre d’éventuelles actes arbitraires et les empêcheront de solliciter la protection directe du juge continental.
Ce retrait est manifestement un net recul par rapport au pas en avant qu’avait fait la Côte d’Ivoire en faisant sa déclaration ouvrant directement le prétoire du juge africain aux individus et aux Ongs.
Le retrait par un pays africain, de sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour au titre de l’article 34 paragraphe 6, n’est pas en soi un fait nouveau. Déjà en 2016, le Rwanda avait eu la même réaction après le prononcé d’une décision de la Cour africaine qu’elle n’avait pas appréciée. Plus récemment, ce fut le tour de la Tanzanie qui abrite le siège de la Cour Africaine. La notification de son avis de retrait de la déclaration relevant de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Cour africaine a été faite le 14 novembre 2019 et envoyée à l’Union africaine le 21 novembre de la même année.
Quelques jours avant la Côte d’Ivoire, il y a eu le retrait du Bénin. En un mot, ce n’est donc pas la première fois, car avant la Côte d’Ivoire, trois Etats africains et non des moindres avaient déjà retiré leur déclaration facultative d’acceptation de la juridiction de la Cour au titre de l’article 34 paragraphe 6. Cette décision de la Côte d’Ivoire s’inscrit donc dans la droite ligne du tango de retrait inauguré par le Rwanda et constitue un recul dans la protection des droits humains.
Ce retrait ne signifie pas non plus que, le Rwanda, la Tanzanie, le Bénin et la Côte d’Ivoire ne reconnaissent plus la Cour Africaine, loin s’en faut.
Il a seulement pour effet de dénier aux individus et aux Ongs, toute possibilité de saisir directement la Cour Africaine. Au surplus, ces personnes privées peuvent toujours saisir indirectement la Cour Africaine par le truchement de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des peuples qui devra au préalable filtrer les saisines.
En fait, désormais, en cas de violations des droits humains, les individus et les ONG dotées d’un statut d’observateur à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples peuvent porter plainte devant la cour de manière indirecte, y compris si l’Etat concerné n’a pas effectué de déclaration en vertu de l’article 34.6 du protocole.
Ils peuvent, en fait, présenter des communications devant la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il n’existe aucune possibilité, pour l’Etat concerné, d’empêcher de telles communications. La commission peut décider de porter la question devant la cour. Les conditions pour de telles communications seraient les mêmes que celles présentées pour les saisines directes.
De la légalité de la décision de retrait de la Déclaration faite au titre de l’article 34 paragraphe 6 du protocole de Ouagadougou.
Sur la question de savoir si le retrait de la Côte d’Ivoire est légal, il est bon de se référer à une décision antérieurement rendue par la Cour Africaine à l’occasion du retrait du Rwanda. La réponse fournie par la Cour en date du 03 Juin 2016 dans l’affaire INGABIRE Victoire Umuhoza contre le Rwanda est assez claire sur la question. Répondant à cette question, la Cour en soutien à sa décision, affirma que :
« …En tant qu’acte unilatéral, la déclaration peut être séparée du protocole et peut de ce fait, être retirée, indépendamment du Protocole. La Cour estime en outre que la nature facultative de la déclaration et son caractère unilatéral découlent du principe de droit international de la souveraineté des Etats. En ce qui concerne les actes unilatéraux, la souveraineté des Etats prescrit que les Etats sont libres de s’engager et qu’ils conservent le pouvoir discrétionnaire de retirer leurs engagements.
En conséquence, la Cour conclut que le défendeur (Rwanda) était en droit de retirer la déclaration qu’il avait faite en vertu de l’article 34 (6) et que ce retrait est valable au regard du protocole… »
Ces précisions faites, la Cour en arrive à la décision suivante :
« ….Par ce motif, la cour à l’unanimité :
Dit qu’elle a compétence pour statuer sur la question du retrait de la déclaration ;
Dit que le retrait par le défendeur de sa déclaration faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole est valable …»
Si l’on applique ce précédent jurisprudentiel au cas du Bénin et de la Côte d’Ivoire, on est fondé à affirmer que le retrait du Bénin ou de la Côte d’Ivoire n’est ni illégal ni illicite puisque la Cour africaine avait elle-même déjà reconnu valable, le retrait du Rwanda en 2016.
Cependant, le Gouvernement a affirmé que les agissements de la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portent atteinte à l’autorité et au fonctionnement de la justice, à la souveraineté de l’Etat et sont de nature à entraîner une grave perturbation de l’ordre juridique interne des Etats.
A tout prendre, ce justificatif apparait comme une réaction du berger à la bergère. L’action des hommes politiques obéissant à un ensemble de considérations qui échappent à ceux qui ne sont pas dans le cercle, je me réserve donc le droit de ne point commenter les motivations du retrait figurant dans le communiqué du dernier conseil des ministres.
Par contre, en tant que défenseur des droits humains, je pense qu’aussi légale ou licite qu’elle soit, cette décision, sur son opportunité, reste indéniablement discutable du point de vue des droits de l’homme.
Il faut voir que pour avoir mal vécu la décision de la Cour Africaine qu’il a considérée comme une défiance à la souveraineté de la Côte d’Ivoire, le Gouvernement ivoirien a surréagi en sacrifiant le droit des individus et des Ongs de saisir directement la Cour Africaine. Et c’est ce qui rend ce retrait, non pas illégal (puisque conforme aux normes du droit international issues de la jurisprudence, et déduites du dispositif établi par la Convention de Vienne sur le droit des traités), mais inopportun, voire, illégitime.
De la prise d’effet de cette décision de retrait
A quel moment cette décision de retrait prendra-t-elle effet ? Quel est donc le délai à partir duquel la décision de retrait d’un Etat prend-elle effet ? L’Etat a-t-il le droit de dénoncer ? Le retrait du Bénin et de la Côte d’Ivoire de la juridiction de la Cour aurait-il un effet immédiat ?
En effet, le protocole ne prévoit aucune disposition quant à la dénonciation de la déclaration unilatérale ouvrant le droit de saisine de la Cour Africaine aux individus et aux Ongs. Un Etat, après avoir fait cette déclaration, est-il en droit de la dénoncer à tout moment ? Il est également possible de se demander si le retrait est immédiat et concerne les affaires en cours, ou si un délai raisonnable doit être laissé au requérant pour déposer d’éventuelles requêtes devant la Cour.
Autant de questions auxquelles ni la Charte africaine ni le protocole relatif à la Cour africaine n’offrent de réponse.
En l’absence de ce que les juristes appellent, la lex specialis, c’est vers la lex generalis qu’il faut se tourner pour tenter de trouver des réponses aux questions soulevées par le problème du retrait d’un Etat.
Or, les réponses du droit international laissent aussi planer une incertitude quant à la date de la prise d’effet du retrait d’un acte unilatéral (comme c’est actuellement le cas de la décision de retrait du Bénin et de la Côte d’Ivoire) … la question qui se pose aux juristes et à la Cour africaine suite au retrait du Bénin et de la Côte d’Ivoire soulève des incertitudes juridiques relatives à l’interprétation des actes unilatéraux comme la déclaration unilatérale faite par les Etats conformément à l’article 34 du protocole de Ouagadougou relatif à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
En la matière, les textes africains sont très silencieux. Aucun d’eux n’apporte une réponse précise à cette question car aucun de ces textes ne prévoit de dispositions claires en matière de délai de prise d’effet du retrait des déclarations faites par les Etats au titre de l’article 34(6) du Protocole de Ouagadougou.
Face à ce silence des textes africains, c’est la Cour elle-même qui a dû par une alchimie juridique trancher cette question de délai de prise d’effet de la décision de retrait d’un Etat, à l’occasion du retrait du Rwanda en 2016.
Considérant l’absence de dispositions claires applicables au cas d’espèce et parce que des affaires étaient pendantes, la Cour s’est alors prononcé sur le retrait du Rwanda et les conséquences à en tirer. Dans son arrêt rendu le 3 Juin 2016, la Cour africaine des droits de l’homme a entériné le retrait rwandais en notifiant que celui-ci sera effectif un (1) an après sa notification soit le 01er Mars 2017. Cela transparait dans le dispositif dudit arrêt en ces termes :
« …A la majorité de 9 voix pour et deux voix contre, les juges Augustino S.L RAMADHANI et Gérard NIYUNGEKO ayant émis une opinion dissidente.
Décide que le retrait par le défendeur de sa déclaration faite en vertu de l’article 34 (6) prend effet 12 mois après le décret du préavis, c’est-à-dire le 1er mars 2017… »
Dans sa décision, la Cour a rejeté l’argument du Rwanda d’une prise en compte immédiate du retrait rwandais.
Ce faisant, la décision de la Cour avait fait une application par analogie de l’article 56 de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose que :
« « 1. Un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et ne prévoit pas qu’on puisse le dénoncer ou s’en retirer ne peut faire l’objet d’une dénonciation ou d’un retrait, à moins :
a) Qu’il ne soit établi qu’il entrait dans l’intention des parties d’admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un retrait; ou
b) Que le droit de dénonciation ou de retrait ne puisse être déduit de la nature du traité.
2. Une partie doit notifier au moins douze mois à l’avance son intention de dénoncer un traité ou de s’en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1. »
En substance, la Cour développa un raisonnement par analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités pour appliquer un an pour que les justiciables aient le temps de formuler leur recours et écarta toute possibilité de suspendre les affaires pendantes qui impliquaient le Rwanda.
Au regard de ce qui précède, ce retrait du Bénin et de la Côte d’Ivoire pourrait également, mutatis mutandis, prendre effet dans un délai de un (1) an à compter de la date de notification à la Cour, de leur décision relative au retrait de leur déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole permettant aux Ongs et aux individus de saisir directement la Cour africaine.
Si on admet que pour la Côte d’Ivoire, ce retrait a été notifié à la Cour en date du 29/04/2020, on en déduit que suivant la jurisprudence de la Cour, ce retrait prendra effet le 29/04/2021.
Or, cette analogie a été débattue au sein de la Cour et le Rwanda a refusé de se présenter devant la Cour, semblant ainsi ne pas accepter la décision rendue par la Cour.
Malheureusement, là encore, le Rwanda n’avait point considéré ce délai d’un an décidé par la Cour Africaine, et ce pays n’a subi aucune sanction concrète jusqu’à ce jour….
C’est également une des tares du système africain de protection des droits humains à laquelle chacun est appelé à réfléchir pour offrir des pistes de solution.
Quel serait alors le sort des affaires pendantes devant la Cour Africaine dans lesquelles la Côte d’Ivoire et le Bénin sont les défendeurs ?
Du sort des affaires pendantes devant la Cour Africaine post retrait de la déclaration faite par les États.
Il s’agit ici de s’interroger sur le sort des affaires pendantes devant la Cour après le retrait de la déclaration faite par les Etats ivoiriens et béninois au titre de l’article 34 du protocole de Ouagadougou relatif à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
Certaines affaires impliquant le Bénin et la Côte d’Ivoire étaient et sont encore pendantes devant la Cour à la date du retrait de ces deux pays. On peut donc légitimement s’interroger sur le sort de ces affaires. Une réaction de la Cour est donc attendue. Sans préjuger du contenu de cette réaction, on peut subodorer que la Cour adoptera la même réaction qu’elle a eue lors du retrait du Rwanda en 2016.
Se prononçant sur le retrait du Rwanda, la Cour avait, de notre point de vue, soupeser les arguments de manière à ne pas rendre une décision trop attentatoire à la souveraineté de l’Etat, mais aussi ne restreignant pas l’accès à son prétoire tant pour les litiges pendants que futurs. Cette tension transparait clairement dans la décision rendue par la Cour dans cette affaire INGABIRE VICTOIRE UMUHOZA contre le Rwanda. Dans son arrêt rendu le 3 Juin 2016, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, a entériné le retrait rwandais en notifiant que celui-ci sera effectif un (1) an après sa notification, soit le 01er Mars 2017.
Mais, comme déjà indiqué, les juges avaient également pris le soin de préciser que les procédures engagées avant cette date poursuivront leur cours durant cette période. Tel est ce qui ressort de l’un des paragraphes de son dispositif en ces termes :
« …A l’unanimité,
Dit que le retrait par le défendeur de sa déclaration n’a aucun effet sur la requête en l’espèce et la cour est compétente pour continuer son examen … »
Par la suite, la Cour a continué à communiquer avec le Rwanda en raison du dépôt de nouvelles plaintes contre lui. Ainsi, elle a informé le Rwanda des dossiers nouveaux en fixant des délais de réponses au Rwanda.
Malheureusement, pour les droits fondamentaux des requérants, le Rwanda s’est entêté à refuser de se présenter devant la Cour, et ce, dans des termes particulièrement durs. Le Rwanda dans un courrier adressé à la Cour, avait remis en cause l’indépendance et l’impartialité de la Cour. La même lettre précisait que le Rwanda ne souhaitait pas se présenter devant la Cour. Plus encore, la lettre demanda à la Cour de cesser de notifier tout acte de procédure dans lequel le Rwanda serait impliqué, et ce jusqu’à ce que la position du gouvernement change ; cette attitude a rompu ainsi les canaux de communication entre le Rwanda et la Cour africaine. Il est fort probable que l’attitude du Rwanda puisse inspirer fortement la Côte d’Ivoire et le Bénin.
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, en s’abandonnant aux propos tenus par Mme la Secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme ce jeudi 30 Avril 2020 sur le Plateau du Journal télévisé de 20h, l’on est porté à croire que la Côte d’Ivoire continuera à coopérer avec la Cour jusqu’à la fin du prononcé des décisions des affaires ivoiro-ivoiriennes encore pendantes devant la Cour. Il s’agit ici principalement des affaires SORO Guillaume et autres contre Etat de Côte d’Ivoire, et l’affaire l’affaire Suy Bi Goré Emile et 8 autres Contre l’Etat de Côte d’Ivoire.
Partant, en bonne logique juridique, et en application de ce précédent jurisprudentiel, les procédures déjà en cours et impliquant la Côte d’Ivoire ou le Bénin, devraient être poursuivies et conclues, avec la même obligation d’exécuter.
Cependant, il est fort probable que l’attitude du Rwanda après le prononcé de la décision puisse inspirer fortement la Côte d’Ivoire et le Bénin. L’absence de sanctions concrètes contre le Rwanda relativement au mépris affiché pour cette décision présage une telle éventualité.
De l’éventualité des sanctions contre la Côte d’Ivoire en cas d’inexécution d’un arrêt ou des mesures provisoires décidées par la Cour africaine.
L’exécution des arrêts de la Cour dépend de la bonne volonté des Etats. L’engagement d’exécuter les arrêts de la Cour est pris sur une base volontaire (art.30 du Protocole). Aucune mesure de contrainte réelle n’est prévue pour le moment dans le Protocole pour assurer leur exécution. Néanmoins, le fait pour la Cour de rendre publique sa décision et de l’envoyer aux Etats membres de l’Union africaine et au Conseil des ministres constitue un moyen de pression important difficilement négligeable par les Etats condamnés.
De la même manière, en faisant circuler et connaître les décisions de la Cour, la Cour et les ONG peuvent agir sur la réputation et l’image internationale de l’Etat ne respectant pas la décision de la Cour. Le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour est confié au Conseil des ministres de l’Union africaine.
L’article 29.2 du Protocole confie le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour au Conseil des ministres de l’UA. Celui-ci peut adopter des directives ou règlements qui ont force obligatoire afin de faire pression sur les Etats récalcitrants. Mais le suivi de l’exécution des arrêts sort donc de la sphère judiciaire pour entrer dans le domaine politique. Le Conseil des ministres est composé de l’ensemble des ministres de l’Union africaine.
Paradoxalement, cela permet aux ministres des Etats non parties au Protocole d’avoir la responsabilité du suivi des exécutions des arrêts de la Cour. Cela me semble être un défi qui justifiera pendant longtemps l’inexécution et l’absence de sanctions éventuelles contre un Etat partie, à moins que soit initiée, une véritable réforme globale du système africain de protection des droits humains.
D’ailleurs, en cas de sanctions, il faudrait également faire en sorte que ces éventuelles sanctions ne portent pas encore atteinte aux droits fondamentaux des individus. C’est dire toute la difficulté à dresser une typologie des sanctions à l’encontre des Etats récalcitrants à l’exécution des décisions de la Cour. Laquelle Cour doit adresser à la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement un rapport annuel qui doit spécifier les cas d’inexécution de ses décisions.
On ignore si cette exigence visée par l’article 31 du Protocole peut amener la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement, l’organe suprême de l’Union africaine, à exiger des Etats, l’exécution des arrêts de la Cour ou s’il s’agit toujours de faire pression sur la réputation d’un Etat.
Quittons la théorie juridique pour en arriver à la réalité politique pour constater l’inefficacité et l’improbabilité des éventuelles sanctions à l’encontre d’un pays.
Rappelons-le : le Rwanda n’a point respecté le délai d’un an décidé par la Cour africaine et aucune sanction ne lui fut infligée par les organes compétents de l’Union Africaine. Pouvait-il en être autrement dans un système où la majorité des membres de la Conférence des Présidents de l’Union africaine qui doit décider des sanctions, est elle-même absente de la liste des Etats ayant fait la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour ouvrant le droit de saisine aux individus et aux Ongs ?
Voilà qu’il s’agit d’ une autre tare congénitale du système africain de protection des droits humains qui donne non seulement un rôle hautement important à un organe éminemment politique ou siègent les dirigeants dont les Etats n’ont pas ratifié le Protocole instituant la Cour ni fait la déclaration de reconnaissance ouvrant le droit de saisine aux individus et aux Ongs.
Une question de bon sens : Un Etat qui lui-même refuse d’être attrait devant la Cour Africaine soit directement ou indirectement, qui se retrouve par la volonté des rédacteurs des textes de l’Union Africaine , à devoir décider des sanctions éventuelles à l’encontre d’ un autre Etat partie au protocole instituant la Cour africaine et/ou ayant fait sa déclaration ouvrant le droit de saisine de la Cour aux individus et aux Ongs, aurait-il moralement, le courage de le faire, alors qu’il a lui-même refusé que soit déféré une seule affaire l’impliquant devant la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples ?
Cette question comme bien d’autres, appelle à une réflexion profonde sur les défis du système africain de protection des droits humains, dans la mesure où la problématique des droits humains devient effectivement une question centrale dans le cadre du régionalisme africain ?
Pour en revenir au Rwanda, qu’il me soit permis de revenir sur un fait certes anodin, mais qui m’a personnellement amené à douter d’un début d’effectivité éventuelle d’une sanction à l’encontre d’un Etat non respectueux des décisions de la Cour : Comme indiqué plus haut, le retrait du Rwanda est advenu en 2016 ; s’en est suivi la condamnation du Rwanda ainsi que la réaction qu’a eue le Rwanda suite à cette condamnation. Aux lieu et place de sanctions (inexistantes) éventuelles devant être décidées par la Conférence des chefs d’Etat de l’Union Africaine contre le Rwanda, cette conférence maintiendra le Président Paul KAGAME en qualité de Vice-Président de l’Union Africaine, avant de l’élire en qualité de Président de l’Union Africaine pour une année ferme en 2018.
Partant de ces réalités inhérentes au fonctionnement du système africain, il parait difficile de croire, mutatis mutandis, en l’effectivité d’une éventuelle sanction contre la Côte d’Ivoire, au cas où, elle décidait de ne point exécuter une décision future de la Cour africaine.
5- L’effet du retrait de la déclaration sur les dernières opportunités de recours offerts aux individus devant les juridictions régionales africaines
C’est le lieu de rappeler et d’informer les Ivoiriens que ce retrait ne ferme pas définitivement leur accès à la Cour pour revendiquer le respect de leurs droits garantis par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
En effet, conformément à l’article 119.4 du Règlement Intérieur de la Cour africaine, les personnes privées pourront désormais indirectement porter des affaires devant ladite Cour, en passant par le filtrage des requêtes opérées par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sans qu’un Etat partie puisse s’y opposer.
En effet, en cas de violations des droits humains, les individus et les ONG dotés d’un statut d’observateur à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples peuvent porter plainte devant la cour de manière indirecte, y compris si l’Etat concerné n’a pas effectué de déclaration en vertu de l’article 34.6 du protocole.
Ils peuvent, en fait, présenter des communications devant la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il n’existe aucune possibilité, pour l’Etat concerné, d’empêcher de telles communications. La commission peut décider de porter la question devant la cour. Les conditions de recevabilité pour de telles communications seraient les mêmes que celles présentées dans le cadre d’un recours direct.
De même, l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas fermé tous les recours directs ouverts aux individus au niveau international. C’est ce qui laisse penser qu’il est probable que notre pays revienne un jour sur sa décision, le pays ayant encore laissé ouvert d’autres recours directs à ses citoyens. Au niveau régional, la faculté de saisir directement la Cour de justice de la CEDEAO reste encore un recours régional complémentaire à la disposition des individus. Idem pour les nombreux recours directs ouverts aux individus au niveau universel, notamment dans le cadre onusien…
CONCLUSION :
En un mot, pour être une pilule amère pour les défenseurs des droits humains et un net recul pour la protection des droits fondamentaux des individus, cette décision, bien que légale et licite reste pour le moins inopportune. Toutefois, sur le fondement d’une jurisprudence de la Cour et d’une application par analogie de la Convention de Vienne sur le droit des traités, elle devrait prendre effet dans un délai de 1 an à compter de sa notification aux organes compétents de l’Union africaine. Reste à savoir si la Côte d’Ivoire (et le Bénin) continueront à coopérer avec la Cour Africaine durant cet éventuel délai d’un (1) an ou adopteront-ils l’attitude du Rwanda, dans un système qui n’a jamais pu prendre une seule sanction véritable, après le refus par un Etat d’exécuter une décision rendue par la Cour africaine …
Au-delà de l’émotion engendrée par le retrait de la Côte d’Ivoire et des trois (3) autres pays africains l’ayant précédé, n’est-il pas temps de mener un débat dépassionné sur le système africain de protection des droits humains pour en faire le procès et proposer des nouvelles bases pour une effectivité améliorée de la protection des droits humains sur le continent?
Fait à Bouaké, le 03/05/2020
Dr Arsène NENE BI
Enseignant-Chercheur en Droit public
Juriste- spécialiste des droits humains
Président de l’Ong Actions pour la Protection des droits de l’Homme (APDH)
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