Fonds de solidarité Covid-19 : Parcours du combattant pour une information (Enquête) 

fonds de solidarité Covid-19

     Fonds de solidarité Covid-19Dès l’apparition du premier cas de Covid-19 le 11 mars 2020 en Côte d’Ivoire, le gouvernement a annoncé une batterie de mesures dont la mise en place d’un Fonds de Solidarité et de Soutien d’Urgence humanitaire de 170 milliards de FCFA. Au nombre des bénéficiaires figurent les familles indigentes et les ménages vivant sous le seuil de pauvreté. Mais alors qu’elles pensaient être éligibles au regard des critères, beaucoup de personnes affirment n’avoir pas reçu le moindre kopeck. Comment donc l’argent destiné aux plus vulnérables a-t-il été utilisé ? Lemediacitoyen.com a enquêté.

     Bintou K. 28 ans, commerçante, est mère de deux enfants. Elle vit au PK18, un quartier d’Abobo, commune populaire au nord d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Ce 11 février 2021, elle se souvient encore de sa déception lorsqu’elle s’est rendue compte que son nom ne figurait pas sur la liste des bénéficiaires du Fonds de Solidarité et de Soutien d’Urgence humanitaire. Le constat de Bintou est amer, d’autant plus que les mesures contre la Covid-19 affectent sa petite famille. Son conjoint, lui, est au chômage. Et son petit commerce a été fermé.

Disparité des montants

           « J’étais un peu déçue de n’avoir pas reçu d’aide parce qu’à cette époque, nous étions dans une situation précaire. Mon mari avait perdu son travail et moi mon commerce était au ralenti. Néanmoins, je me suis dit que les personnes âgées étaient celles qu’il fallait privilégier car dans ma zone j’ai constaté que ce sont elles qui avaient bénéficié de la manne gouvernementale », relativise toutefois la bonne dame, digne malgré son amertume. Comme elle, des voisins dans une situation qu’elle juge précaire, n’ont pu, eux aussi, profiter des fonds annoncés.

      Sur le site internet du ministère de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire, le rapport du mois de mars 2021 de la gestion du Fonds spécial de solidarité et de soutien d’urgence humanitaire Covid-19, dressé chaque mois depuis mai 2020 est publié. Il y est mentionné notamment qu’après une phase transitoire dans laquelle 17 milliards ont été affectés, le budget initial pour l’année 2020 qui était de 80 milliards de FCFA a finalement été ramené à 50 milliards de FCFA en octobre 2020. Puis le budget pour l’année 2021 est fixé à 40 milliards de FCFA. 

     Dans le même rapport, on  apprend aussi que le Fonds a pris en charge les centres d’accueil des enfants et les pouponnières. Il en est de même pour les travailleurs mis en chômage technique et les ménages vulnérables sur l’ensemble du territoire. De même, d’autres cas sociaux sont pris en charge. Il s’agit, selon le rapport, des ménages abonnés au tarif social électricité ainsi qu’au tarif social d’approvisionnement en eau. Ont aussi été pris en charge, à en croire les informations publiées, les travaux d’alimentation électrique des sites Covid-19 et les travaux de réparation et d’entretien des pompes à motricité humaine (PMH).

             Si Bintou et les siens n’ont pas eu la « baraka », ce n’est pas le cas pour Naminata Diomandé, 35 ans, toujours au PK18. Contrairement à Bintou K., elle fait partie des heureux élus.

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Naminata Diomandé , bénéficiaire du fonds covid-19 à Abobo PK 18

    « J’ai reçu la somme de 50.000 FCFA en mai 2020. Je pense avoir eu beaucoup de chance car nous étions plusieurs personnes en difficulté à souscrire dans le quartier. Cette somme m’a été d’une grande utilité. En effet, à l’époque, je venais de perdre mon mari. Du coup, cette aide m’a été d’un grand soutien parce qu’elle a coïncidé avec le mois de ramadan », témoigne Dame Diomandé. Son statut de veuve a-t-il plaidé en sa faveur ? Sinon, quels critères faut-il remplir pour espérer figurer sur la fameuse liste ? 

   Lemediacitoyen.com a posé la question à Maniga Dramane, chef central de la communauté Dan de Bafing à Abobo. Il est également le président de l’Union des chefs de la communauté CEDEAO de la commune d’Abobo PK18. Il fait partie des leaders communautaires ayant contribué à l’élaboration des listes des bénéficiaires dans la commune d’Abobo. 

    « Il fallait figurer au nombre des personnes faisant les petits métiers, il fallait également être une personne âgée (au moins 60 ans – NDLR) malade (pas forcément de la Covid-19). Les transporteurs étaient également éligibles, compte tenu du fait que leur activité avait été frappée de plein fouet par les mesures de restrictions imposées dans leur secteur d’activité », explique le notable.

      En effet, il convient de rappeler qu’au titre des mesures prises par le gouvernement, les transporteurs étaient tenus de prendre un minimum de passagers, afin de respecter la distanciation sociale. Ce qui, bien évidemment, jouait contre leurs recettes journalières.

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Chef Maniga Dramane, leader communautaire ayant contribué à l’élaboration des listes de bénéficiaires à Abobo

    En ce qui concerne le montant qui avait été annoncé, l’État avait promis d’octroyer 25 000 FCFA par mois et par famille vulnérable. Selon chef Maniga Dramane, les personnes ayant reçu les fonds, à sa connaissance, ont reçu la somme de 50 000 FCFA en 2 mensualités. D’autres ont par contre perçu 25 000 FCFA uniquement, affirme celui qui a contribué à l’élaboration des listes dans la commune d’Abobo. 

     Il ressort de ses dires que les listes établies ont été contrôlées par les mairies. De fait, pour aider à recenser les familles bénéficiaires, il était prévu de faire appel aux collectivités décentralisées, aux structures sectorielles, aux comités de quartiers et autres. 

       Selon chef Maniga, « la majorité des personnes qui se sont inscrites sur les listes n’ont pas reçu les fonds ». « Sur environ 3 300 dans notre zone (la commune d’Abobo), celles qui sont passées à la caisse n’atteignent pas 100. En tant que leader communautaire, nous avons été un peu mal à l’aise face à ceux qui ont été écartés. C’est comme si nous avions opéré un choix en privilégiant certains au détriment d’autres. Le discours que nous avons tenu aux candidats malheureux, si on peut dire, est qu’ils n’ont pas eu de chance », se remémore-t-il.

       Du côté des Organisations Non Gouvernementales (ONG) de lutte contre la pauvreté, on grince également des dents. N’drin Ange Lefon, président de l’ONG Recherche d’Opportunités et d’Action de Développement (ROAD) ne cache pas son mécontentement. « Moi-même je suis indigné au plus profond de mon être. En tant qu’organisation de lutte contre la faim, nous n’avons pas été associés à cette initiative. Nous n’avons pas été approchés par les autorités, nous n’avons dressé aucune liste. Je pense personnellement que dans cette affaire, c’est plus des individus qui ont été ciblés que des groupes », martèle-t-il, contenant à peine sa colère. 

     Même son de cloche chez l’Union des Femmes Actives pour le Développement (UFAD), une organisation non gouvernementale de lutte contre la pauvreté également.

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Soro Mahoua, présidente de l’UFAD

La présidente Soro Mahoua affirme que les membres de son organisation, des personnes vivant dans la précarité, qui ont souscrit au Fonds de solidarité, n’ont pu avoir gain de cause. « On est en droit de se demander pourquoi un fonds est destiné à des personnes en situation de vulnérabilité et que celles-ci ne puissent pas en bénéficier », s’interroge-t-elle. 

Manœuvres dilatoires

     Y avait-il donc un seuil de bénéficiaires à ne pas franchir pour tenir dans la limite de l’enveloppe ? Lemediacitoyen.com a contacté le ministère de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de la Lutte contre la pauvreté par courrier numéro 349 en date du 12 février 2021 pour mieux appréhender la situation.

    Par appel reçu le 16 février 2021, le service courrier dudit ministère nous oriente vers le site internet du département de l’Économie et des Finances où un bilan de la gestion du Fonds Covid-19 est dressé chaque fin de mois.  N’obtenant pas de réponses assez pertinentes aux questions soulevées, nous recontactons notre interlocuteur le 08 mars 2021.

        Cette fois encore, il nous redirige vers le ministère de l’Économie et des Finances auprès duquel une présidente du comité de gestion du Fonds est nommée. C’est à elle qu’il faut s’adresser pour toute question relative à ce sujet. Nous transmettons, à nouveau, un courrier de demande d’information le 11 mars 2021 au service des courriers du ministère de l’Économie et des Finances. C’est le courrier numéro 01561 (A-2021-1800) resté sans suite après plusieurs relances. Nous saisissons par la suite la Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics (CAIDP) en y déposant une ampliation du courrier transmis auprès du ministère de l’Économie et des Finances le 02 Avril 2021, dans l’espoir que notre droit d’accès à l’information soit rétabli. 

    Puis le 07 avril 2021, nous transmettons par mail un courrier de saisine de la CAIDP avec copie au directeur des Affaires juridiques et du contentieux de l’institution.

    Le 09 Avril 2021, par suite de l’implication de la CAIDP, nous recevons enfin un appel de Dadié Sylvie, présidente du comité de gestion, nous informant qu’elle nous recevrait bientôt. Accusant, par la même occasion, réception effective de notre courrier. Ainsi le mardi 13 avril 2021, Lemediacitoyen.com reçoit un message de la secrétaire de la présidente du comité de gestion du Fonds de solidarité confirmant un rendez-vous pour le lendemain à ses bureaux. 

       Le 14 avril 2021 à 15h, nous sommes reçue par Dadié Sylvie en présence d’un de ses collaborateurs, en l’occurrence, Monsieur Songo. Mais c’est pour nous entendre dire que selon la procédure, elle ne devrait pas répondre à nos questions séance tenante. Elle demande d’adresser de nouveau une correspondance avec en pièce jointe le questionnaire de l’interview, le temps pour le comité de gestion de se réunir, d’examiner ledit questionnaire, et de choisir les questions auxquelles il voudrait bien répondre. « L’administration veut-elle nous user et éprouver notre patience pour nous obliger à abandonner ?», nous demandons-nous in petto. Qu’à cela ne tienne, le 19 avril 2021, le service courrier du ministère de l’Économie et des Finances reçoit à nouveau la requête du média. 

    Rappelons-le, la première demande d’information dans les services de la gestionnaire du Fonds date de début mars 2021. Le 12 février déjà, le ministère de la Solidarité avait été saisi. 

     Un constat s’impose par contre. Pour les ménages vulnérables, les montants reçus diffèrent. Tandis que certains ménages ont reçu la somme de 75 000 FCFA, d’autres ont perçu 50 .000 FCFA ou encore 25 000 FCFA. Pourquoi cette disparité ? Sur quelle périodicité devrait se répartir l’aide à chaque ménage ? Un mois ? Deux mois ? Trois mois ? Comment est-on donc passé d’une dotation de 170 milliards à l’annonce du gouvernement à 50 milliards au final dans l’exécution ? 

        Le processus de sélection

    Face à l’omerta dans ce qui semble jusque-là être le temple de l’opacité, et en attendant que les officiels daignent nous recevoir, Lemédiacitoyen a pu rencontrer Kpan Georges.  Il est adjoint au maire d’Abobo. Il est aussi membre du comité de sélection des bénéficiaires du Fonds de solidarité Covid-19 au niveau du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Il est formel quant au montant alloué et à la périodicité sur laquelle il devrait se répartir. « Le montant alloué est de 25 000 FCFA par mois pendant 3 mois. On peut recevoir 50 000 puis recevoir 25 000 le mois suivant, et inversement ; de même on peut percevoir 25 000 sur 3 mensualités ou même recevoir 75 000 d’un coup. Toujours est-il que le montant alloué est de 75 000 sur maximum trois mensualités », assure-t-il. Alors question ! 

    Pourquoi des familles ont-elles reçu moins de 75 000 FCFA depuis août 2020 à ce jour ? Georges Kpan en est convaincu, ces familles recevront à coup sûr le reste du montant car, dit-il, le processus est toujours en cours. Cependant, il tient à préciser que le comité de sélection et de validation auquel il appartient n’intervient pas au niveau financier : « Nous intervenons uniquement dans le recensement. Après les recensements, place à la validation au niveau du ministère de l’Intérieur et on transmet les dossiers validés au ministère de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de la lutte contre la pauvreté. Ensuite à leur niveau, ils confirment et transmettent les dossiers au niveau du ministère de l’Économie et des Finances qui donne l’autorisation à l’opérateur de mobile money d’effectuer les paiements »

    Concernant le processus de sélection, il nous explique qu’au niveau de la commune d’Abobo, il s’est fait avec le concours des chefs de village et de communauté, des leaders d’opinion et de la société civile. Il affirme, la main sur le cœur, qu’un contrôle minutieux a été effectué pour voir le degré de vulnérabilité des potentiels bénéficiaires. À cet effet, les équipes de la mairie d’Abobo se déplaçaient au niveau des familles pour cette vérification. « Au niveau du comité, lorsque nous nous réunissons, nous validons les dossiers au cas par cas. Nous avons par exemple constaté parmi les souscripteurs, des personnes qui disaient habiter une commune mais qui, au final, après vérification n’y étaient pas ; et elles ont été retirées des listes », raconte-t-il.

    Faisant le point des opérations au niveau d’Abobo, Il ressort qu’à la date du 26 avril 2021, la liste transmise est de 86 090 souscripteurs. Celle validée en compte 61 800. Il reste à vérifier une liste de 24 890 souscripteurs. Aussi le dressage des listes continue-t-il et au niveau d’Abobo, il y a une liste de 35 000 ménages qui attend d’être soumise à la vérification et à la validation car l’opération continue.

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   Finalement le 05 mai 2021, Lemédiacitoyen reçoit enfin les réponses de la présidente du Comité de gestion du Fonds spécial de solidarité et de soutien d’urgence humanitaire Covid-19 par courrier physique. Dadié Sylvie affirme qu’au mois de mai 2020, les premières listes des bénéficiaires qui concernaient les mois d’avril et de mai ont été payées à hauteur de 50 000 FCFA. Aussi argue-t-elle qu’au mois de juin 2020 les bénéficiaires ont reçu leur 3e et dernière tranche de 25 000. Toutes choses qui tranchent avec ce que disent les bénéficiaires que Lemédiacitoyen a rencontrés. Certains disent avoir reçu uniquement la somme de 50 000 FCFA, tandis que d’autres évoquent uniquement la somme de 25 000 FCFA. 

  Madame Dadié nous informe également que l’exercice 2020 s’est achevé avec un budget de 60 milliards de FCFA au 31 décembre 2020. Concernant la périodicité sur laquelle devrait se répartir les fonds, il s’agit d’octroyer 25 000 CFA par mois pendant trois mois à chaque famille. À l’en croire, les familles concernées sont celles qui se retrouvent avec un revenu inférieur à 60 000 FCFA du fait de la Covid-19. « Les objectifs fixés en 2020 n’ayant pas été atteints, les opérations se poursuivent en 2021 », soutient-elle. 

    En effet, le ministère en charge de la Solidarité avait fixé comme objectif 177 198 ménages vulnérables dans le grand Abidjan et 208 989 à l’intérieur du pays soit un total de 386 187 sur l’ensemble du territoire national. Au bilan 2020, 194 245 ménages ont été pris en charge par le fonds pour un objectif de 14 477 025 000 FCFA, selon Dadié Sylvie, la gestionnaire.

Délorès Pie 

Lemediacitoyen.com

*Cette enquête a été produite avec l’appui de la CENOZO dans le cadre du projet «Covid-19 Response in Africa: Together for Reliable Information» financé par la Commission Européenne*

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