Le travail domestique des aide-ménagères, un abus patriarcal… Carelle Laetitia Goli, juriste et activiste, féministe, invite à protéger le travail domestique des aide-ménagères. Elle suggère la ratification de la Convention 189 de l’Organisation Internationale du Travail par l’Etat ivoirien. Lire l’intégralité de son argumentaire.
Communément appelées, bonnes, servantes ou filles de maisons, les aide-ménagères jouent un rôle essentiel dans la gestion des ménages en allégeant la charge de travail liée aux tâches quotidiennes. En Côte d’Ivoire, la longue tradition des aides de maison remonte à l’époque coloniale.
En effet, dès les années 1920, des petites et jeunes filles migrantes, « jeunes parentes » des femmes commerçantes, artisanes, restauratrices au cœur de l’économie d’Abidjan étaient déjà là pour les assister dans leurs activités domestiques et économiques. Progressivement et avec la professionnalisation des femmes ivoiriennes dans les années post indépendance, les aides de maison se sont retrouvées comme faisant partie intégrante des foyers abidjanais et ivoiriens et soutiennent indiciblement ceux-ci.
Pourtant, le travail domestique reste encore marginalisé et les femmes de ce secteur demeurent exploitées par les effets d’un système patriarcal encore dominant.
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Les travailleuses domestiques, une force de travail invisibilisée
C’est une lapalissade d’affirmer que les rôles de genre, par la division sexuelle du travail, ont attribué aux femmes le rôle du travail domestique dans la sphère du ménage. La principale conséquence a été celle d’invisibiliser tout ce travail en le considérant comme partie intégrante du sexe féminin. Du fait de cette assignation prioritaire aux tâches domestiques non rémunérées, les aide-ménagères sont les petites mains d’un ordre préétabli. La conception patriarcale a une incidence particulière sur la valorisation et l’évaluation du travail que produisent les femmes travailleuses domestiques. De ce fait, il est informel la plupart du temps, ou très peu rémunéré.
Pendant longtemps, les femmes ont été aidées par d’autres femmes parentes, des nièces, des sœurs, des filles etc., qui exerçaient les tâches domestiques en contrepartie de ce qu’elles recevaient gites et couverts dans les familles. C’est d’ailleurs encore l’argument qui est brandi pour décourager les efforts pour l’octroi du salaire minimum aux aides des ménages.
Dans une telle perspective, la notion de travail devient quasi inexistante même lorsque la relation dépasse le cadre de la parenté pour devenir contractuelle. Sont aussi éliminés tous les droits sociaux rattachés au travail domestique.
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Les travailleuses domestiques, entre vulnérabilité abus et exploitations
Les femmes restent principalement les premières employeuses des aides, en dépit du fait que le travail domestique profite à toute la maisonnée. L’on comprend aisément que beaucoup de femmes ‘‘paient ’’ le prix de n’avoir plus le temps de jouer ‘‘leurs rôles’’ de femmes. Elles sont responsables de celles qui les substituent. Il est clairement difficile de rémunérer à juste titre le travail des aides quand on est soi-même dans un système d’inégalité et de précarité face à l’emploi.
Dans un système de domination et d’exploitation créé par le patriarcat à l’égard des femmes, les aide-ménagères se retrouvent au bas de l’échelle. Elles sont exploitées par des employeuses qui ont en face d’elles plus vulnérables. En effet, les groupes sociaux les plus oppressés sont plus enclins à assujettir plus faibles quand ils en ont l’occasion.
Afin d’effectuer un travail qui est la plupart du temps épuisant et chronophage, les femmes travailleuses domestiques sont prisées quand elles sont plus jeunes, déscolarisées ou analphabètes. Les droits les plus élémentaires en tant que travailleuses sont souvent passés sous silence, le droit au repos par exemple, ou même le respect des horaires de travail. Et c’est ce qui rend justement le travail domestique particulier : la sphère dans laquelle il se déroule.
En Côte d’Ivoire, l’exode rural continu et la migration sous-régionale ont fait proliférer une main d’œuvre bon marché de filles venues des villages et localités rurales, mais également de pays voisins. En l’absence de toute protection sociale et juridique de ces jeunes travailleuses, les contrats – verbaux – demeurent très fragiles, et les abus subsistent de toutes parts. Elles sont sujettes à des abus qui débutent très souvent par des traites et des extorsions dans les placements- pour celles qui passent par le système- pour s’étendre jusque sur les lieux de l’emploi. Il n’est pas rare que les travailleuses fassent l’objet de violences physiques, verbales et même sexuelles dans les familles au sein desquelles elles sont employées. Malheureusement, elles ne sont pas protégées expressément et les violences passées sous silence. Nous prendrons comme exemple la pratique du chat noir, une forme de viol qui prospère sur les aide-ménagères et qui a longtemps été normalisée et tue dans les familles. Dans bien des cas surviennent même des grossesses -non désirées- auxquelles doivent faire face ces femmes. D’ailleurs, elles sont très souvent candidates à la migration clandestine grâce à des réseaux dirigés par ces agences de placement.
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La nécessaire protection du travail domestique
Au regard du sombre tableau que l’on a pu dresser, il est urgent d’accélérer la protection juridique et sociale des femmes travailleuses domestiques. Néanmoins, toutes les initiatives débutées en ce sens, semblent buter sur un contexte social défavorable.
D’emblée, le manque de volonté politique de se pencher sur les cas des femmes du secteur, une absence de volonté qui est aussi partagée par la population. Le fait est que, presque chaque ménage, nanti ou non profite du travail des aides. Ainsi donc, ce qui aurait dû être, une prérogative rattachée à une classe sociale qui serait à même de s’offrir les services d’une aide, reste le rebus d’une organisation sociale qui a toujours vu des femmes faire un travail gratuit. En outre, le refus de la proposition de la ‘‘loi Adjaratou’’(du nom de la députée qui l’a présentée) sur le travail domestique, il y a quelques années témoigne de ce que la protection des femmes n’est pas une priorité de nos élus.
Nous l’avons évoqué, ce sont les femmes qui sont les premières concernées et allégées par le système des travailleuses domestiques. L’absence de crèches publiques accessibles, a rendu presqu’obligatoire l’option de l’aide ‘‘nounou’’ pour les femmes professionnelles. Les femmes dans leur grande majorité peinent à se libérer et à libérer d’autres femmes.
La vulnérabilité des aide-ménagères les prive de l’accès à l’information et à la formation et aussi à la syndicalisation.
Il serait certes aisé de faire une analyse plus exhaustive de la situation des aide-ménagères, mais nous pensons qu’il faut penser à des recommandations à l’endroit des parties qui peuvent faire avancer leurs situations. Ainsi, nous adresserons nos recommandations aux militantes féministes, les décideurs politiques et les partenaires techniques et financiers.
- Les recommandations
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Aux Militantes féministes
En tant que fer de lance de la lutte pour l’accès à plus de droits des femmes, vous êtes les premières concernées par la protection des femmes travailleuses domestiques. Il faut créer plus d’espaces d’échanges de connexion, de formation et d’information avec les syndicats afin de travailler sur la thématique. En plus, le plaidoyer devra aussi prendre en compte les violences faites aux femmes travailleuses domestiques. Le monde féministe devra accroitre la recherche, sur toutes les discriminations spécifiques et avoir plus de données probantes sur le phénomène. Il faut aussi sensibiliser les employeuses sur la nécessité de protéger les aides, ainsi que valoriser leur apport en tant que force de travail.
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Aux décideurs politiques :
Il faut une vraie volonté politique, nous avons besoin d’une loi spécifique au travail domestique en Côte d’Ivoire, ainsi qu’un régime de protection.
Il faut accroitre la sanction à l’égard des violences faites aux femmes travailleuses domestiques.
Il est impératif de ratifier la Convention (n° 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques de 2011 de l’OIT, c’est de loin la première volonté expresse de protéger les femmes dans ce secteur d’activité.
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Aux partenaires techniques et financiers :
Il faut accompagner les efforts des mouvements féministes en accélérant le plaidoyer.
Il faut également renforcer de toutes les manières idoines les syndicats des travailleuses domestiques. Les partenaires techniques et financiers qui œuvrent dans les droits humains doivent faire de cette thématique une priorité dans leurs plans d’actions et leurs objectifs.
La notion du travail des femmes, quand elle est dans la sphère domestique est encore invisibilisée et les aide-ménagères ne font pas exception. Mais, aussi vidé de substance et de protection qu’il puisse être, le travail domestique est le socle sur lequel repose la liberté professionnelle et sociale d’autres femmes. Il aussi doit pouvoir se libérer aussi de la pression du patriarcat. C’est la responsabilité première monde féministe, puis des femmes, et enfin de société ivoirienne en général.
Carelle Laetitia Goli, juriste spécialiste de la protection contre les abus et exploitations ; Activiste, féministe, présidente de l’Organisation pour la Réflexion et l’Action Féministe.
Article réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit Campagne #médiatisonslesvoixfeministes initiée par l’Ong Opinion Éclairée avec l’appuide la Foundation for a Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.
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