Violences sexistes et sexuelles, un tabou brisé par les féministes ivoiriennes/Désirée DENEO, doctorante en Philosophie en innovation sociale

violences sexistes et sexuelles
Désirée DENEO, doctorante en Philosophie en Innovation Sociale, activiste féministe

Violences sexistes et sexuelles, un tabou brisé par les féministes ivoiriennes.

       La quatrième vague du féminisme qui a émergé au niveau mondial avec internet dans le courant des années 2000-2010 n’a pas laissé la Côte d’Ivoire en marge. Avec internet et les réseaux sociaux, des jeunes femmes ivoiriennes se revendiquant totalement féministes feront entendre leurs voix. Actives au sein de la société civile ivoirienne, celles-ci s’affirment de manière décomplexée. A partir des réseaux sociaux, elles poseront le fondement d’une nouvelle lutte féministe à la suite de précurseures telles que Constance Yaï, Georgette Zamblé et Norbette Zézé. Cette lutte est orientée contre les violences sexuelles et sexistes.

Sans fioritures, elles mettront sur la table des sujets tabous qui étaient érigés en normes dans une société patriarcale. Ainsi, la soumission, le viol conjugal, le consentement et le plaisir sexuel féminin seront abordés par les féministes ivoiriennes sur les réseaux sociaux. En 2020, #Vraie_Femme_Africaine lancé par Traoré Bintou Mariam deviendra viral.  De nombreuses femmes, féministes ou pas se sentiront concernées par cet hashtag qui mettait en lumière des stéréotypes concernant leur condition. Il s’agissait à travers des publications sur les réseaux sociaux de tourner en dérision des idées reçues au sujet de la femme.

           Si les réseaux sociaux ont permis de réunir les féministes ivoiriennes force est de constater que celles-ci sont présentes sur le terrain contrairement aux arguments que l’on peut lire sur la toile de la part des anti féministes et de personnes se revendiquant masculinistes.  C’est le cas de la Ligue Ivoirienne des droits des femmes, première association ivoirienne à se revendiquer et à être déclarée féministe au niveau administratif. La Ligue est engagée dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Elle agit également en milieu rural contre les violences économiques faites aux femmes à travers la création et l’accompagnement de coopératives agricoles féminines. Cela a d’ailleurs valu à sa Responsable du département des interventions sociales Okri Marie Paule, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté de l’année 2024.

             En dehors de la ligue, l’on a vu émergé, « Les Minous les libres », initiative d’Emilie Tapé, sexo activiste féministe qui aborde de manière pédagogique les tabous liés à la sexualité féminine.

                Les féministes ivoiriennes sont engagées contre le sexisme. En 2021, lorsqu’ une scène de viol fut mimée au cours de l’émission « la télé d’ici » diffusée sur la chaîne de télé NCI, elles se sont insurgées et ont mené des actions en synergie afin d’obtenir une sanction envers la chaîne de télé et le présentateur de l’émission.

              L’on peut en outre citer l’Association Stop au Chat Noir, dont l’appellation met en lumière une forme de viol qui est banalisée dans la société ivoirienne. En effet, le « chat noir » désigne tout acte sexuel commis sur une personne pendant qu’elle est endormie. L’Association Stop au Chat Noir, agit également en milieu universitaire.

              En plus de l’accompagnement et de la prise en charge de survivantes de violences, des associations féministes ivoiriennes se sont spécialisées dans la recherche et la production de données statistiques. Depuis plusieurs années l’Association Citoyennes pour la Promotion et Défense des Droits des Enfants,  Femmes et Minorités (CPDEFM) mène des enquêtes sur les violences faites aux femmes. En 2020, une enquête réalisée par cette association recensait 416 cas de féminicides. En 2023, les résultats de l’enquête sur les violences sexuelles en milieu universitaire ont suscité un intérêt de l’opinion publique. Les membres du CPDEFM et leur présidente ont été prises pour cible. Sylvia Apata, présidente de l’organisation a dû bénéficier de la protection internationale en raison des menaces persistantes sur sa vie.

         Malgré toutes ces actions contre les violences faites aux femmes, les féministes font l’objet d’attaques sur les réseaux sociaux et au sein de la société civile.

Le patriarcat étant omniprésent dans la société ivoirienne, les féministes gênent par leur prise de parole et leur position qui ne s’inscrivent pas dans ce qui serait le conventionnel : vouer un culte à certaines personnalités, dire des choses pour caresser dans le sens du poil et enguirlander la situation des femmes. Le féminisme étant perçu comme un courant importé pour bousculer les privilèges masculins dérange. Il est ainsi fréquent de voir des intellectuels y compris ceux de gauche critiquer avec véhémence les féministes en les taxant de mettre en danger les valeurs dites africaines.

       L’accès aux financements est un obstacle majeur auquel se heurtent les féministes qui travaillent sur la question des violences sexuelles et sexistes. En Côte d’Ivoire, les associations ne sont pas financées par les pouvoirs publics. La complexité des procédures de financement des bailleurs internationaux exclue très souvent les associations et mouvements féministes.

         A cet effet, il est nécessaire de renforcer les capacités de ces associations féministes, de mettre à leur disposition des financements avec des critères souples afin de leur permettre de mener des actions pérennes contre les violences sexuelles et sexistes.

           Il serait également intéressant que les partenaires techniques financiers notamment les pays se revendiquant féministes évitent de s’associer aux artistes et personnalités dont les actions et les œuvres sont sexistes. L’Ambassade de France en Côte d’Ivoire bien que revendiquant une diplomatie féministe associe son image à l’artiste Suspect 95 dont les chansons sont sexistes et chosifient la femme.

          Les associations féministes étant sur le terrain et assurant la prise en charge des survivantes de violences ne devraient pas être vues comme des adversaires par le Ministère de la Femme mais plutôt comme des partenaires proches des survivantes. A ce titre, le Ministère de la Femme dans l’élaboration des statistiques nationales sur les violences basées sur le genre doit prendre en compte les cas recensés et pris en charge par ces associations.

          Plusieurs associations féministes sont engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elles agissent au quotidien dans la prise en charge psychosociale et juridique des victimes de violence. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire l’on ne saurait parler de violences faites aux femmes sans mentionner les féministes. Il est important que leurs actions soient reconnues par les pouvoirs publics.

           Au-delà de l’engagement dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les féministes ivoiriennes sont présentes dans plusieurs domaines où elles se font entendre en bousculant les pratiques patriarcales et machistes. L’on les retrouve dans le monde de l’art, l’agriculture, la recherche scientifique et l’entrepreunariat.  Il faudra compter avec cette génération de féministes ivoiriennes pour faire avancer la lutte pour l’effectivité de l’égalité entre les hommes et les femmes, principal objectif du féminisme.

  

 

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Auteur:  Désirée Gnonsian DENEO  est doctorante en Philosophie en Innovation Sociale, activiste féministe, elle Secrétaire Générale de La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes.

 

« Article réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit Campagne #médiatisonslesvoixfeministes » initiée par l’Ong Opinion Éclairée avec l’appui de la Foundation for a Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.

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