Enquête/  Travail indécent,  le calvaire des  aide-ménagères  à Abidjan, de  sérieux cas devant les tribunaux

  Enquête/  Travail indécent,  le calvaire des  aide-ménagères  à Abidjan, de  sérieux cas devant les tribunaux
Les filles de ménage ne bénéficient quasiment pas de congés maladie, ou de congés annuels (LMC)

    Le travail indécent des aides ménagères perdure et fait de plus en plus de drame.   Sous payées et sous traitées, les filles de ménage vivent un esclavagisme qui ne dit pas son nom. Parfois interdites de manger et surexploitées, elles ne savent plus à quel saint se vouer. Des organisations tentent de les secourir avec les moyens de bord.  Cette question mérite plus d’attention de la part des décideurs.  

    Difficile pour dame Z. A.  de se déplacer sans peine. Elle   fait  tout de même l’effort de se rendre à la petite salle d’audience du tribunal de première instance d’Abidjan Plateau, ce 26 février 2019. La raison de sa présence : l’opposition de son ex patronne M.L.H, au jugement de défaut rendu par la sixième Chambre sociale dudit tribunal en juillet dernier. 

    « J’ai travaillé pendant 16 années chez madame. J’étais rémunérée à 150 000 FCFA. Je faisais tout à la fois, le gardiennage, la cuisine… En 2016, j’ai piqué une crise d’AVC sur mon lieu de travail. Le médecin m’a dit que c’était dû au stress et à la fatigue, car je me reposais peu. Je pouvais travailler de 6 heures à 1 heure », explique dame Z.A, qui traine des séquelles visibles. Suite au malaise, elle n’a  pas pu travailler deux mois durant. Quand elle commence à se sentir mieux,  elle part s’entretenir avec son employeur pour lui expliquer qu’elle n’est plus apte à continuer.

     Elle souhaite que sa patronne  lui vienne en aide pour l’ouverture d’un magasin  afin de subvenir à ses besoins. Cette dernière lui dit  de se référer désormais à son fils venu de la France. Une recommandation qu’elle met en œuvre  sans succès.  Z.A. entreprend alors des démarches au tribunal avec l’appui de l’Ong Association caritative Chrétienne d’Afrique (ASCAF). Le tribunal décide  que l’employeur  lui verse la somme de 8 millions en guise de dédommagement. Celle-ci  n’accepte pas et fait appel. Le juge a donc récupéré les pièces de l’employeur par l’entremise de son avocat et a repoussé ledit dossier pour  un mois.

     La difficile cohabitation entre employeurs et aide-ménagères n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, ces litiges sont de plus en plus portés devant les tribunaux. En général, les  employées  dans les ménages  viennent  des zones rurales et des pays voisins. Elles sont communément appelées « bonnes » ou « servantes ». Les activités  baignent dans l’informel. Ce qui pose la question du travail décent dans le secteur. 

     Comme  le témoigne Z. A,  les travailleuses domestiques ne bénéficient quasiment pas de congés maladie, ou de congés annuels.  A la moindre absence, même justifiée, elles sont parfois remplacées illico. Bien des fois, elles travaillent dans des conditions précaires, avec une rémunération misérable qui atteint difficilement la moitié du Salaire Minimum Garanti (SMIG). Ces aides ménagères et domestiques n’ont pas de tâches clairement définies par leurs employeurs. Elles n’ont pas de temps de travail fixe. Elles n’ont pas de jour de repos.

Plusieurs plaintes signalées

    « Nous ne sommes pas bien rémunérées. Je ne perçois que 30000 FCFA le mois. Cette somme ne peut pas subvenir au besoin d’une famille. Quand la fin du mois arrive ce n’est pas évident qu’on soit payé dans le temps. Pourtant nous accomplissons plusieurs tâches à la fois. On nous donne plus de travail que ce qui était prévu et souvent on nous accuse de vol, ou de chercher le mari de la patronne. C’est difficile», raconte la jeune Ouédraogo, une aide-ménagère. Elle espérait faire fortune en quittant son pays d’Afrique de l’Ouest pour la Côte d’Ivoire.  Elle aussi défend son cas auprès des associations.

     Pour mieux comprendre le calvaire des employées de maison, lemediacitoyen.com contacte Yetingnan Awa Coulibaly. Elle  dirige l’Association de Défense des Droits des Aides ménagères et Domestiques (ADDAD-CI). Son témoignage est sans appel :

« l’Addad enregistre à ce jour une vingtaine de plainte. Nous gérons les cas que nous rencontrons par le dialogue. La plus part de nos filles sont illettrées. Elles ont peur de dire ce qui leur est arrivé, parfois les informations proviennent d’autres aides ménagères. Nous travaillons aussi avec un psychologue qui nous aide pour leur prise en charge morale et au plan juridique. Cette année nous prévoyons les conduire  auprès des femmes juristes qui sont spécialistes en la matière »  prévoit-elle.

    Yetingnan Awa Coulibaly se souvient  néanmoins du cas le plus difficile qu’elle a rencontré « Le cas difficile que j’ai eu à gérer fut le cas d’une de mes filles qui parce que ayant  des problèmes de surdité fut violée. Lorsque l’affaire fut présentée à la police le violeur a nié fermement. Il m’a été difficile de démontrer les preuves parce que j’avais été informée longtemps après et ce fut pour moi une grande douleur ».

    Des cas difficiles, qui laissent perplexe et montre la vulnérabilité dans laquelle se développe le travail domestique. L’Association caritative chrétienne d’Afrique (ASCAF) dirigée par M.  Gnepoh Roger Courtois reçoit en moyenne trois plaintes de travailleurs domestiques et une plainte d’employeurs par semaine.

     ORE Prudence Gisèle épse Kelly, formatrice et chargée du programme de formation  des assistantes maternelles  (filles de ménages et nounous) à l’ASCAF abonde dans le même sens que Mme Coulibaly. A l’en croire, les problèmes récurrents des aides ménagères sont notamment « le salaire insuffisant et souvent en retard.  Certaines filles de ménage bien que dormant au domicile des employeurs et faisant la cuisine n’ont pas droit à la nourriture, celles qui dorment sur le lieu de travail qui sont souvent mal logées, certains employeurs se permettent d’insulter ou d’humilier les filles de ménage en présence des enfants d’où ceux-ci n’ont aucun respect pour celle-ci ». 

     Elle note aussi «  l’absence de temps de repos au cours de la journée,  la majorité des filles de ménage qui dorment sur les lieux de travail et se réveillent très tôt le matin pour se coucher très tard dans la nuit, plusieurs filles de ménage sont harcelées  sexuellement par leurs employeurs, certaines filles de ménage sont victimes de violence physique, ou d’accusations fantaisistes avant d’être licenciées etc. ». 

 

Les employeurs aussi

     Cette réalité est palpable. Cependant, il ne faut pas non plus occulter les critiques formulées par des employeurs.  Parmi les plaintes à l’encontre de ces travailleuses, on note la non maitrise des tâches ménagères qui revient souvent. La maltraitance des enfants en garde est également évoquée. Et sur internet, des vidéos de cas de maltraitance d’enfants par des « nounous » sont souvent visionnées. Même si pour l’heure les cas évoqués ne concernent pas Abidjan, les patronnes avec qui lemediacitoyen a échangé se veulent prudentes.

    Mariam Kouamé, aide-ménagère  reconnait que  ce n’est pas une bonne pratique.  « Certaines femmes n’arrivent pas à se maitriser et se vengent sur les enfants. Quand une situation n’arrange pas il est mieux de démissionner.  Il faut que nos structures donnent plus de conseils dans ce sens ».

    Devant ce cas de travail indécent, que faire ? Nous avons posé la question  à ORE Prudence Gisèle épse Kelly,  formatrice et chargée du programme de formation  des assistantes maternelles   à l’Association caritative chrétienne d’Afrique (ASCAF). Elle soutient qu’il faut  ‘’prendre des mesures pouvant garantir la protection des employés de maison, formaliser le métier de travailleur domestique en côte d’ivoire, promouvoir la formation des travailleurs domestiques, sensibiliser la population sur les droits et devoirs des employeurs et des employés de maison’’

     Les organisations tentent bien que mal une médiation avant d’atterrir au tribunal. Souvent, les cas à traiter dépassent l’entendement. « Dès que nous sommes saisis d’un différend entre employeur et employée, nous prenons contact avec les deux  parties pour écoute et règlement amiable du différend qui les oppose. En cas d’échec, si nous estimons que, l’employée est victime d’abus de la part de son employeur, nous portons le litige devant l’inspection de travail  pour une seconde tentative de conciliation des  deux  parties. Pour cela, une première convocation de l’inspection de nous est remise pour l’employeur, celle-ci peut lui être remise soit par l’employée, soit par le service de l’association commis à la tâche. …  

 

Marina  Kouakou

Lemediacitoyen.com

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