Analyse/Le Contrat d’objectifs et de performance (Cop) accélère la privatisation de l’école publique/ prof Alger Jean-Francis EKOUNGOUN

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Prof. Alger Jean-Francis EKOUNGOUN,Maître de conférences, Président du CNSER (DR)

Chaque lundi, lemediacitoyen.com  publie les réflexions du  professeur Alger Jean-Francis EkOUNGOUN, président du  Comité National pour la Sauvegarde de l’Ecole de la République (CNSER) à travers la rubrique le Dossier : « Les grands Débats du CNSER ».

       La privatisation du secteur éducation formation cuit à feu doux. La ministre Kandia Camara passe désormais pour le fin cordon bleu de cette cuisine dont les épices néo-libérales s’élèvent dans un ciel qui fourbit le silence et la soumission des parents d’élèves.

         Surprise ou douche froide ? Tout compte fait, les enseignants présents à la dernière rencontre de rentrée de la tutelle ont regagné leurs domiciles, plus rassasiés que jamais de la formule magique : « Enseignants compétents et performants, engagés pour une école de qualité ». Le Sésame, ouvre-toi en version kaki et robe dallée. Rassurons-nous : la priorité de la tutelle n’est pas de casser la tirelire publique par le déploiement d’une batterie d’actions révolutionnaires axées sur la compétence et la performance des enseignants. Loin de là. Lire le réclame de l’année scolaire au premier degré, c’est courir le risque de prendre les vessies pour des lanternes.

        Le slogan, « Enseignants compétents et performants, engagés pour une école de qualité », invite à considérer plutôt les ressorts ultralibéralistes tendus par ce qu’il est convenu désormais d’appeler le Contrat d’objectifs et de performance (Cop). « Le Contrat d’objectifs et de performance est un mode de gouvernance fondé sur la contractualisation. Il privilégie l’approche participative et met en exergue le leadership de chefs de structures qui s’engagent, en accord avec toute la communauté, par contrat pour impliquer tous les maillons de la chaîne du système à la gestion hiérarchie, en vue d’assurer la réussite scolaire à tous », a expliqué l’Igen-coordo, Ibrahima Kourouma, le 24 juillet 2019, lors de la journée d’échanges et d’informations organisé par son ministère avec les partenaires sociaux et l’Unicef.

        Koné Raoul, le directeur de cabinet adjoint de Kandia assure :  »L’amélioration de la performance de notre système scolaire, telle que déclinée dans le Plan de développement du secteur Education-Formation (Pse) 2016-2025, tant en termes d’efficience que d’équité, nécessite un renforcement de la responsabilisation des acteurs chargés d’en gérer les structures. Cette logique de responsabilisation implique une aptitude à l’autonomie de gestion de la part des acteurs, aussi bien, au niveau régional que local. » En Côte d’Ivoire, le processus d’implémentation du Cop va s’étendre sur trois 3 années. De 2019-2020, première étape de démarrage de la phase pilote dans 14 directions régionales, 10 Cafop, 81 établissements secondaires, 41 Iep, 2010 écoles primaires et 3 lycées techniques. La phase pilote va se poursuivre en 2020-2021 pour s’achever en 2021- 2022.

     La démarche Cop ou approche de contractualisation aurait, pour effet, d’améliorer la performance scolaire, de renforcer qualitativement l’offre de formation et d’accroître la population effectivement scolarisée et son niveau de formation. Elle viserait aussi à réduire, entre autres, les difficultés scolaires observées dès l’école primaire, à améliorer la performance du collège en veillant à assurer une meilleure fluidité des parcours, à adapter l’offre de formation de façon à réduire les sorties sans qualification et offrir aux jeunes et à leurs familles les conditions d’une ambition de formation plus élevée.

   En réalité, le Cop est un pur produit de l’hyperlibéralisme débridé du Gouvernement ivoirien aidé, en cela, par l’assistance technique et financière du Contrat de désendettement et de développement (C2D) piloté par le Service technique à la coopération de l’ambassadeur de France (pour le supérieur), l’Unicef et d’autres bailleurs de fonds (pour l’Education nationale).

     Des études disponibles sur la performance démontrent qu’elle est une notion contingente et extrêmement  paradoxale. La performance renvoie à un idéal d’organisation sociétale. Les politiques éducatives de notre pays sont-elles convaincues que le Cop correspond à un socle commun éducatif ? Le Cop défend-il la philosophie et les valeurs propres à l’Ecole ivoirienne ? Selon le sociologue Alain Ehrenberg, la performance est devenue « une véritable idéologie au sein de la société française moderne, idéologie largement issue du monde de l’entreprise » (in Le culte de la Performance, Paris, Hachette, 1991). Ce culte pousse les individus et les organisations à la compétition, à la concurrence, à la prise de risque et au résultat. Le caractère égalitaire de la culture moderne se traduit par le fait, qu’idéalement, « tous peuvent, a priori, entrer en compétition avec tous » Or, « nous savons que tout le monde n’est pas égal devant l’égalité », conclut le sociologue français.

       L’émergence du concept de performance rentre dans le cadre de la nouvelle gestion publique. Cette vision a connu son tournant dans les années 1960 (l’administration doit être tenue comme les entreprises privées et doit rechercher une productivité accrue et rationaliser ses méthodes de travail). Le rapport Noura (1967) met l’accent sur les impératifs de rentabilité et de compétitivité qui pèsent sur les entreprises publiques. Puis vient, en 1980, le livre fondateur d’Alain Burlaud et Romain Laufer (Management public : gestion et légitimité, Paris, Dalloz, 1980, 337 pages) qui remet en question la distinction classique entre secteur public et le secteur privé. A la fin des années 1980, le « new public management » se diffuse avec, pour objectif, de transposer dans l’administration publique, le modèle de gestion de l’entreprise privée, censé être plus performant. Concrètement, le «,  new public management » implique un programme de privatisation de grande ampleur, l’accroissement de l’autonomie de gestion et la mise en concurrence des services restés dans le secteur public, le suivi permanent des moyens mis en œuvre.

        Dans sa démarche, la performance est la déclinaison opérationnelle de l’intérêt général placé sous trois points de vue (efficacité, qualité, efficience) incarnés dans les figures du citoyen (qui compte sur l’action publique), de l’usager (qui utilise le service public) et du contribuable (qui attend une bonne utilisation de ce qu’on lui prélève). Ainsi, la performance dans la gestion publique recouvre trois objectifs : les objectifs d’efficacité socio-économique (le bénéfice attendu de l’action de l’Etat par le citoyen), les objectifs de qualité de service (aptitude du service public à prendre en compte les attentes et les contraintes de son bénéficiaire) les objectifs d’efficience (optimisation attendue dans l’utilisation des moyens en rapportant les biens et services délivrés par l’administration ou son activité aux ressources employées à cette fin)

     La performance a fait son entrée dans la législation française avec la LOLF n° 2001-692 du 1er aout 2001 relative aux lois de finances. Toutefois, c’est la loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation qui marque, en France, la refondation de l’Ecole de la République, érigée en priorité par la nation française. Ce modèle français (lui-même inspiré de l’Ecole anglo-saxonne) est sans aucun doute le référent stratégique de la ministre Kandia dans son rêve fou d’introduire l’exigence de performance dans la gestion administrative éducative, en demandant au service public éducatif de décliner des Projets Performants.

      Déjà, le 05  Octobre 2017, lors de l’Atelier consacré à la présentation de la politique et de la stratégie d’élaboration des contrats de performance des institutions d’enseignement supérieur et de recherche, la ministre Bakayoko Ly-Ramata annonçait les couleurs : « s’il est vrai que l’éducation est une priorité dans tous les pays, il est également vrai qu’aucun pays ne dispose de toutes les ressources nécessaires pour mener à bien cette activité complexe. Par conséquent, en plus des allocations budgétaires de l’Etat et l’appui des partenaires au développement, les institutions d’enseignement supérieur et de recherche de Côte d’Ivoire doivent faire preuve de créativité et d’inventivité, afin de mettre en place un dispositif permettant de générer des ressources additionnelles». Son  successeur Abdallah Albert Toikeusse Mabri renchérit : « Le Contrat de performance (CDP) sera désormais l’instrument par excellence que les institutions d’enseignement supérieur et de recherche et la tutelle utiliseront pour prendre de façon transparente des engagements réciproques, visant à instaurer la confiance entre l’Etat et les bailleurs de fonds relativement à l’utilisation des financements mis à la disposition de notre secteur ». Sous couvert du programme Cop, l’Etat a désormais des obligations de résultats vis-à-vis des bailleurs de fonds.  

       Il s’est avéré finalement que l’école peut générer des bénéfices intarissables. Le dispositif Cop sert donc à la fois une certaine éthique éducative et Mammon. La contractualisation du financement des institutions publique de l’éducation porte un enjeu néo-libéraliste majeur. Kandia Camara le sait et elle fait preuve de créativité et d’inventivité en mettant en place un dispositif permettant de générer des ressources additionnelles. N’en déplaise aux parents d’élèves qui seront désormais appelés à payer la gratuité de l’école publique à prix d’or. La mise en place de ces mécanismes innovants ou « performants » de financement des établissements publics implique, cette année, l’introduction de la gouvernance électronique dans la gestion des Coges, dans le cadre de la plateforme de travail collaborative et à partir d’un Système intégré de leur gestion. Au paiement des frais d’inscription en ligne pour soit disant optimiser les ressources financières, s’ajouteront les paiements des cotisations des Coges en ligne, comprenant les obscurs frais annexes, frais dédiés et frais exceptionnels dont les montants ont pris la tangente vertigineuse. Le Cop est le cheval de Troie pour soutenir le système de captation et de prévarication qui se met progressivement en place dans le secteur éducation formation dont le caractère public est pourtant affirmé dans l’Art.10 de notre Loi fondamentale. Cop oblige, on va jusqu’à « contractualiser » les enseignants. Des professeurs « contraints à contracter » ou « sous contrat, la question de la contractualisation des enseignants fait des vagues  et bientôt, le maitre-mot sera : « take it or leave it ». Plusieurs africains dont le Cameroun, le Maroc et le Tchad ont déjà réglés leurs systèmes éducatifs à la boussole Cop.

         Le thème « Enseignants compétents et performants, engagés pour une école de qualité » repose, pour ainsi dire, sur des hypothèses libérales optimistes et difficilement crédibles. « Compétence », « performance », « qualité », « compétitivité », « innovation », « attractivité », « démarche qualité », « offres », « marché », toute cette inflation terminologique managériale pour véhiculer un arrière impensé néolibéral qui ne dit pas son nom. Cette littérature à l’eau de Mammon donne un sérieux coup d’accélérateur au processus de libéralisation de l’Ecole de la république en Côte d’Ivoire. Alors que personne ne s’y abuse surtout pas les enseignants. Sans croûte ni mie, le dispositif Cop qui rentre en vigueur, cette rentrée est simplement la rognure, la raclure d’un pouvoir libéral en panne sèche de solutions pour sortir l’Ecole de la République de la déroute.

      L’école publique devient une entreprise privée. Elle doit désormais être managée comme telle. Et c’est tout bénef pour l’Etat qui peut, dorénavant, « recouvrer » les fonds de l’école dans la poche des parents d’élèves. Après tout, faudrait-il que l’Ecole gratuite ait un prix. Pour le CNSER, le Cop est une offre publique d’achat (Opa) lancée par les libéraux dans le processus de la privation de l’Ecole de la nation. L’ère de l’économie du savoir et du libéralisme dit cognitif qui a envahi le monde n’échappe guère à l’orbite des politiques éducatives ivoiriennes qui croient trouver, par ce tour de passe-passe, le remède miracle à la mort programmée de l’Ecole de la nation.

         Les affres de la conjoncture est le résultat du songe du gouvernement actuel à trouver le moyen de se défaire d’un secteur qui se taille la part du lion du nombre des fonctionnaires de l’État : l’éducation-formation. On comprend aisément pourquoi les politiques éducatives de notre pays se trouvent actuellement égarées dans le labyrinthe de réformes scolaires cousues de fil blanc (au propre comme au figuré) sans qu’elles ne parviennent à mettre la main sur le fil d’Ariane. Elles sont simplement incapables de faire une lecture verticale et objective de la crise qui frappe l’Ecole de la nation et de proposer des solutions pratiques, endogènes qui transcendent la logique de l’expérimentation ?  Passés l’angélisme ravageur des P.A.S et les carquois envoutés des P.P.T.E, les dispositifs Cop sont proposés. A l’instar des plans d’ajustement made in Europe et USA, le Cop a un effet circonstanciel et manque de vision globale pour la gestion de l’Ecole de la nation.

      Il ne fait aucun doute que l’éducation puise sa force stratégique dans sa capacité à aiguiser et aviver les esprits et à leur inculquer les compétences requises pour la construction de générations capables d’analyser, de critiquer et de prendre la relève dans le processus du développement économique et social. Le programme Cop change les paradigmes antérieurs. Ils pourraient même transcender le style de pilotage classique des établissements scolaires pour viser la modernisation de la gouvernance éducative. Mais l’application effective du Cop ne sera pas aisée eu égard non seulement aux problèmes structurels de l’Ecole surtout à cause du contexte dominant de paupérisation des masses favorisée par une politique économique qui ne s’embarrasse pas de fioritures.

        L’école est une affaire de tous. C’est pourquoi dans les pays qui ont pensé le Cop, à la base, il y a eu un débat public. En Côte d’ivoire, le débat sur le Cop a été liquidé en seule journée (24 juillet 2019). La tutelle a organisé la rencontre du 24 juillet 2019 avec les partenaires de la communauté éducative pour se faire bonne conscience en donnant une once de participation inclusive des partenaires sociaux à la gestion du système scolaire en Côte d’Ivoire axée sur les résultats. A cette rencontre, les syndicats et autres acteurs étaient simplement invités à s’approprier le Cop, en faire la promotion et y prendre une part active. Il aurait fallu un débat citoyen sur cette réforme soutenu par un dialogue constructif à travers une large consultation associant toutes les parties concernées. Ce débat important de la vie de la nation aurait même dû faire l’objet d’une commission parlementaire. Rien de tout ceci. Et comme à son habitude, la ministre Kandia Camara a fait un tour de force pour mettre en œuvre sa réforme à partir de cette année.

        Le Cop est censé faire évoluer les pratiques pédagogiques des enseignants. Mais comment cela sera-t-il possible dans le contexte de déflagration des rapports entre la tutelle et les syndicats d’enseignants dont les conditions de vie et de travail se réduisent comme peau de chagrin. Il est rapporté également que le Cop affirme l’autonomie de l’établissement, dans le cadre d’un pilotage partagé par tous les niveaux de décision. Il faut relativiser cette autonomie. A quelle autonomie surtout financière prétend-on lorsqu’obligation est faite aux établissements de reverser, à l’Etat, les ressources « Coges » générées ? La centralisation de la gestion financière des établissements publics assure-t-elle l’autonomie des établissements qui est un maillon important de Cop ?

        Le contrat de performance reste et demeure l’instrument par lequel l’éducation nationale entend instaurer la confiance de l’Etat et des Partenaires Technique et Financiers, sur l’utilisation des financements qui seront mis à la disposition du secteur éducation formation. En cela, le Cop n’a que des enjeux de gouvernance et rien d’autres. L’Etat veut plaire et faire les yeux doux aux Partenaires Technique et Financiers de l’Ecole qu’il ne s’y prendrait autrement. Inéluctablement, la volonté de réformer structurellement la gestion de établissements va se payer les poches des parents d’élèves et le labeur des principaux acteurs que sont les enseignants, qui, à dire vrai, sont les parents pauvres du Contrat d’objectifs et de performance.

       Le Comité National pour la Sauvegarde de l’Ecole de la République (CNSER) revendique une Ecole à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. Notre structure souhaite un débat citoyen sur l’avenir de l’Ecole de la République.

          A lundi prochain!

 Professeur Alger Jean-Francis EKOUNGOUN

 Président du CNSER 

 09286021 / 02 67 45 39

 

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