Changement climatique / à Assinie, l’érosion menace sans ménage

À Assinie, la mer est au même niveau que les habitations et espaces de détente

 

    La montée des mers dans les villes côtières, s’accentue de jours en jours. Les populations se retrouvent entre désarroi et inquiétude. Mais nul ne compte céder son domaine pour les effets de l’érosion côtière. Par crainte, certains se tiennent à une distance de 100 à 200 mètres des bordures de mer. Les maisons sont construites majoritairement sur pilotis, une précaution en attendant l’inexorable.

Situé à 94 km d’Abidjan, Assinie est une localité du sud-ouest de la Cote d’Ivoire, appartenant au département d’Adiaké, région du Sud-Comoé. Cette cité de 21.941 habitants (cf Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2021) est une presqu’île où la lagune et la mer se côtoient. Une géographie qui en fait la station balnéaire la plus prisée en Côte d’Ivoire. Le cadre se veut propice pour les sorties détentes et les grandes fortunes y investissent sans retenue. À commencer par le président de la République qui y passe régulièrement du temps pour le repos. Ce jour 10 novembre 2022 nous effectuons le déplacement vers la ville côtière pour constater malgré tout, les effets de l’érosion côtière.

 

« Nul ne peut arrêter les dégâts de la montée des eaux chez nous », dixit Adjess franck

 

    Communément appelé Adjess par les siens, le quinquagénaire tenancier d’un espace dénommé Assinie-détente, occupe un grand rang dans la localité. Il est connu pour ses larges connaissances sur les effets de l’érosion à Assinie quartier France et Baoulé. Pour Franck, difficile de trouver une solution, « actuellement nous sommes à une marée basse. Il y a changement lors des saisons pluvieuses, et c’est là que commence notre calvaire. La mer, quand il pleut beaucoup prend même les maisons construites sur pilotis. Il y a eu des techniciens qui ont effectué le déplacement pour constater les effets de l’érosion et trouver des solutions. Malheureusement cela n’a rien changé, pour nous, c’est un phénomène naturel face auquel chacun est appelé à prendre ses précautions », a-t-il expliqué.

    En effet l’on se fie désormais à la météo pour prendre ses précautions, cependant , sans autre effet du changement climatique, le temps annoncé par la météo n’est pas toujours fiable. « Parfois la météo peut dire la vérité ou pas, mais du côté de la mer la météo dérange un peu. Cette météo peut annoncer que c’est demain la marée haute, mais finalement, il peut avoir un changement », complète Adjess. Lorsque la marée est basse c’est un moment de plaisir et de satisfaction.

    Contre toute attente, les dégâts arrivent et parfois des pertes en vies humaines, situe Matthieu riverain à Assinie-France, « quand c’est la marée basse tout le monde est content, mais lorsqu’il pleut ce sont les dégâts. Dans notre village, l’année passée l’eau a tout ravagé. Il y a eu des morts, la marée a tout démoli, et a créé des voies dans le village, auparavant ce n’était pas le cas. Personne ne peut arrêter la mer. La mer bouffe le sol, pour s’y prendre nous avons des moyens archaïques que nous utilisons. Des sacs chargés de sable ou des filets pour protéger les maisons. Ces techniques finissent par rester sans effet », se désole-t-il.

 

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    La distance qui sépare les maisons de la mer est très longue et peut aller parfois à 200m. Pour Adjess, il vaut mieux s’en éloigner pour ne pas subir les conséquences. « Chez mon patron, la maison est proche de la mer, quand il y a la montée des eaux nous protégeons les paillotes avec des sacs pour bloquer le niveau de l’eau, mais finalement l’eau a tout détruit », explique Matthieu.  

 

Les responsables d’espaces de détente décident de prendre des mesures

 

    « Pour aujourd’hui, il n’y a pas de problèmes. Tout va bien ! je vois que la marée est basse. La marée est haute les soirs pour les cas les plus fréquents. Nous avons des consignes que nous laissons aux clients, on leur demande de ne pas trop aller en profondeur, quand ils veulent nager. L’eau creuse, et quand tu ne maitrise pas tu risques de te noyer. Au niveau du restaurant, on demande aux clients de ne pas partir sans le maitre-nageur », énumère Zié Salomon gérant d’un maquis Bar.

     A quelques mètres, Gbahi ange commerçante de poissons, « Je viens de temps à autre en bordure de mer, pour prendre mes poissons avec les pêcheurs. Je les commercialise aux touristes quand ils sont là. J’habite en réalité à Assinie Assouindé. Actuellement nous sommes à l’étrillage, le niveau de l’eau a vraiment baissé. Vous voyez la maison à côté », indique-t-elle. « C’est le voisin qui est menacé, parce qu’on constate que le V est chez lui, le sable va le balayer. Au fur et à mesure que l’eau monte, ça creuse le sol. Cette érosion de la mer menace beaucoup ceux qui construisent en bordure de la mer. Et ça modifie à chaque fois le paysage. Tu peux être à 100 ou 200m, mais l’eau peut te submerger malgré la distance ». 

    La Côte d’Ivoire, selon une étude de la banque mondiale en 2020 est le pays le plus affecté par les inondations et les effets de l’érosion côtière. Cette dégradation du littoral, coûte chaque année plus de 3,8 milliards de dollars à l’Afrique de l’ouest. En 2019 à Lahou-Kpanda, un village situé dans la ville de Grand-Lahou également située sur le littoral, l’avancée de la mer a submergé la ville. Le ministre de l’environnement d’alors a sollicité les populations à simplement se déplacer, en abandonnant leur terre et lieux d’habitations. Est-ce la seule solution au carnage ? Quelles en sont également les causes ?

 

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     Des méthodes de résilience

     Pour Oscar Gadji chef du programme Benkadi ( un programme d’amélioration des politiques publiques en matière d’atténuation et d’adaptation aux effets des changements climatiques en Côte d’Ivoire) les causes de ce phénomène spécifiquement en ce qui concerne Assinie sont de deux ordres. « D’abord, elles sont liées à l’activité de l’homme (entre autres la destruction des palétuviers, l’extraction du sable marin). D’un autre côté, le réchauffement climatique de la planète en est la cause majeure. »  Dû en grande partie à l’émission des gazs à effet de serre, il pèse lourdement dans la balance.

    En effet, la chaleur va faire fondre les blocs glaciers dans le pôle nord et cela va augmenter le volume de la mer et donc accentuer sa progression. Selon une étude des experts mandatés dans le cadre du programme Benkadi soutenu par le gouvernement des Pays-Bas, à Assinie, la mer avance d’environ 1 mètre par an. Fort heureusement, il existe des pistes de solution. Ce sont notamment des méthodes de résilience mises au point par les populations riveraines et par l’État.  Il s’agit entre autres de la méthode des digues pour atténuer la progression de l’eau. Même si ces méthodes marchent par endroit, elles ne sont pas pérennes. La puissance de l’eau est de telle sorte qu’il sera difficile de dégager des moyens colossaux pour y faire face si éventuellement, les enjeux économiques ne sont pas énormes.

    Le gouvernement ivoirien a pris des mesures aux nombres desquelles, l’adoption d’une loi « loi n° 2017-378 du 2 juin 2017 relative à l’aménagement, à la protection et à la gestion intégrée du littoral ». Cependant, l’existence de cette loi n’a pas encore fait bouger les lignes. Bien que son article 37 prévoit la création d’une agence nationale de gestion intégrée du littoral (ANAGIL) pour 2019 par décret, en 2023, cette exigence n’a toujours pas été satisfaite. Et cinq ans après son adoption, l’érosion continue de menacer sans ménage. Toutefois, la balle reste dans le camp du gouvernement ivoirien qui doit prendre ce décret mettant enfin en application la loi de 2017 à travers la mise en fonctionnement de l’ANAGIL. Cela va permettre une coordination des actions entre les différents ministères qui interviennent sur le littoral et associer les communautés et les autorités pour une prise de décision dans le sens de la résilience des communautés. En attendant, population et opérateurs économiques espèrent que le destin leur soit favorable et qu’ils ne seront pas engloutis par les eaux.

 

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Delores Pie

Lemediacitoyen.com

 

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