Côte d’Ivoire : la douce menace du climat sur le tourisme

Plage déserte dans la ville de Grand-Lahou, village Braffedon.

 

 

      2025 est l’échéance fixée par la Côte d’Ivoire pour devenir la cinquième destination touristique en Afrique. La vision est sur les rails, mais le réchauffement climatique et ses effets dont l’érosion côtière, jouent aux trouble-fêtes, tout comme la Covid-19 a été un visiteur encombrant pour le secteur. 

 

    Grand-Lahou, 8 mars 2023.

    Le bruit assourdissant des vagues qui viennent échoir sur la berge, en pleine journée, résonne ici, sur cette côte ivoirienne à plus de 130 km d’Abidjan, la capitale économique. L’océan gronde et se déverse avec furie, comme si les dégâts causés jusque-là n’étaient que des signaux d’alerte. Dans la localité de Lahou-Kpanda, les cicatrices laissées par l’érosion sont indélébiles. « Ce n’est pas tout », avertit Serge Alangba, notre guide improvisé âgé de trente ans.

    Direction, Lahou-Plage, à quelques kilomètres de là. La traversée est comme parcourir un champ de ruines. Il faudra de longues marches pour enfin apercevoir une silhouette, celle de Tabah Bodjni, un cultivateur, âgé de cinquante ans, reconverti en pêcheur. 

    Le quinquagénaire se remémore comment l’océan l’a rendu étranger chez lui. « Entre 2013 et 2014, nous avons tout perdu, certains membres de nos familles, nos activités et nos maisons », confie-t-il. 

    Puis, il poursuit : « Auparavant, il y avait des maisons dans les endroits que vous voyez vides aujourd’hui, il y avait même des rues. Nous vivions tranquillement à Lahou-Plage. Maintenant, c’est le village voisin d’Azagny canal qui est menacé. Les vagues continuent d’engloutir le sol, d’embrasser les habitations et de les emporter », raconte-t-il.

    Ces populations perdent non seulement leurs habitations, mais aussi voient-elles leurs cultures et leur paysage pittoresque s’éroder dans un pays qui ambitionne se positionner comme une destination touristique idéale pour les visiteurs en quête de soleil, de paysages côtiers pittoresques, de nature authentique, de culture et d’hospitalité légendaires. 

    En janvier 2023, le ministre ivoirien chargé du tourisme, Siandou Fofana, rendant public les chiffres sur l’attractivité touristique de la Côte d’Ivoire, a affirmé que le pays avait accueilli sur son sol plus de 1,3 million de touristes en 2021, dont 800 000 touristes internationaux. 

    À travers sa stratégie « Sublime Côte d’Ivoire », le premier producteur mondial de cacao veut se positionner comme la cinquième destination touristique en Afrique et porter le Produit Intérieur Brut (PIB) du secteur du tourisme à 10 % en 2025. Ce secteur comptait pour 7,3 % du PIB en 2019 et 1,8 % en 2021. Une tendance baissière qui s’explique par l’impact qu’a eu la Covid-19 sur le secteur touristique et hôtelier. 

    D’une manière générale l’industrie touristique ivoirienne a payé un assez lourd tribut à la crise sanitaire Covid-19, et les chiffres pour le dire sont on ne peut plus éloquents. Le tourisme balnéaire, lui, en plus de la ‘furia’ de la Covid-19 a subi de plein fouet le diktat des vagues… Un joug qu’il continue de porter d’ailleurs ; un joug qui a pour corollaire des maux qui ont pour noms : érosion côtière, dégradation d’installations touristiques balnéaires et in fine, minoration de la clientèle.

 

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    Selon une étude intitulée « le coût de la dégradation de la zone côtière Ouest-Africaine : Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal et Togo » publiée par la Banque Mondiale en mars 2019, la dégradation des zones côtières est extrêmement préjudiciable à la Côte d’Ivoire, avec des coûts estimés à 1,2 milliard de dollars américains par an, principalement en raison des inondations. Bien que l’étude ne précise pas les pertes liées au tourisme balnéaire, les craintes sont réelles.

    Maria Sarraf, co-autrice de l’étude démontre que « l’investissement dans l’adaptation des côtes permettra de sauver des vies et d’éviter de perdre des milliards de dollars à l’avenir ». C’est un vœu qu’appelle, de vive voix, à réalisation, Grand-Lahou, mais aussi Lahou-Kpanda, ces cités balnéaires ivoiriennes qui rêvent depuis belle lurette d’un destin de destinations touristiques prisées grâce à leurs riches cultures traditionnelles, les activités de pêche et leur biodiversité. 

    Bref, à présent, pressées par des vagues gloutonnes, qui, chaque jour, se goinfrent des pans de terres fermes, les populations de Lahou-Kpanda se hâtent de déplacer les tombes du cimetière. Il faudrait bien éviter à la communauté, cette opprobre, cet affront, qu’aucun sacrifice ne saurait laver : voir la sépulture de ceux qui les ont précédé dans l’au-delà être ensevelie à jamais dans le ventre de l’océan et dans les méandres de l’oubli. Les vagues prédatrices continuent de lécher avec une concupiscence inouïe les quelques habitats qui leur font l’affront de tenir encore debout… 

    Il y a près de vingt ans qu’a commencé l’exode des populations de Lahou-Pkanda, vers des sites environnants comme Grand-Lahou ou Azagny, explique Georges N’kpati, pêcheur. Aujourd’hui, Azagny n’est pas à l’abri du courroux des eaux. 

     Ailleurs sur la côte, plusieurs sites touristiques subissent la pression des vagues, et de l’érosion, en raison de l’avancée de l’océan, favorisée par le réchauffement climatique ; toute chose qui suscite de vives inquiétudes.

    Grand Bassam, qui abrite le quartier France, un site d’architecture coloniale inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012, est également confrontée à l’érosion côtière. Cette deuxième destination touristique de la Côte d’Ivoire devient un pôle fragile, selon David Kouakou Brenoum, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, qui a publié un article sur ce sujet en 2020. « Situé à l’ouest de l’exutoire du fleuve Comoé, le quartier France est menacé par l’érosion. Cela entraîne la destruction des premiers cocotiers à la périphérie de ce quartier, ce qui menace l’activité touristique », peut-on lire dans l’article scientifique dont il est l’auteur et qui est publié dans l’International Journal of Spaces and Urban Territory.

 

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    Le secteur du tourisme est très vulnérable aux changements climatiques. Après le quasi-effondrement du secteur par la pandémie de Covid-19, c’est la crise climatique qui effraie les acteurs dudit secteur dans le monde. En effet, cette crise « [met] en péril la plupart des activités touristiques », comme le souligne, avec force, la Déclaration de Glasgow pour une décennie d’action climatique dans le tourisme. 

    Cependant, dans les actions prévues par la Côte d’Ivoire pour l’Adaptation au Changement climatique, le secteur n’est pas directement visé. Le mot tourisme ne figure pas une seule fois dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) soumises en mars 2022. Paradoxe ! Pourtant, le document reconnaît que « les plaines côtières littorales, abritant 30 % de la population ivoirienne et 80% des activités économiques du pays, subissent déjà fortement les effets néfastes des changements climatiques qui accentuent l’élévation du niveau de la mer et l’érosion côtière mettant ainsi en péril les vies humaines, en particulier pour les personnes vivant sur le littoral ». 

    Cependant, les projets prévus dans le littoral ivoirien pourront aider à préserver le secteur touristique contre la menace de l’érosion côtière. C’est le cas du Programme Waca (West Africa Coastal Areas) grâce auquel un plan d’investissement multisectoriel a été élaboré pour la région de Grand Lahou à titre de projet pilote et des projets de résilience sont actuellement mis en œuvre. 

    Ainsi, les berges de la lagune de Tiagba seront stabilisées par le reboisement et la réhabilitation des mangroves. « Un soutien est également apporté aux sites de mangroves des parcs nationaux d’Azagny et des Iles Ehotilé, qui sont tous deux des sites Ramsar. Les études de faisabilité et la modélisation aideront à déterminer le type d’infrastructure côtière à construire le long de la barre sablonneuse de Grand-Lahou pour mieux gérer le mouvement de l’embouchure de la rivière et prévenir l’érosion côtière frontale le long du littoral », précise le programme WACA. Le programme va aussi accompagner la Côte d’Ivoire dans la mise en application de la loi du 02 juin 2017 relative à la protection, l’aménagement et la gestion intégrée du littoral. 

    Cependant, les décrets d’application de cette loi sont toujours attendus. Pendant ce temps, le long de la côte, l’océan n’attend pas. Il avance et menace de plein fouet les sites balnéaires, qui, si l’on n’y prend garde ne seront plus que vestiges.

 

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Delores Pie

Lemediacitoyen.com

Cet article a été produit avec le soutien de la Media Foundation for West Africa dans le cadre de son programme de bourse sur le changement climatique  

 

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