Interview/Discours de haine, Prof Francis Akindes, sociologue, aux internautes : « N’ethnicisez pas le débat politique »

Prof Akindes: "Ce n’est pas facile de faire du web activisme objectif sans avoir une activité indépendante " (ph: Carine Kassi)

Le professeur Francis Akindes, sociologue, a modéré à Dakar un atelier sur le rôle constructif des acteurs du web en Côte d’Ivoire. Cette initiative de l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa) a eu lieu les 27 et 28 mai 2019. Lemediacitoyen.com a interrogé sur place le spécialiste au sujet de  la montée des discours de haine sur la toile ivoirienne à l’orée de la présidentielle de 2020.

                                        

Professeur, les réseaux sociaux constituent-ils  une crainte par rapport à la présidentielle ivoirienne de 2020 ?

 Les réseaux sociaux s’inscrivent dans un environnement social et politique assez délicat. La sortie de crise n’est qu’une sortie imparfaite. Il y’a des haines qui demeurent, des problèmes qui n’ont pas été résolus et qui reviennent sous des formes nouvelles. Les réseaux sociaux sont le vecteur de communication le plus efficace aujourd’hui, ce que j’appelle la société civile du clic car en un seul clic vous informez le monde entier. Un média qui occupe une telle position dans un environnement aussi fragile doit être pris au sérieux. Ceux qui animent ces média doivent être sensibilisés.

 Ce n’est pas qu’on va leur refuser leur liberté d’expression parce que c’est une liberté conquise ; c’est une liberté qui s’exprime par le contournement des mécanismes classiques de circulation de l’information. C’est très bien, c’est dans l’air du temps. Mais derrière cela, il faut partager avec les acteurs, les influenceurs, les activistes du web, que  l’idée de responsabilité est une éthique de la communication parce que en un clic, on peut créer dans l’esprit des gens, les germes des conflits, en un clic, on peut déranger une société mais en clic aussi, on peut travailler à créer des compromis dans une société. C’est comme le couteau, celui qui le crée ne sait pas s’il servira un jour à découper la tomate ou à égorger quelqu’un.

 Les acteurs des réseaux sociaux affirment être à l’image de la société ivoirienne. Si  le dialogue politique est presqu’inexistant entre les acteurs politiques, peut-on en vouloir aux web-citoyens ? Et si la sensibilisation se faisait  en amont, c’est-à-dire à l’endroit des acteurs politiques ?

C’est une erreur de leur part de réfléchir en terme de génération, les activistes du web sont pour la plupart du temps jeunes ; ils ont moins de 35 ans pour la plupart ou sont autour de cet âge là. Si je prends le cadre dans lequel ils inscrivent leur activité ou ce qu’ils disent, quand ils se présentent comme une espèce d’avatar de la société, je suis désolé parce que les conséquences d’une crise, ils vont la subir beaucoup plus que leurs ainés parce que quand ça se passe, ils se débrouillent toujours pour prendre les voies les plus détournées pour ne pas subir la crise mais eux jeunes, non seulement ils subissent la crise au moment ou ça se passe, mais ils trainent les effets de la crise dans leur vie en terme de difficultés de l’économie à se relever, donc difficulté d’employabilité, fragilité renforcée et tout. Ils ont intérêt à s’inscrire dans le principe de responsabilité dans les types d’information qu’ils véhiculent à travers le clic qu’ils contrôlent, pour ne pas créer une instabilité dans cette société. Alors réfléchir de façon si simpliste, c’est très dangereux.

L’atelier organisé ici à Dakar à l’endroit des cyber-citoyens est-il une réponse efficiente à la montée des discours de haine sur la toile ivoirienne ?

Pendant ces deux jours, OSIWA a permis de partager d’abord les pratiques, de partager la connaissance des risques, d’abord les défis de la société ivoirienne aujourd’hui et le contexte dans lequel évolue ces médias digitaux et sensibiliser les activistes sur les risques qu’il y’a à mal communiquer, à faire circuler des informations orientées c’est ce qu’on a passé 2 jours à faire. J’ai des gens qui ont estimé que ces deux jours ont commencé par impacter leur comportement parce que depuis hier (le 27 mai), ils communiquent autrement. Un ou  deux participants  espèrent  que ce soit externalisé et que cela mijote dans la tête des uns et des autres et que cela contribue à la transformation et que les choses apprises ici, les choses discutées ici, soient partagées avec d’autres activistes du web une fois retournés en Côte d’Ivoire.

Les participants à l’atelier ont échangé sur leur rôle dans l’apaisement (ph: Carine Kassi),

 

       « on ne peut pas vivre du web activisme politique »

 

Il est revenu que certains internautes reçoivent de l’argent pour biaiser le débat à travers des publications orientées. La question de l’indépendance financière rétorquée à la presse traditionnelle resurgit avec les réseaux sociaux. Que devraient faire les jeunes actifs du net devant la pression de l’argent ?

 Oui ils font de l’activisme sous contrainte effectivement, ce sont des jeunes qui vivent souvent dans la précarité. Les élus savent qu’ils sont dans une situation précaire et manipulent cette précarité. Mais tout est une question de conviction et de conscience. Il est difficile d’être web activiste sans avoir une autre activité. On ne peut pas vivre du web activisme uniquement, à moins que ce ne soit un activisme sur le domaine commercial, ou autre chose ou des gens payent votre service. Si c’est pour faire de la mobilisation citoyenne, à condition de trouver une ONG internationale du genre OSIWA ou tout autre qui partage votre conviction et qui vous aide à vivre.

Ce n’est pas facile de faire du web activisme objectif sans avoir une activité indépendante et qui vous permette de vivre car on ne peut pas vivre du web activisme politique et c’est justement là qu’interviennent des grands-frères politiques, parce que lorsqu’ils découvrent une influence grandissante chez un web activiste, ils ont tendance à le récupérer et de quelle façon ? Ils le font en lui proposant de l’argent et en l’alignant politiquement et il rentre dans la galaxie des allumeurs négatifs de conscience. Et maintenant en allumant négativement les consciences, tout ce qu’on lui demande, c’est d’avoir une approche conséquentialiste c’est-à-dire que lorsqu’il se met à leur service, qu’il se souvienne que le fait d’être à leur service peut se retourner également contre lui parce que quand ça pète, ce n’est pas sûr qu’il soit épargné des conséquences de ce à quoi il a contribué.

Parlant d’éthique sur internet, la question des fakenews inquiète aussi les Etats. Le président ivoirien a évoqué en 2018, la possibilité d’une loi contre les fakenews.   Faut-il  légiférer sur les réseaux sociaux en plus de la sensibilisation des acteurs ?

Le président,  c’est le patron de l’exécutif.  On sait que les réseaux sociaux aujourd’hui peuvent être à l’origine de différentes situations négatives qu’un homme politique n’a pas envie de vivre surtout lorsqu’il est à la tête de l’exécutif.  Je comprends que lui réfléchisse en termes de loi mais à l’intérieur de la communauté des web activistes on peut avoir une autre approche.  Toutefois, l’Etat a le droit de légiférer pour qu’il n’y ait pas de dérives, pour contrôler les dérives mais les activistes ont l’obligation morale de créer une espèce de cadre qui encadre leur propre éthique.  C’est ce que les humains ont décidé de faire pour ne pas être une source de problème pour la communauté dans laquelle ils vivent.

Une charte d’éthique serait-elle  la bienvenue ?

Les chartes éthiques permettent de créer les conditions pour que, par exemple, la circulation de l’information telle que prônée par les médias sociaux, telle que portée par les web activistes ne soit pas malfaisante, soit bienveillante, respecte le principe de justice et respecte l’autonomie des individus. C’est de cela qu’il s’agit quand on parle d’éthique donc nous allons vers des périodes très difficiles et les électeurs potentiels, les gens dans un pays qu’est-ce qu’ils regardent aujourd’hui et surtout, on connait la limite de la presse écrite, les gens n’ont pas les moyens d’aller acheter les journaux mais quand ils chargent leur téléphone avec 200, 500 F.CFA, ils peuvent accéder à l’information mais tout dépend de la qualité de cette information, c’est pourquoi on demande aux web activistes ne publiez rien qui ne soit pas vérifié par exemple. C’est un principe très simple. N’ethnicisez pas le débat politique parce que c’est de là que naissent les crispations, c’est là que naissent les rixes politiques et tout. Pendant ces 2 jours, c’est ce qu’on essayé de faire passer comme message. C’est de cela qu’il s’agit essentiellement.

Interview réalisée à Dakar par Nesmon De Laure

Lemediacitoyen.com

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