Démocratie. À une semaine de la journée internationale de la démocratie, un rapport accable la Côte d’Ivoire. Il faut souligner que le rapport a été édité avant les débats nés du discours du 6 août 2020 autour de la candidature d’Alassane Ouattara. C’est un rapport de Afrika Jom Center, structure présidée par Alioune Tine. Le rapport global concerne l’Afrique de l’ouest. Il a été rendu public le 7 septembre 2020 à Dakar. Nous vous proposons des extraits au sujet de la Côte d’Ivoire.
Situation de la démocratie en Côte d’Ivoire : Déficit de consensus et instabilité institutionnelle
1. Situation démocratique
La levée provisoire de l’hypothèque sur
le troisième mandat Quand le 5 Mars 2020, le Président Alassane Dramane OUATTARA annonçait solennellement devant les sénateurs et députés réunis en congrès extraordinaire à Yamoussoukro, qu’il ne sera pas candidat à sa propre succession, cela a fait l’effet d’une bombe notamment sur le continent africain non habitué au
strict respect des obligations constitutionnelles et engagements des dirigeants politiques…
Cette situation a créé un soulagement énorme en Afrique où le troisième mandat est perçu comme un poison de la démocratie et crée les tensions et conflits que l’on sait en Guinée Conakry.
Le Président ivoirien s’était exprimé en ces termes : « (…) je voudrais vous annoncer solennellement que j’ai
décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle
de 2020 ».
Deux arguments justifieraient son choix de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle de 2020 : l’importance particulière accordée au respect de ses engagements et son intention de transférer le pouvoir à une jeune génération.
Cependant, cette déclaration est assortie d’une condition qui laisse encore peser un doute car il n’exclut pas de reconsidérer sa position en cas de candidature de « ceux de sa génération » faisant implicitement
référence à Laurent GBAGBO et à Henri Konan BÉDIÉ.
Adoption d’une réforme constitutionnelle sans consensus : risque d’instabilité et de tensions lors des prochaines élections.
A la suite de cette déclaration, les parlementaires ivoiriens ont été invités par le Président Ouattara à procéder à une réforme de la Constitution qui devrait avoir un impact sur la présidentielle d’octobre 2020.
Au moins vingt articles sur 183 devraient connaître de sérieuses modifications. En dépit des réserves de l’opposition, le projet de loi a été adopté par le Parlement et promulgué par le Président de la République.
Cette réforme constitutionnelle touche tous les pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle propose, entre autres :
› La nomination du vice-président de la République avec l’accord du Parlement en lieu et place d’un ticket. Ce qui rappelle le modèle russe Poutine-Medvedev, reconnu pour son déficit de légitimité.
On nomme le vice-président de la République comme on nomme un Préfet, un Gouverneur ou un Directeur National ;
› › La continuité parlementaire en cas d’impossibilité d’organiser les élections ;
› La suppression de la Cour suprême pour consacrer la Cour de cassation, le Conseil d’État et la Cour des comptes comme les trois institutions juridictionnelles représentatives du pouvoir judiciaire dans le pays.
La décision du Président Ouattara de passer la main n’a pas convaincu l’opposition qui fait peser la grave menace d’un boycott de l’élection présidentielle d’octobre 2020.
Elle accuse le Président de mener ces réformes pour donner « l’illusion de son départ tout en gardant le contrôle des principaux leviers de la gouvernance ».
Pour le moment, Guillaume SORO est le seul à s’être déclaré candidat au sein de l’opposition tandis que l’ancien président Henri Konan BÉDIÉ entretient toujours le mystère mais a déjà évoqué plusieurs fois en public sa candidature.
Eviter une rechute en Côte d’Ivoire
Il faut absolument éviter une rechute dans l’instabilité politique et dans la violence en Côte d’Ivoire. Tout se passe comme si la Côte d’Ivoire n’avait jamais connu de tension, de violence et de conflits armés liés à la succession à la tête de l’Etat depuis la mort de Houphouët BOIGNY.
Depuis lors, on assiste à un combat sans fin pour garder le pouvoir ou pour le conquérir souvent par tous les moyens et par les mêmes acteurs politiques.
Le conflit armé consécutif à la crise post-électorale de 2010 a créé des plaies profondes encore béantes: du fait de l’absence d’une volonté politique réelle de
réconciliation nationale, de combattre sans merci l’impunité et de l’existence de l’amnésie et du refoulement par les acteurs politiques de l’histoire récente et tragique de la Côte d’Ivoire.
Il convient également de rappeler la tentative de coup d’Etat dans la nuit du 18 au 19 Septembre 2002, laquelle avait coupé la Côte d’Ivoire en deux avec une crise complexe résolue près de dix ans plus tard.
Une rechute de la Côte d’Ivoire dans un contexte marqué par la crise du Sahel du fait même des frontières communes avec le Mali et le Burkina pourrait entraîner une expansion de la menace djihadiste vers les zones côtières de la sous-région.
Contentieux et tensions préélectorales
Les dossiers juridiques de Guillaume SORO et Charles Blé GOUDÉ ont révélé de véritables failles dans la justice ivoirienne assujettie à l’exécutif, et fonctionnant comme un instrument pour éliminer les candidats perçus comme « dangereux » ou « indésirables ».
Poursuivis pour des faits de tentative de déstabilisation et de détournement de deniers publics, l’ancien président de l’Assemblée nationale s’est vu délivrer un mandat d’arrêt international et ses biens ont été saisis.
Ce mandat d’arrêt international contraste d’ailleurs avec son exil forcé, parce qu’il lui est interdit de fouler le sol national. Cette décision de la justice ivoirienne intervient au moment où Guillaume SORO a déclaré sa candidature à l’élection présidentielle de 2020.
En le contraignant à l’exil, le Président OUATTARA élimine un sérieux candidat.
Suite à l’exil de SORO, cinq députés membres de son parti politique dont son frère, ont été arrêtés et détenus illégalement sans que leur immunité parlementaire ne soit levée. Ces cinq députés en question sont Alain Michel LOBOGNON, SORO Kanigui
président du RACI, CAMARA Loukimane, SOUMAHORO Kando, YAO Soumaïla.
La présidentielle ivoirienne de 2020 suscite également la suspicion et la défiance de dissidents politiques qui considèrent que les organes de régulation et de règlement du contentieux électoral comme la CENI et le Conseil constitutionnel ne sont pas « indépendants».
La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) avait enjoint à la Côte d’Ivoire le 18 Novembre 2016 de réformer la loi portant « composition, organisation, attributions et fonctionnement
de la Commission électorale indépendante » pour la rendre conforme aux engagements internationaux du pays notamment la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance et le Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. En 2010, cette institution était jugée proche du camp présidentiel avec son président qui était un proche de Laurent GBAGBO. L’histoire se répète aujourd’hui avec un proche de OUATTARA qui est à la tête du Conseil constitutionnel. Ce qui suscite beaucoup d’interrogations au sein de l’opposition.
Extrait du rapport d’Afrika Jom Center sur les nouvelles pathologies de la démocratie en Afrique de l’Ouest.
Lemediacitoyen.com
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