Femmes en politique et système patriarcal/ par Anne-Nadege ASSAHON,  Doctorante Chercheure en Genre et Féminisme 

Femmes en politique et système patriarcal

L’engagement politique des femmes demeure une lutte acharnée en Côte d’Ivoire et dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Malgré des avancées notables, elles se heurtent à des barrières persistantes dans leur quête d’égalité politique. Ces défis, ancrés dans des schémas patriarcaux, entravent leurs droits politiques et appellent à des actions concertées. 

Un Héritage Profondément Enraciné

Les théories des penseurs anciens, tels qu’Aristote et Hippocrate, qui considéraient que les femmes étaient naturellement inférieures aux hommes ont influencé le statut des femmes dans les sociétés antiques grecques et ont également eu un impact négatif sur les civilisations occidentale et africaine, en particulier à travers la colonisation. Les interprétations patriarcales des grandes religions monothéistes ont également marginalisé les femmes. Déjà au IVe siècle avant notre ère, Aristote, disciple de Platon, avançait que « le rapport des sexes est analogue ; l’un est supérieur à l’autre : celui-là est fait pour commander, et celui-ci, pour obéir. » À l’en croire, la femme en raison de sa nature défectueuse et de l’émotion qui la caractérise doit se soumettre aux ordres de l’homme ; et ce pour le bon fonctionnement de la société.

Des médecins ont même participé à la construction de cette image erronée et dégradante de la femme. Par exemple, Gallien, à la suite d’Hippocrate, affirme que « la femelle est plus imparfaite que l’homme pour une première raison capitale, c’est qu’elle est plus froide. » Ils vouaient la femme à une médiocrité d’esprit et forcément inférieure à l’homme dans les travaux intellectuels.

Ces pensées vont s’ériger en un magistère incontestable attribuant aux femmes une infériorité naturelle et, par partant, un statut bien déterminé dans la société. Le statut des femmes loin de découler de simples stéréotypes proviennent de construits scientifiques avant d’être social.

Déconstruction des idéologies patriarcales

Il est effarant de noter qu’au XIXe siècle, la taille et la forme du crâne étaient utilisées pour justifier une hiérarchie entre les sexes. De nos jours, les neurosciences, grâce à l’imagerie cérébrale par IRM, ont fait d’énormes avancées dans la compréhension des fonctions sensorielles, motrices et cognitives. D’après Catherine Vidal, il n’existe pas de différence entre un cerveau d’homme et un cerveau de femme en dehors de la programmation hormonale. La seule différence que l’on peut relever concerne le contrôle des fonctions physiologiques de la reproduction.

À cela, il faut ajouter que 2000 ans après l’expression de pensées misogynes par certains penseurs et scientifiques, de nombreuses femmes ont réussi à surpasser les obstacles et à atteindre des postes de pouvoir, brisant ainsi le plafond de verre. Un exemple concret est Angela Merkel, qui a non seulement reçu le prestigieux prix Nobel de la paix, mais a également été désignée dix fois par le magazine Forbes comme la femme la plus puissante du monde depuis 2006 et est considérée comme la personnalité politique la plus importante et influente de l’Union européenne. Ce qui laisse penser que les femmes dans divers domaines s’illustrent de fort belles manières pour montrer à la face du monde qu’elles sont pourvues des mêmes capacités en vue d’une bonne gouvernance de la société tout entière. Dans le contexte africain, il est essentiel de mentionner Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d’un État africain par suffrage universel. Son engagement en faveur de la sécurité des femmes et de leur participation à la construction de la paix lui a valu d’être co-lauréate du prix Nobel de la paix en 2011, aux côtés de Leymah Gbowee et de Tawakkul Karman. 

Ces exemples illustrent le progrès réalisé en termes d’émancipation des femmes. Malgré la persistance de pensées misogynes, ces femmes réussissent à occuper des postes de pouvoir et à être reconnues pour leur contribution à la paix et au développement ; d’où l’envergure mondiale qu’elles entendent donner à leur combat.  

Un Défi Mondial

Malgré les excellentes illustrations de ces dames en termes de gouvernance, les pesanteurs patriarcales demeurent et les droits politiques des femmes continuent d’être niés ou, pire encore, bafoués. Pour preuve, « environ la moitié des hommes et des femmes dans le monde estiment que les hommes font de meilleurs dirigeants politiques. »

 Le constat est mondial. Les chiffres d’ONU Femmes révèlent que « seulement 34 femmes dirigent des États ou gouvernements dans 31 pays, soulignant l’accès difficile aux plus hautes fonctions. Leur présence dans les gouvernements atteint à peine 22,8%, révélant un déséquilibre préoccupant. Dans les parlements nationaux, la représentation féminine stagne à 26,5%. »

En Côte d’Ivoire par exemple, Les chiffres récents des candidatures aux élections municipales et régionales à venir renforcent ce constat. Il est observé qu’entre 2018 et 2023, le nombre de femmes candidates aux municipales est passé de 4 200 à 10 220, soit une augmentation de 143,33 %. De même, le nombre de femmes candidate aux élections régionales est passé de 526 en 2018 à 1672 en 2023, soit une hausse de 217,87 %. Malheureusement, le constat est que seulement 10 % des femmes sont en tête de liste pour les municipales, et 5 % pour les régionales . 

femmes en politique
Candidates aux municipales ivoiriennes
femmes en politique
candidates aux régionales ivoiriennes

Bien que témoignant d’une évolution positive, ces chiffres mettent en évidence une sous-représentation des femmes comme tête de liste. Cela soulève des interrogations quant à l’impact réel de la loi sur le quota qui, depuis la Conférence de Beijing ; conférence tenue du 14 au 15 septembre 1995, visait, pour les organismes féministes qui en ont fait le plaidoyer, une représentation d’au moins 30% des femmes dans les assemblées élues. Cet objectif est bien loin d’être atteint.

Des obstacles Structurels

Cette sous-représentation est la résultante de discrimination de genre dans le domaine politique et crée un déséquilibre dans la représentation politique. La réalité est que les femmes politiques font face à une défiance liée à leur crédibilité et leur compétence, manifestés dans les violences physiques et verbales, découragent leur engagement. En plus les obstacles financiers, la visibilité restreinte dans les médias et l’accès limité aux ressources érodent leur potentiel politique. 

Il faut des Solutions Efficaces !!

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Il est urgent de remédier à cette situation par des actions concrètes. À cet effet, nous recommandons d’abord aux activistes féministes de continuer leurs actions en faveur du changement de paradigmes, en amplifiant des actions telles que la formation politique, la sensibilisation, le lobbying, et la promotion de la visibilité féminine dans les médias.

Outre cette action, nous recommandons aux autorités de renforcer non seulement les lois, mais aussi et surtout de veiller au respect des quotas électoraux existants. 

Quant aux partis politiques, il est essentiel pour eux de coopérer avec les compétences qu’offrent les femmes en leur fournissant des formations spécifiques et en créant des réseaux de soutien afin de les porter comme candidates le moment venu. Rappelons que Theo-Ben Gurirab président de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 septembre 1999 au 5 septembre 2000, disait à propos des femmes en politique : 

Elles apportent des compétences et des points de vue différents qui permettent de façonner un nouvel ordre politique. La présence des femmes dans les Parlements a influencé la manière dont fonctionne cette institution, comme le langage et les comportements des parlementaires ; la priorité accordée aux questions et aux politiques ; l’intérêt porté à tous les aspects de l’administration, notamment l’élaboration des budgets, l’introduction de nouvelles législations ; et la réforme des lois existantes. 

Les partis politiques devaient voir la présence des femmes au sein de leur parti comme une opportunité.

Les partenaires techniques et financiers de leur côté doivent fournir un appui technique et financier aux candidates. De surcroît, ils peuvent par leur influence politique et leur pouvoir plaider auprès des gouvernements pour des politiques et des lois en faveur de la parité des genres.

Seule une approche globale et coordonnée permettra de faire face au patriarcat en surmontant les obstacles structurels afin de réaliser une véritable représentativité des femmes en politique et garantir leur pleine participation à la prise de décision.


Auteure:  
Anne-Nadege ASSAHON, Doctorante Chercheure en philosophie Politique et Sociale spécialité Genre & Féminisme; Directrice de AHOU : Centre de recherche sur le Féminisme et le Développement du potentiel Humain/ Contact :0747379532Email : ahourecherche@gmail.com/ Nassahon@gmail.com

« Article réalisé dans le cadre de la campagne de communication sur les actions féministes en Côte d’Ivoire dit Campagne #médiatisonslesvoixfeministes » initiée par l’Ong Opinion Éclairée avec l’appui de la Foundation for a Just Society et en partenariat avec Amnesty International Côte d’Ivoire.

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